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— C’est un euphémisme, si j’en crois ce que tu m’as dit.

Je balaie l’air d’un geste.

— Ce n’est pas son accueil qui me perturbe, mais le fait qu’il refuse de se faire assister par un avocat. Première bizarrerie. Le surlendemain, je visionne la vidéo du braquage. Je note, entre autres, qu’il porte des traces de coups sur le visage et qu’il regarde souvent vers l’endroit où se trouve la voiture dont les témoins ont parlé. Après avoir examiné plusieurs fois la séquence, je tire la conclusion qu’il ne cherchait pas à braquer ce bureau de poste, mais à fuir des hommes qui le poursuivaient.

Elle lève les sourcils.

— Extrapolation hasardeuse des faits doublée d’une conjecture basée sur des hypothèses non fondées.

Je souris.

— Pas faux, tu devrais devenir juge. Le futur va néanmoins me donner raison. Trois jours plus tard, Akim demande à être transféré d’urgence dans une autre prison. Je le rencontre et j’en déduis qu’il se sent menacé.

— Présomption légitime.

— Confirmée par les faits puisque le lendemain, il se fait agresser par plusieurs détenus qui le laissent pour mort. Le directeur de la prison me téléphone pour m’informer de ce qui s’est passé et présume que des détenus russes seraient à la base de l’attaque.

— Ce qui est pour le moins surprenant.

— En effet. Mardi, le lendemain de l’agression, je vais voir Akim à l’hôpital. Il est à moitié inconscient, mais il me reconnaît. Il m’indique la télévision et prononce un mot, Alex. Une heure plus tôt, on annonçait au journal télévisé que deux cadavres avaient été trouvés dans une voiture carbonisée et que la police reliait cette découverte au casse de Zaventem.

Elle se lève et se met à déambuler dans la pièce.

— À ce moment-là, personne ne savait qu’Alex Grozdanovic était l’un des deux cadavres.

— Tout à fait, on ne l’a appris qu’hier. Heureusement pour moi, tu as tout de suite fait le lien avec ce que je t’avais dit en sortant de l’hôpital.

— Parlons d’intuition féminine. Pour être sincère, j’ai failli ne pas t’appeler. Je ne voyais pas comment Bachir pouvait savoir trois jours avant la police qu’Alex Grozdanovic faisait partie des victimes.

Nous tournons dans la pièce comme des lions en cage.

— Sur ce, je me mets à la recherche d’un événement qui lierait Akim Bachir à Alex Grozdanovic et je constate qu’ils ont tous deux séjourné dans la même prison, à la même période. Je rencontre quelqu’un qui était incarcéré en même temps qu’eux, et il me confirme qu’ils se connaissaient et qu’il est fort probable qu’Akim Bachir ait aidé Alex Grozdanovic à s’évader. La boucle est bouclée. Fin de l’énoncé des faits.

Elle s’arrête.

J’en fais de même.

Nous sommes face à face, de chaque côté de la grande table ovale.

— Belle démonstration, Jean. Tu viens de lister les pièces du puzzle. Il nous reste à les assembler.

Je m’affale sur une chaise.

— Nous n’avons rien qui permette de le faire. Ce ne seraient qu’hypothèses, supputations et extrapolations.

Elle hausse les épaules et s’assied à son tour.

— Essayons quand même.

L’opiniâtreté dont font preuve mes consœurs me captive. Là où les hommes s’arrêtent, à court d’arguments rationnels, elles poursuivent la réflexion.

Elles sont souvent plus déterminées et plus fines que leurs homologues masculins.

— Tu as raison, rien ne nous empêche de tenter le coup. Commençons par la question cruciale. Comment Akim savait-il, avant tout le monde, que l’un des cadavres était Alex Grozdanovic ?

Elle ouvre les bras.

— Parce qu’ils étaient ensemble ce jour-là. Je ne vois que ça. Ils ont tous les deux participé au casse de Zaventem, mais quelque chose a mal tourné. Alex s’est fait tuer, mais Akim est parvenu à s’échapper.

La déduction est logique, mais je reste sceptique.

— Ça pourrait expliquer le message qu’Akim m’a demandé de transmettre à Youssef. Dites à mon frère que je suis vivant. En revanche, je ne vois pas Akim Bachir participant à un casse de cette ampleur. Ce n’est qu’un petit délinquant. Après avoir été le bouc émissaire de ses complices lors de ses premiers démêlés avec la justice, il est devenu le souffre-douleur des détenus. Je conçois mal que des braqueurs de haut vol recrutent un type comme lui. Quelle compétence peut-il leur apporter ?

— Alternative, il faisait partie de ceux qui ont éliminé Alex.

Le scénario me semble encore plus improbable.

— Akim aurait trahi ? Dans ce cas, on pourrait imaginer que Rachida était dans le coup et que le butin était chez eux. Piégé, il serait entré dans la poste pour simuler un braquage et lui aurait téléphoné pour qu’elle prenne le magot et s’en aille au plus vite. Je ne suis pas convaincu.

Elle semble dépitée.

— Arrêtons-nous là, il nous manque trop d’éléments.

— Les scénarios les plus improbables sont souvent proches de la vérité.

Elle s’immobilise et me fixe droit dans les yeux comme si elle venait d’avoir une révélation.

— Si tu étais flic, quelle serait la première chose que tu ferais ?

Je réfléchis quelques instants.

— Je vérifierais l’emploi du temps d’Akim Bachir le soir du casse de Zaventem.

Elle ferme un œil et lève un pouce.

— Tu devrais devenir flic.

— On me l’a dit encore tout à l’heure. Je vais suivre cette piste. On arrête pour aujourd’hui. Tu es libre ce soir ?

Elle fait la moue.

— Pas ce soir, j’ai un dîner entre filles. On va manger des saloperies qui font grossir et dire du mal des hommes.

— Ça risque de prendre du temps.

Une idée me vient.

— Ça te dirait de t’initier à l’escalade en salle ?

Ma proposition semble l’enthousiasmer.

— Excellente idée ! J’ai toujours rêvé de vaincre le vertige.

— Vendu. Je passe te prendre chez toi, demain matin, vers 10 heures. La première leçon est gratuite.

40

Une mort certaine

Le recrutement de Laurent Nagels se révéla moins mouvementé que celui de Sergio Cirilli.

Franck et lui avaient occupé la même chambre durant leur service militaire et avaient d’emblée sympathisé. Laurent appréciait l’intelligence et le savoir-vivre de son compagnon. En contrepartie, Franck aimait son humour caustique et le détachement hautain qu’il affichait. De plus, l’expertise qu’il possédait l’intéressait à plus d’un titre.

Bien avant son entrée à l’armée, Laurent Nagels s’était découvert une attirance pour tout ce qui touchait aux explosifs. Son père, chef mineur au sein d’une carrière basée non loin du Luxembourg, lui avait transmis sa passion alors qu’il n’avait que six ans.

Tout jeune, il avait appris la composition des différents explosifs, tant militaires que civils.

Il était capable d’en citer les caractéristiques, et il connaissait la différence entre l’effet de brisance et l’effet de poussée. Son père lui avait montré ce que pouvait produire chacun d’eux en utilisant de petites quantités dans le fond de leur jardin.

À l’âge de neuf ans, il avait élaboré un fumigène à base de nitrate de potassium et de sucre qu’il revendait à ses camarades de classe. Deux ans plus tard, il s’était lancé dans la fabrication de bombes artisanales faites de peroxyde d’acétone ou d’acide chlorhydrique mélangé à des boulettes de papier d’aluminium.