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Accompagné d’Alex, il avait fait le tour des différents sites et préparé le planning pour l’année à venir, leur mandat débutant au 1er janvier 1994.

Une bonne nouvelle n’arrivant jamais seule, une société de gestion immobilière les contacta fin octobre et s’engagea à faire appel à eux.

Le dimanche 5 décembre 1993, à midi, eut lieu la première réunion des cinq membres de la future équipe chez Vert d’experts.

Nagels arriva une demi-heure avant l’heure, comme le lui avait ordonné Alex.

Les premières semaines d’entraînement intensif avaient donné de bons résultats. Il avait arrêté l’alcool et le tabac, sa condition physique s’était améliorée et il était capable de courir pendant cinq kilomètres sans s’effondrer sur le bas-côté de la route.

De plus, il avait appris les rudiments du combat à main nue et commencé le tir au pistolet.

Le changement d’attitude qui s’était opéré en lui amusait Franck. Il roulait les mécaniques, singeait la démarche d’Alex et se prenait pour un dangereux caïd.

Cirilli arriva en dernier.

Après la mise au point qu’il avait eue avec Franck, il leur avait donné son accord de principe, sous réserve que la présentation de Julie le convainque et que le cinquième larron soit au niveau.

Il salua Franck et Alex d’un hochement de tête, passa devant Julie sans lui serrer la main et fixa Nagels comme s’il venait d’insulter sa mère.

Wiménon grogna et montra les dents quand il passa à sa portée, ce qui fit sourire Franck et Julie.

Il prit une chaise, croisa les bras et attendit.

Franck débuta la réunion.

Il exposa le plan dans son ensemble en distinguant les cinq phases : mise en place, immobilisation, ouverture, saisie, repli.

Après cela, il remit à chacun sa partition.

— Vous allez devoir apprendre votre séquence par cœur. Dès la semaine prochaine, il faudra libérer trois soirs par semaine pour s’entraîner, apprendre à synchroniser nos gestes et savoir quand intervenir en fonction de ce que font les autres. Quand nous serons au point, nous ferons des tests grandeur nature. Dans quatre semaines, nous devons être prêts.

Il céda ensuite la parole à Julie, qui décortiqua les phases 1 et 2.

Franck éprouva un sentiment d’admiration.

Elle déroulait son discours sans empressement, de manière structurée, en cherchant le contact visuel avec chacun des présents. Son charisme et son expertise technique inspiraient le respect.

Cirilli, le visage fermé, faisait mine de se désintéresser de ce qu’elle disait, mais l’éclat qui brillait dans ses prunelles trahissait son excitation.

À la fin de son exposé, Nagels se leva et l’applaudit. Il embraya et décortiqua la phase 3 en faisant passer de main en main le matériel qu’il avait mis au point.

— Ne paniquez pas, vous ne risquez rien. Ce qu’il y a là-dedans est un mélange d’hexogène et de pentrite. Il est malléable, il résiste à l’eau et à la chaleur. En plus, il est difficilement inflammable.

Lorsqu’il eut terminé, il se campa sur ses deux jambes avec une attitude martiale, montra Cirilli du menton et questionna Franck.

— Et le nabot trisomique, il fait quoi dans notre aventure ?

Franck et Alex parvinrent de justesse à le sauver d’une mort certaine.

41

Sans toi

Estelle m’a déposé plusieurs fois à la salle, mais elle n’est jamais allée au-delà de l’entrée.

Elle prétextait que cette discipline n’était pas faite pour les femmes normales, que l’endroit empestait la testostérone, que les grimpeuses étaient des gouines dominantes et qu’elle aurait l’air d’Angela Merkel suspendue à une branche.

L’élégance avec laquelle Leila attaque ses premières parois dément ces préjugés. Elle enchaîne les prises avec des gestes précis, en souplesse et légèreté.

De temps à autre, son rire rompt le silence que seuls le cliquetis des mousquetons et le ripement des cordes viennent troubler.

Je l’observe, attentif, les pieds ancrés au sol, en maintenant la tension dans la corde pour qu’elle se sente en sécurité.

Elle est aux trois quarts de la voie lorsque son pied droit dérape. Elle tente de se rétablir à la force des bras, multiplie les efforts, mais finit par décrocher.

— Merde !

Son juron résonne dans la salle. À quelques mètres, dans la zone réservée aux ténors, Jean-Pascal, mon partenaire de dimanche dernier, me fait un clin d’œil.

Je bloque la corde dans le mousqueton et la ramène au sol en douceur.

Elle est déçue.

— J’étais sûre que j’allais y arriver.

— Tu y étais presque. Tu as une bonne lecture de la voie et tu avances à un bon rythme. Prends le temps de te reposer entre deux prises.

— Si je m’arrête, le vertige me prend.

— Ne regarde pas en bas. Économise tes forces. Utilise tes mains pour assurer ta prise, mais n’oublie pas que ce sont tes jambes qui doivent te faire monter.

Elle écoute mes conseils avec attention, en hochant la tête pour me signifier qu’elle enregistre.

— D’accord. J’y retourne.

— Tu ne veux pas attendre pour récupérer un peu ?

— Je bouillonne d’énergie.

— D’accord. Cette fois, tu vas jusqu’au bout.

Elle se plante au pied du mur et visualise le parcours.

Après avoir pris une longue inspiration, elle m’adresse un sourire et agrippe une des prises. La voie ne comporte aucune réelle difficulté, mais pour une première, je suis impressionné.

Elle grimpe avec agilité, trouve ses marques et s’arrête à deux mètres du sommet.

Je murmure un ultime conseil.

— Garde ton bassin proche de la paroi, décolle ton buste, tu y es.

D’une poussée, elle franchit la dernière étape et accède à la planchette de bois qui symbolise le sommet.

— Yes !

D’une autre poussée, elle s’écarte du mur et se laisse descendre, le corps relâché.

— Bravo, Leila !

Nous faisons claquer les paumes de nos mains comme des ados.

Elle savoure son succès.

— Merci de m’avoir fait découvrir ça. C’est une grande victoire sur moi-même. Je ne pensais pas pouvoir réussir. Je me sens en sécurité avec toi, j’ai l’impression qu’il ne peut rien m’arriver.

Je devrais me réjouir, me laisser aller, profiter de l’instant. Je ne pense qu’à Estelle, à cette connivence que j’aurais aimé partager avec elle.

Je me libère de la corde.

— Pour une première, tu as été brillante. On va se doucher ?

Elle a compris que d’autres pensées m’ont traversé l’esprit.

— D’accord, à tout de suite.

Nous nous retrouvons au bar un quart d’heure plus tard. Ses cheveux sont encore mouillés, ses yeux pétillent, elle est tout sourire.

— C’est moi qui offre. Qu’est-ce que tu bois ?

— Accepté. Une bière.

Elle interpelle Armelle.

— Deux bières, s’il vous plaît.

Cette dernière ne semble pas apprécier l’intrusion de cette inconnue dans ma sphère d’intimité.

Elle sert les bières en ignorant ma compagne.

— Vous mangerez ici ?

J’interroge Leila du regard.

Le visage avenant avec lequel Armelle a posé la question semble l’avoir refroidie.

— J’ai une proposition à te faire. On fait un crochet par une épicerie, on va chez moi et je te prépare quelque chose. Qu’est-ce que tu en penses ?

— J’en pense que je suis pour.

Nous sortons de la salle et prenons le boulevard Général-Jacques.

— Tu connais une épicerie ouverte le dimanche dans ton quartier ?