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J’ai tenté de me raisonner, de me dire que ce n’était qu’un cas isolé, que ça irait la prochaine fois, que mon corps devait, lui aussi, passer par un processus de deuil.

Ces pensées sont revenues me hanter pendant mon sommeil. Je m’imaginais impuissant pour le reste de mes jours, incapable de faire l’amour à une autre femme qu’Estelle.

La sonnerie du téléphone retentit.

La musique se met en sourdine et la voix de Leila couvre les accords de rock.

— Salut Jean.

Je ne peux m’empêcher de penser à ma déconfiture d’hier.

— Bonsoir Leila.

Elle semble survoltée.

— Je sors à l’instant de l’hôpital. J’ai parlé à Akim. Il faut qu’on se voie.

— Demain midi, si tu veux. Qu’est-ce qu’il t’a dit ?

— Je t’expliquerai demain. Il vaut mieux que je te le dise de vive voix.

45

Assister aux funérailles de son ami

Le mardi 5 mars 2013, quinze jours après le casse de Zaventem, la police suisse annonça que la brigade de répression du banditisme de Genève avait interpellé plusieurs personnes soupçonnées d’être impliquées dans le braquage.

Une importante quantité de diamants ainsi que la somme de cent mille francs suisses avaient été saisies la veille dans un immeuble de Meyrin, une commune proche de l’aéroport de Cointrin et de la frontière française.

Le ministère public précisa que plusieurs indices portaient à croire qu’une partie des diamants provenaient du braquage de Bruxelles.

Six des huit personnes interpellées furent relâchées après quelques heures. Les deux autres, un avocat genevois et un homme d’affaires français, furent prévenus de recel et entrave à la justice pénale et écroués.

Selon Le Temps, les enquêteurs avaient découvert une véritable « caverne d’Ali Baba » dans la cité satellite de Meyrin. Le journal suisse indiquait que l’avocat était connu, sans citer son nom, et que l’homme d’affaires travaillait dans l’immobilier à Genève.

Ce même jour, une trentaine de perquisitions eurent lieu en Belgique, plus particulièrement dans la région bruxelloise.

Selon le parquet de Bruxelles, vingt-deux personnes âgées de trente à cinquante ans furent interpellées, dont une dizaine connues pour appartenir au grand banditisme belge.

Lors de ces perquisitions, de fortes sommes d’argent ainsi que des voitures de luxe furent saisies.

Interrogé par un journaliste qui désirait savoir si la police pensait avoir mis la main sur les braqueurs de Zaventem, le porte-parole du parquet n’avait pas souhaité répondre.

Dans le même temps, les enquêteurs chargés de l’affaire estimaient que Laurent Nagels était probablement le deuxième homme retrouvé dans la voiture incendiée à Tubize.

L’homme avait quitté son domicile de Virton le lundi 18 février et n’était plus reparu depuis.

Laurent Nagels, citoyen belge âgé de quarante-trois ans, était l’un des membres historiques de l’équipe de Franck Jammet.

Surnommé l’Artificier pour ses connaissances en explosifs, il avait été arrêté une première fois en 1997 et avait purgé quatre ans de prison. Il avait été arrêté une deuxième fois en 2008, condamné à cinq ans puis été libéré en septembre 2012.

Par un concours de circonstances, les deux annonces intervinrent quelques heures avant les funérailles d’Alex Grozdanovic prévues à Bruxelles ce même jour, en début d’après-midi.

Au vu des derniers rebondissements, une question était sur toutes les lèvres : Franck Jammet viendrait-il en Belgique pour assister aux funérailles de son ami ?

46

Au bout de la ligne droite

Leila ne sourit pas, elle a les traits tirés et semble perturbée.

— Je suis navrée, Jean, j’étais coincée dans une réunion interminable. Je n’ai pas eu l’occasion de te prévenir.

Il est 13 h 30.

J’ai terminé mon repas et payé l’addition. Je m’apprêtais à quitter le restaurant.

Je me fais rassurant.

— Rassure-toi, je suis sorti du palais avec deux heures de retard. Je pensais que tu allais devoir m’attendre. Détends-toi et commande quelque chose à manger.

Elle jette un coup d’œil à l’horloge murale.

— Ce n’est pas possible.

— Qu’est-ce qui se passe, Leila ?

— Il fallait que je te voie au plus vite.

Je lui indique la chaise en face de moi.

— Tu peux au moins prendre le temps de te débarrasser et de t’asseoir.

Elle s’affale sur la chaise sans retirer son manteau.

Cette précipitation a l’avantage de dissiper le malaise que ma défection de dimanche aurait pu installer entre nous.

— J’ai vu Akim hier soir.

— Je sais. Qu’est-ce qu’il t’a dit ?

Elle se mord la lèvre.

— Je voulais te l’annoncer en y mettant les formes, mais le temps presse. En deux mots, il aimerait que tu ailles parler à Franck Jammet.

Ma longue fréquentation des salles d’audience m’a appris à encaisser un coup avec flegme ou impassibilité. L’une des manières de garder une contenance est de poser une question du tac au tac.

— Pourquoi ne m’en a-t-il pas parlé ? Il aurait pu demander à Youssef de me contacter.

Elle ferme les yeux et hoche la tête, comme s’il s’agissait de questions accessoires.

— Quand tu es allé lui rendre visite à l’hôpital, il était dans les vapes et le gardien écoute tout ce qui se dit. L’idée lui est venue quand il a vu le reportage sur la voiture incendiée à Tubize.

Je cherche à comprendre le rôle qu’il veut me faire jouer.

— Il veut que je parle à Jammet ? C’est tout ? Il n’a pas d’autres commissions ? Rien pour le Premier ministre ou pour le roi ?

Mon mouvement d’humeur ne fait qu’accroître la tension.

— Ne t’énerve pas, Jean. Il est désespéré. Il a peur. Il est persuadé que d’autres hommes essaieront de le tuer. Il est convaincu que tu peux parvenir à prendre contact avec Franck Jammet en te servant de tes relations.

— Je ne vois pas en quoi ça peut l’aider. Qu’est-ce qu’il attend de moi ?

Elle hésite.

— Que tu dises à Jammet qu’il sait ce qui est arrivé à Alex.

J’encaisse la gifle.

— Comment le saurait-il ? D’après le patron de sa boîte de nettoyage, il a travaillé le soir du casse.

— Il n’a pas voulu m’en dire plus. J’ai retourné la phrase dans tous les sens.

Je tente de reprendre mes esprits.

— Imaginons que je parvienne à contacter Jammet. Pourquoi lui dirais-je ça ? Il sait probablement ce qui est arrivé à Alex.

Un timide sourire apparaît.

— J’ai suivi le même raisonnement que toi. Dans ce cas, le message d’Akim se veut menaçant.

— Il se servirait de cette info comme monnaie d’échange, une manière de dire à Franck Jammet qu’il est prêt à garder le silence, mais en échange de quoi ?

Elle plisse les yeux.

— D’une protection. Tu m’as dit qu’il avait bénéficié de la protection d’Alex quand il était à Andenne. Il veut peut-être la même chose.

— Sauf si c’est Franck Jammet qui a mis le contrat sur sa tête.

— Dans ce cas, il lui propose un marché. Il promet de se taire à condition que Jammet rappelle ses tueurs.

— C’est possible, mais il faut aussi envisager une autre option : Franck Jammet ne sait pas ce qui est arrivé à Alex. Dans ce cas, ça ouvre d’autres possibilités.

Elle se penche vers moi.

— J’ai beaucoup réfléchi depuis hier soir, j’ai imaginé une dizaine de scénarios. Aucun ne m’a convaincue. Je suis arrivée à la conclusion que nous n’en saurons pas plus pour l’instant. Le mieux est de faire ce qu’il demande : prendre contact avec Franck Jammet, lui transmettre le message et voir sa réaction. Pour autant que tu sois d’accord de le faire.