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À seize ans, il avait confectionné des engins plus puissants faits d’un mélange de nitrate d’ammonium et de mazout dans lequel il enfonçait un pétard à mèche en guise de détonateur.

Long, maigre, chaussé d’épaisses lunettes, il paraissait dix ans de plus que son âge. Son allure négligée, ses cheveux grisonnants et son teint cadavérique ne l’empêchaient pas d’avoir un certain succès auprès des femmes.

Il s’en était expliqué à Franck en usant de son habituel ton pince-sans-rire.

— Paraît que je leur fais penser à Gainsbourg. Tant qu’elles ne me demandent pas de chanter.

Lors de son retour à la vie civile, il avait embrassé la même carrière que son père. Il se préparait à lui succéder, ce dernier approchant de la retraite.

C’est à l’issue d’une soirée mouvementée à Bourg-Léopold que Franck avait pris conscience que Nagels était susceptible de lui être utile un jour.

Un soir, il avait proposé à Franck de prendre un verre pour fêter la fin de leur instruction et leur départ pour l’Allemagne. Vers 22 heures, ils avaient débarqué dans un bar enfumé et bruyant fréquenté par la population locale, majoritairement néerlandophone.

Ils s’étaient accoudés au bar et Nagels avait passé commande de deux bières en français.

Le barman avait fait mine de ne pas comprendre et lui avait demandé de répéter, en néerlandais cette fois.

Nagels avait haussé les épaules.

— Et puis quoi encore ? Je suis client, je parle français et tu as très bien compris ce que je veux. Deux bières, et que ça saute.

Cinq quadragénaires au physique de catcheur s’étaient approchés en bombant le torse.

Le sourire aux lèvres, le barman avait réitéré sa demande en ajoutant que s’il refusait de parler néerlandais, ses amis se chargeraient de lui apprendre quelques mots.

Nagels les avait toisés avec dédain avant de s’adresser au plus costaud d’entre eux.

— Comment on dit « va te faire foutre » dans ta langue de barbare ?

Alors que l’homme s’apprêtait à l’empoigner, il avait plongé une main dans sa poche et en avait sorti une grenade.

D’un geste vif, il l’avait dégoupillée et avait nargué le molosse.

— Tu n’as pas l’air très futé, Rubens, mais je suppose que tu sais compter jusqu’à cinq ?

Des cris avaient fusé de toutes parts, la panique s’était emparée des clients et le bar s’était vidé en l’espace de quelques secondes, les malabars en tête.

D’un geste calme, il avait replacé la goupille, remis la grenade dans sa poche et appelé le barman, tapi sous le bar.

— Pour nous, ce sera deux bières, s’il vous plaît, monsieur.

Au début du mois de septembre, alors qu’il attendait avec impatience la signature de Bradfer pour démarrer les activités de Vert d’experts, Franck reprit contact avec Nagels et lui proposa un déjeuner dans un restaurant du centre de Liège.

Nagels arriva en retard, l’haleine avinée, une cigarette au coin des lèvres.

Franck ne lui parla pas du projet. Il ne l’avait plus vu depuis la fin de son service militaire et souhaitait au préalable s’assurer qu’il était fiable, tant sur le plan pratique que comportemental.

Avant de prendre congé, il lui exposa le problème technique qu’il avait préparé.

— D’après toi, est-il possible de faire sauter une porte constituée d’une superposition de plaques d’acier trempé et de matériaux composites, sachant que derrière cette porte se trouve quelqu’un que tu ne veux ni tuer ni blesser ?

Nagels rajusta ses lunettes et se tritura le lobe de l’oreille pendant une longue minute avant de répondre.

— Ce que tu veux, c’est percer un blindage sandwich sans provoquer trop de dommages collatéraux ? Oui, ça doit être possible.

Franck manifesta sa satisfaction.

— Bonne nouvelle. Tu serais capable de t’en charger ?

Nagels lui adressa un clin d’œil.

— Pourquoi pas ? Tu comptes kidnapper le roi ou le pape ?

Équipé d’une valise volumineuse, Laurent Nagels débarqua chez Vert d’experts la semaine suivante.

Franck lui présenta Julie et Alex.

Comme à l’accoutumée, Julie se montra accueillante et enjouée.

— Salut, Laurent, tu as fait bonne route ?

— La E40, super, merci.

Alex, pour sa part, resta froid et distant.

— Moi, c’est Alex.

— Salut.

Ils se servirent un café et s’installèrent dans l’un des bureaux. Franck et Laurent échangèrent quelques plaisanteries et abordèrent les sujets d’actualité comme de vieux amis.

Alex marqua son impatience.

— Bon, si on passait aux choses sérieuses ? Franck t’a posé une question. Tu nous montres ce que tu sais faire ?

Nagels resta impassible, se leva et ouvrit la valise.

— J’allais y venir.

Il étala son matériel avec des gestes mesurés, posa de grandes feuilles de papier sur le sol et leur décrivit les différentes solutions qu’il avait envisagées, en spécifiant les avantages et les inconvénients de chacune d’elles.

Tous trois furent impressionnés par ses compétences et l’ingéniosité dont il avait fait preuve. Julie lui posa quelques questions auxquelles il répondit de manière précise.

Avant que Franck ne lui dévoile leur projet et lui propose de se joindre à eux, Alex s’interposa.

— Franck, je peux te parler un instant, seul à seul ?

Ils sortirent tous deux du bureau et descendirent dans le hangar.

Alex explosa.

— Je ne sais pas où tu es allé chercher cet ivrogne. Il connaît son sujet, d’accord, mais tu as vu la tête qu’il a ? On dirait un cancéreux en phase terminale. Il nous faut des mecs rapides, en excellente condition physique, capables de courir, de se battre, de tirer et de foutre la trouille. Les convoyeurs vont se marrer s’ils voient surgir ce zombie devant eux.

Franck l’apaisa.

— On a besoin de lui. On ne trouvera personne qui s’y connaisse aussi bien en explosifs et en qui on puisse avoir confiance. S’il accepte de marcher avec nous, ce sera à toi de jouer. Tu auras quatre mois pour faire de lui une bête de combat. Il devra se débrouiller pour venir tous les soirs et le week-end. Running, self-défense, maniement des armes, conduite rapide, il faut que tu lui apprennes tout ce que tu sais. Et plus une goutte d’alcool. Il doit être sobre et opérationnel pour la fin de l’année. Tu relèves le défi ?

Alex réfléchit quelques instants. Il n’avait pas grand-chose à faire de ses journées et ce genre de mission était dans ces cordes.

— Et s’il craque ?

— Tant pis pour lui, mais il ne craquera pas.

Alex lui tendit la main.

— Mille balles qu’il abandonne avant deux semaines.

— Tu m’en files cinq de plus s’il se montre à la hauteur de tes exigences.

— Tenu.

Début octobre, le contrat de sous-traitance, dûment signé par Jean-Luc Bradfer, arriva dans la boîte aux lettres de Vert d’experts.

Après avoir fêté l’événement à la Villa Lorraine avec Julie et Alex, Franck s’était mis à l’ouvrage. À plusieurs reprises, il s’était rendu dans la commune pour rencontrer le personnel en charge des travaux, opérer une sélection et leur proposer un contrat de travail.

Armé du mandat, il était allé à la banque et avait demandé une ligne de crédit supplémentaire pour racheter une partie des véhicules de la commune et le matériel existant.