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Alex s’approcha et fit claquer sa main dans la sienne.

— Alex Grozdanovic, conquis.

La glace était rompue.

Franck éclata de rire.

— Je savais que Julie te plairait.

Alex n’en revenait pas.

— Je n’aurais jamais imaginé un truc pareil. C’est génial. Ça a l’air tellement simple. Vous êtes sûrs que ça va marcher ?

— Tout est calculé. Nous devrons nous procurer le matériel, engager les deux gars dont je t’ai parlé et faire quelques tests avant de passer à l’action. Avant ça, il faut créer la boîte. Ce sera notre couverture. Quand elle sera opérationnelle, on se fera un premier fourgon.

Alex se tenait au milieu de la pièce, les bras ballants.

— C’est fou.

Julie quitta les genoux de Franck et se dirigea vers le frigo.

— Je te sers quelque chose, Alex ? Une bière, de l’eau, un remontant ?

— De l’eau, c’est bien.

Il fronça les sourcils et s’adressa à Franck.

— Le truc a l’air simple sur l’écran, mais ça demande une bonne coordination, tout se joue au quart de seconde. Comment tu comptes synchroniser le travail de chacun ?

Franck lui adressa un clin d’œil.

— J’aurais été déçu si tu ne m’avais pas posé la question. Tu as déjà assisté à un concert de musique classique ?

Alex haussa les épaules.

— Moi dans une salle de concert ? Au milieu de snobinards en smoking et de femmes coincées ? Quand j’étais petit, mon père m’obligeait à regarder le concert du Nouvel An à la télé, ça a suffi à me dégoûter à vie de ce genre de musique.

— Dans certains orchestres symphoniques, tu peux avoir jusqu’à cent musiciens qui jouent ensemble. Si un de ces types se trompe de note, tout est foutu. Comment font-ils pour jouer la bonne note à la bonne seconde ?

— Ils consultent leur papyrus et regardent le pingouin qui gesticule devant eux.

— La partition et le chef d’orchestre, tu veux dire.

Il prit le cahier et le tendit à Alex. À première vue, le livret ressemblait à un cahier ordinaire, mais il s’ouvrait comme un accordéon.

Alex le déplia sur une trentaine de centimètres.

— Je ne vois pas où tu veux en venir.

Franck le laissa poursuivre l’examen pendant quelques instants.

L’idée lui était venue alors qu’il travaillait La Truite, le célèbre quintette de Schubert. Les feuillets contenaient cinq portées. Chaque portée était attribuée à un membre de l’équipe et spécifiait les actions qu’il devait mener. Elles étaient divisées en mesures de quatre temps d’une durée d’une seconde chacun.

Franck interrompit la méditation d’Alex.

— Chacun de nous saura ce qu’il doit faire, seconde par seconde. Il devra jouer la bonne.

Alex déplia quelques plages supplémentaires.

— C’est long.

— La durée nécessaire. À soixante pulsations par minute, le tempo d’un bel adagio.

Alex reprit le document, ébahi.

— On ne peut pas se trimballer avec ton papelard sur le terrain.

— Les meilleurs musiciens jouent sans partition. Ils se sont entraînés à la jouer des centaines de fois et la connaissent par cœur. Nous ferons la même chose.

Alex retourna le carnet dans ses mains, l’air réjoui, comme un gamin découvrant un nouveau jouet.

— C’est dingue.

35

Le lien est évident

Certaines journées filent à une vitesse vertigineuse.

Je suis absorbé dans l’étude de mes dossiers depuis ce matin.

À midi, j’ai avalé un sandwich en vitesse, tout en continuant à travailler. Je ne me suis levé que pour prendre un café ou satisfaire un besoin naturel.

Cet acharnement m’a permis d’avancer sur le cas qui passera aux assises de Nivelles dans une vingtaine de jours. Je me sens prêt, même si l’affaire est délicate et témoigne des bizarreries de la justice belge.

Lors d’un congé pénitentiaire, un détenu débarque avec un comparse dans une société de location d’hélicoptère. Ils forcent le pilote à embarquer l’un d’eux pendant que l’autre tient en otage le propriétaire de l’entreprise. Le pilote prépare un appareil et décolle. Le détenu lui ordonne de se poser dans la cour de la prison d’Ittre pour faire évader l’un de ses condisciples. L’hélicoptère se pose et le caïd monte à bord, suivi par une dizaine de détenus qui s’accrochent à l’appareil. L’engin s’élève de quelques mètres avant de s’écraser. Une dizaine de personnes sont blessées.

L’apprenti pirate de l’air est condamné à neuf ans de prison et fait appel. On constate qu’une cour d’assises aurait dû statuer sur ce dossier en vertu d’une loi de 1937 relative au vol et à la destruction d’un aéronef.

En conclusion, le détenu ne risque plus neuf, mais vingt à trente ans de prison.

Un vrai quitte ou double.

Le procès durera au mieux une semaine, peut-être dix jours. J’ai demandé à mon client de reconnaître les faits, de faire profil bas et de répondre poliment à la présidente de la Cour.

Je range mes dossiers, éteins l’ordinateur et me prépare à partir du bureau.

Je repense au dîner d’avant-hier, avec Leila. Le vin nous avait rendus joyeux, j’étais parvenu à me détendre.

Quand j’étais devant chez elle, elle s’est penchée vers moi et m’a donné un baiser, plus appuyé que la première fois. Elle m’a demandé si je voulais monter pour bavarder un peu. Je me suis entendu répondre que je n’étais pas encore prêt, que j’étais désolé.

Elle n’a pas insisté.

J’aurais pu m’en tirer avec un trait d’humour ou une pirouette. Le prétexte d’une soudaine migraine aurait été moins affligeant que ce pitoyable : « Je ne suis pas encore prêt. »

« Prêt » à quoi ?

Je sors du bureau à 19 h 15.

Je m’arrête au Déli, me choisis un plat et me range dans la file, derrière les divorcés, les célibataires et les bourreaux de travail.

Mon téléphone se met à sonner pendant que la caissière emballe mes emplettes.

Leila.

Je me range sur le côté et prends l’appel.

— Bonsoir Leila.

— Bonsoir, Jean. Comment vas-tu ?

— Un peu fatigué, j’ai eu une grosse journée, mais à part ça, je suis en pleine forme. Prêt à attaquer mon samedi au bureau.

La caissière me fait signe. La file s’impatiente, elle aimerait que j’accélère le mouvement.

J’avance d’un pas, glisse ma carte bancaire dans le terminal et poursuis ma conversation téléphonique.

— Quelles nouvelles, Leila ?

— Je viens de rentrer. J’ai allumé la télé et j’ai repensé à ce que tu m’as dit l’autre jour.

La promiscuité des clients m’importune.

— À quoi as-tu repensé ?

Je compose mon code, reprends ma carte et emporte mes provisions sous l’œil désapprobateur des gens pressés.

— Mardi, quand tu m’as appelée, en sortant de l’hôpital, tu m’as dit qu’Akim avait prononcé le nom d’Alex en regardant vers la télévision.

Il me faut quelques secondes pour remettre mes idées en place.

— En effet. Il y avait sans doute un rapport entre les deux, mais je n’ai pas compris lequel. Pourquoi ?

— Jette un coup d’œil au prochain journal télévisé, je me trompe peut-être, mais le lien est évident.

36

La deuxième personne

Le DVIT, le Disaster Victim Identification Team, le service d’identification des dépouilles mortelles lié aux unités spéciales de la police fédérale, se mit en devoir d’identifier les corps retrouvés dans la camionnette incendiée à Tubize.