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— Soit. Akim pense la même chose. À part ça ?

— Akim était tendu depuis plusieurs semaines. Youssef l’a senti et l’a interrogé. Il s’est contenté de lui répondre qu’il avait des ennuis, mais qu’il allait s’en sortir et qu’il ne voulait pas le mêler à ça.

— Akim ne lui en a pas dit plus ?

— Non, il n’a rien voulu dire de plus, mais à une autre occasion, il a prononcé une phrase énigmatique. Il lui a dit qu’il pensait que son passé était enterré, que c’était terminé, mais qu’Iblis avait ressurgi.

Je marque mon étonnement.

— Iblis a ressurgi ? Qui est Iblis ?

Elle sourit.

— Iblis n’est pas quelqu’un. Iblis est un djinn, une créature surnaturelle capable d’influencer les hommes. Dans la tradition musulmane, on l’identifie à Satan.

Je tente de rassembler les bribes d’information.

Akim avait des ennuis. Youssef le savait, sans en connaître la gravité. Le message d’Akim avait pour but de lui faire comprendre après coup qu’il avait risqué sa vie.

« Dites à mon frère que je suis vivant. »

— C’est tout ce qu’il t’a dit ?

— Dans un premier temps. Après, il s’est refermé comme une huître et j’ai dû acheter la moitié de l’épicerie pour qu’il accepte de revenir sur le sujet.

— On se partagera tes emplettes. Qu’est-ce qu’il t’a raconté de plus ?

— J’ai dû insister pour arriver à lui tirer les vers du nez. Je lui ai dit que je connaissais l’affaire et que je voulais l’aider. Je lui ai demandé où se trouvait la femme d’Akim.

Je retiens mon souffle.

— Il sait où elle se trouve ?

— Oui.

Des fourmillements parcourent mes mains.

— Où est-elle ?

— En sécurité, avec son fils, dans sa famille, quelque part au Maroc. Il n’a pas précisé dans quel coin. Il a ajouté que personne ne parviendrait à l’approcher, qu’elle était protégée en permanence.

Akim était soumis à un chantage et la menace s’étendait à sa femme et à son fils, raison pour laquelle ils étaient sous protection jour et nuit.

Je comprends également pourquoi il m’a dit qu’il voulait revoir sa femme et son fils. Il les savait en sécurité, mais loin de lui.

Une question me tarabuste.

— Pourquoi le père me cache cette information ?

— Parce que le père ne sait rien. Seul Youssef sait que Rachida est retournée au Maroc.

— Pourquoi ?

— La seconde femme de son père est contre le fait qu’il dépense de l’argent pour aider Akim. Elle trouve qu’il n’a que ce qu’il mérite. Elle les a toujours détestés, tous les deux, Akim et Youssef.

La situation s’éclaircit. La femme qui se terre dans l’ombre est la seconde épouse d’Adel Bachir.

— Je vois qui c’est, je l’ai vue. Elle se planque dans une pièce, au fond de l’appartement. Elle épie ce que fait son mari, écoute ce qu’il dit et donne ses ordres.

— C’est à peu de choses près les mots que Youssef a employés. Mais ce n’est pas tout.

Ses yeux étincellent.

Je lui lance un clin d’œil complice.

— Tu vas devenir une excellente avocate, tu sais garder le meilleur pour la fin.

— En janvier, alors qu’ils se promenaient tous les deux, le portable d’Akim a sonné. Youssef ne savait pas qui était au téléphone, mais Akim lui parlait comme on parle à un patron ou comme s’il avait peur de lui. Akim s’est arrêté de marcher et a écouté. L’homme a parlé pendant plusieurs minutes et Akim ne l’a pas interrompu. D’après ce que Youssef a compris, l’homme parlait de quelqu’un avec qui Akim devait prendre contact. Akim lui a répondu qu’il avait déjà essayé, mais qu’il n’avait pas encore réussi.

— Prendre contact avec qui ?

— Laisse-moi terminer. L’homme a encore prononcé deux ou trois phrases. Akim avait l’air anxieux. Il a dit qu’il allait réessayer de le contacter.

Elle s’arrête, pose les coudes sur la table et pose son menton sur ses mains jointes.

— Je suis sûr que tu connais le nom de l’homme qu’Akim devait contacter.

C’est une évidence.

— Alex ?

— Alex. Bravo. Parcours sans faute.

33

Ton camion

La prise de contact entre Julie et Alex fut programmée dès la semaine suivante, chez l’intéressée, dans son minuscule appartement situé au cœur du quartier universitaire.

Franck était confiant quant au déroulement de la rencontre, bien que son ami n’ait cessé de formuler des objections contre l’implication d’une femme dans le projet.

— Tu ne la connais que depuis six semaines, on ne sait pas qui elle est ni d’où elle vient. Pourquoi tu lui fais confiance ? Qu’est-ce qu’elle a d’extraordinaire, cette nana ?

Franck s’était contenté d’une réponse lapidaire.

— Tu verras.

Franck avait fait la connaissance de Julie par une après-midi pluvieuse de février, alors qu’il se documentait sur la résistance mécanique des métaux.

Il s’était rendu à la bibliothèque des sciences et techniques de l’université de Bruxelles et avait consulté plusieurs ouvrages sans trouver un article qui lui permettrait de répondre à son problème à l’aide d’un calcul simple.

Dépité, il était retourné auprès de la bibliothécaire.

— Je ne trouve rien, vous avez autre chose à me proposer ?

Du menton, elle avait désigné une étudiante assise à l’une des tables, les jambes repliées sous elle, un crayon fiché derrière l’oreille.

— Demandez-lui, on ne sait jamais. Elle passe des heures ici, elle saura peut-être vous renseigner.

Franck s’était approché.

Habillée à la garçonne, les cheveux châtains coupés court, le nez piqueté de taches de rousseur, la fille l’avait détaillé des pieds à la tête pendant qu’il lui soumettait sa question.

Elle s’était ensuite mise à mâchouiller son crayon d’un air amusé.

— Vous connaissez la loi de Hooke ?

Franck avait souri.

— Bien sûr, mais vous seriez gentille de me rafraîchir la mémoire.

Elle lui avait rendu son sourire.

— Selon l’importance des contraintes appliquées à un objet, les déformations qu’il subit sont élastiques, plastiques ou conduisent à la rupture. Loi à compléter par le module de Young et le critère de Griffith.

— Bien entendu.

— Pourquoi vous voulez savoir ça ?

Franck ne s’attendait pas à cette question et s’était lancé dans une improvisation.

— J’ai loué une maison en dehors de Bruxelles. Elle est située au bord d’une route, dans un virage serré. J’aimerais installer une barrière capable d’arrêter un camion en perdition pour éviter de le retrouver dans mon salon.

Elle l’avait fixé, mi-amusée, mi-incrédule.

— Je vois. Il manque néanmoins certains paramètres pour pouvoir vous donner une réponse valable : la vitesse du camion, son poids, la topographie du terrain et le type de revêtement de la chaussée. Accessoirement, le taux d’alcoolémie et le thème astral du chauffeur. Si j’étais vous, je déménagerais.

Franck en était resté muet.

Cette fille lui plaisait.

L’intelligence et la malice qui brillaient dans ses prunelles l’attiraient davantage que le physique avantageux de ses conquêtes habituelles.

Il avait acquiescé.

— Votre recommandation est judicieuse et mérite réflexion. Pourrions-nous en débattre autour d’un verre ?

Elle l’avait dévisagé quelques instants avant de retourner à son travail.

— Pourquoi pas ? Demain soir, 19 heures, au Villon ?