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— Jean Villemont, c’est moi qui ai téléphoné ce matin.

— Victor Rasson, enchanté. À cette heure-ci, ma secrétaire est déjà partie. Entrez.

Il m’indique le couloir.

— C’est tout droit.

Nous entrons dans une pièce surchauffée. Son bureau ressemble à celui d’un dictateur sud-américain.

Il le contourne, s’assied et me désigne l’une des chaises.

— Asseyez-vous. Si j’ai bien compris, c’est vous qui défendez Akim ? Je vous sers un café, de l’eau ?

— Rien, merci. En effet, je suis l’avocat de M. Bachir et j’aimerais vous poser quelques questions.

Il pioche un Kleenex et se mouche bruyamment.

— Saloperie de rhume. Je n’arrive pas à m’en débarrasser. Je pensais que la police allait venir m’interroger. Rien du tout.

— Ça ne m’étonne pas. Pour eux, l’affaire est réglée.

Il prend un deuxième mouchoir et parachève l’ouvrage.

— Pas pour vous ?

— Pour moi, elle ne fait que commencer. Depuis quand travaillait-il chez vous ?

— Deux ans. Il est venu me voir à sa sortie de prison. Il s’était marié et comptait avoir un mouflet. Il m’a juré qu’il avait décidé de changer de vie. Je lui ai donné sa chance. Je n’aurais pas dû. En tout cas, c’est la dernière fois.

Je ne relève pas.

— Sa culpabilité n’est pas prouvée.

Il incline la tête et agite une main.

— Oui, je connais la présomption d’innocence. N’empêche, si vous ouvrez un journal, c’est toujours avec des Arabes que ça se passe. Une agression, un Arabe, un vol, un Arabe, un meurtre, un Arabe. Mais je n’ai pas le choix, il n’y a plus un Belge qui veut faire ce travail, ils préfèrent pointer au chômage. Les Italiens et les Espagnols aussi. Les Polonais sont en situation illégale. Ça me laisse les Arabes et les Noirs. Avec le temps, j’ai appris à les faire travailler. Si on ne les traite pas à la dure, ils vous font tourner en bourrique.

Lieux communs, préjugés raciaux et raccourcis réducteurs.

— Vous avez eu des problèmes avec lui ?

Il secoue la tête.

— Il n’était pas pire qu’un autre. En tout cas, je n’ai jamais eu de plainte pour vol, c’est déjà pas mal. Il a bien cassé un truc ou deux, mais rien de dramatique.

— Comme vous le savez, les faits se sont produits le mardi 19 février. Monsieur Bachir est-il venu travailler la veille ?

Il s’empare de sa souris et consulte l’écran de son ordinateur.

— À première vue.

— À première vue ?

— C’est moi qui gère la société, mais c’est mon frère qui supervise le personnel. Il fait le tour des chantiers pour voir si les ouvriers sont en place et contrôler la qualité du travail. Vous voulez que je l’appelle ? Il est au dépôt.

— Ce serait aimable à vous.

Il prend son téléphone, appuie sur une touche.

— Maurice, tu peux venir une minute ?

Il raccroche sans attendre de réponse.

Presque aussitôt, une porte s’ouvre dans mon dos. Le sosie de Victor apparaît.

— Qu’est-ce qu’il y a ?

Il me montre du doigt.

— Monsieur est l’avocat d’Akim. Il a une question pour toi.

Je me lève et lui serre la main.

— Bonsoir, monsieur.

Il sent le tabac à plein nez.

— Bonsoir, qu’est-ce que vous voulez savoir ?

— Votre frère m’a dit qu’Akim Bachir était venu travailler la veille du jour où il a été arrêté. Vous vous souvenez de cette soirée ?

Il lève les yeux au ciel et réfléchit quelques instants.

— Il est venu au dépôt à l’heure normale pour prendre la camionnette. À part le jeudi, il travaille seul. Le lundi, il a deux chantiers à faire.

— Quelle est l’heure normale ?

Il regarde sa montre.

— Comme maintenant, entre 18 heures et 18 h 30.

— Vous l’avez vu après ?

Il hoche la tête comme si je venais de proférer une insanité.

— Bien sûr, il faut surveiller leur travail. J’ai fait un contrôle de son premier chantier vers 21 heures, le deuxième vers 23 heures, comme d’habitude. Il a ramené la camionnette un peu avant minuit. Je l’ai déposé à la station Beekkant et il est rentré chez lui en métro.

— Monsieur Bachir ne possède pas de voiture ?

Il hausse les épaules.

— Avec quoi voulez-vous qu’il s’achète une voiture ?

— Où se trouve son premier chantier ?

— Chez Buco Systems, une petite boîte d’informatique à Grand-Bigard.

J’enregistre l’information.

— Avez-vous un contrat avec l’aéroport de Zaventem, l’une des annexes ou l’un des commerces situés dans l’aéroport ?

Il ouvre de grands yeux.

— Non, pourquoi ?

— Avez-vous remarqué quelque chose de particulier ? Il se comportait comme d’habitude ce soir-là ?

Il fait une grimace.

— Akim, c’était plutôt un taiseux. Bonsoir, au revoir, merci, c’est tout. Ce soir-là, il était bizarre.

— C’est-à-dire ?

— Nerveux. Très nerveux. J’ai même pensé qu’il avait pris quelque chose. Il y avait une odeur. Il y en a qui fument des joints, même si je l’interdis.

— Bien, je vous remercie.

Il me dévisage, dubitatif, comme s’il hésitait à rajouter un élément.

— Il y a peut-être autre chose.

— Je vous écoute.

— Le client m’a appelé le lendemain. Il n’était pas content. Les poubelles n’avaient pas été vidées. Ce soir-là, Akim avait sans doute autre chose en tête. Je suppose qu’il préparait son coup.

Déduction hâtive.

Il ne vaut pas mieux que son frère.

Je salue le duo, ajuste mon chapeau et me dirige vers la sortie.

18 h 50.

Avec un peu de chance, le Ring sera moins engorgé. Je monte dans ma voiture et me livre à quelques calculs.

Akim disposait d’un créneau de trois heures pour participer au casse. En se présentant au dépôt à 18 heures pour prendre la camionnette, il aurait pu arriver à l’aéroport de Zaventem entre 18 h 30 et 19 heures, selon l’état du trafic. Il aurait retrouvé les autres membres de la bande sur place et attendu son heure.

Selon les journaux, l’attaque de Zaventem était parfaitement minutée. Elle s’est déroulée peu avant 20 heures et n’a duré que quelques instants.

S’il était parti immédiatement après l’opération, soit vers 20 h 15, il aurait pu foncer à Grand-Bigard et être présent sur son chantier avant l’arrivée de Maurice.

Le timing est jouable, mais le scénario est improbable, pour ne pas dire impossible. S’il avait participé au casse, il aurait oublié bien plus que quelques poubelles.

Reste à éclaircir les raisons de sa nervosité et de l’odeur bizarre.

Je lance le moteur et allume la radio. Après l’info trafic qui annonce un statu quo, la voix rauque de Bon Scott fait trembler l’habitacle.

« Highway to Hell ».

Le titre est de circonstance.

Après le café, j’ai annoncé à Leila que j’avais encore du travail et qu’il fallait que je rentre chez moi.

Au moment de nous quitter, elle m’a pris dans ses bras et nous avons échangé un long baiser.

Un fulgurant désir s’est emparé de moi. Le sang bouillonnait dans ma tête, mais mon corps ne suivait pas. J’aurais dû avoir une érection spectaculaire, mais je n’éprouvais qu’une sensation d’absence, comme si j’étais anesthésié à partir de la taille.

Plutôt que de risquer le fiasco, j’ai choisi le repli.

Je me suis libéré de son étreinte.

— Une autre fois, Leila.

Elle n’a pas insisté.

Cet épisode m’a tourmenté pendant le reste de la journée.