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À chaque intervention, les mêmes questions revenaient.

« Qui étaient les braqueurs ? »

« Comment étaient-ils aussi bien informés ? »

« D’où venaient les explosifs ? »

Malgré les bulletins d’information confiants annonçant des arrestations imminentes, la police ne put que constater son impuissance. Les braqueurs n’avaient apparemment aucun lien avec le milieu du grand banditisme connu, l’enquête menée au sein de la société de sécurité n’avait abouti nulle part et la provenance des explosifs restait obscure.

Mai se déroula dans le calme. En juin, deux braquages eurent lieu, toujours selon le même mode opératoire, l’un dans les environs de Grammont, le vendredi 3, l’autre à Aarschot, le jeudi 30.

Lors de l’attaque de Grammont, l’un des convoyeurs fut blessé au visage lors de l’explosion. Franck envoya une lettre aux principaux quotidiens francophones et néerlandophones dans laquelle il présentait ses excuses auprès du convoyeur et de sa famille.

Cette initiative attisa la colère des policiers, mais lui valut les faveurs d’une partie de l’opinion publique qui lui attribua un surnom, « l’Élégant ».

Si Julie, Alex et Laurent appuyèrent la démarche, Sergio la désavoua, estimant qu’elle donnait une impression de faiblesse et risquait de renforcer la résistance des convoyeurs lors des prochaines interventions.

Début juillet, Franck réunit l’équipe chez Vert d’experts et décréta l’arrêt temporaire des opérations.

— Profitons de l’été et de notre argent. Nous reprendrons en septembre ou octobre. En attendant, prenez du bon temps et soyez prudents, les gens qui sortent des billets à tout bout de champ finissent par attirer l’attention.

Les six braquages réalisés depuis le début de l’année leur avaient rapporté cent trente-trois millions de francs, soit près de vingt-sept millions par personne.

Avant de clore la réunion, il leur lança un avertissement.

— J’ai loué un garage dans le sous-sol d’un immeuble, au centre de Nivelles. Il comporte deux entrées. Je vais planquer le matériel là-bas. En cas de coup dur, les flics viendront chez chacun de nous. Arrangez-vous pour qu’ils ne trouvent rien, pas un billet, pas un papier, pas un mégot de cigarette, rien. À partir de septembre, il faudra aussi que chacun prévoie un alibi pour les jours de braquage.

Sergio et Laurent partirent en vacances, le premier auprès de sa famille, en Italie, le second en Thaïlande.

Franck et Alex restèrent en Belgique pour s’occuper de la gestion quotidienne de l’entreprise. La saison battait son plein, de nouveaux contrats avaient été signés et les affaires étaient florissantes. Ils profitèrent du contexte favorable pour s’offrir des voitures plus conformes à leurs goûts, sans tomber dans le tape-à-l’œil. Alex opta pour une Audi 100 S4 Turbo, Franck choisit une Mercedes classe G.

Julie avait abandonné l’idée de trouver un job d’ingénieur et travaillait avec eux à temps plein. Franck avait également engagé sa sœur, qui avait terminé ses études et cherchait du travail pour les vacances.

À la mi-juillet, Franck et Julie quittèrent leurs appartements respectifs pour s’installer dans une villa à Rhode-Saint-Genèse, au sud de Bruxelles. Le bail de location signé, Franck se rendit dans le hall d’exposition de la maison Kaufmann, un facteur de pianos établi rue Royale.

Il tomba en arrêt devant un quart-de-queue Blüthner en noyer poli.

Martin Kaufmann fit son apparition, tout sourire.

— Je vois que vous êtes un connaisseur. Vous avez de la chance, il vient de rentrer. C’est une pièce unique. Mécanique Renner, clavier d’ivoire et d’ébène. Il date de 1960. Il n’a servi que comme objet décoratif. Si vous vous décidez rapidement, je peux vous faire un bon prix.

Franck s’assit et joua quelques pièces. Il aimait le son rond et chatoyant du Blüthner, mieux adapté aux dimensions de son salon que le timbre brillant d’un Steinway.

— Je le prends.

Dès la semaine suivante, il se remit à jouer.

Bien vite, il retrouva ses marques.

Après avoir revisité son répertoire, il s’attaqua aux sonates de Prokofiev, conçues avec une technique ardue et semées d’embûches. Il se lança ensuite dans des improvisations sur des thèmes de Beethoven et en éprouva beaucoup de plaisir.

Dans la foulée, il reprit contact avec son professeur et lui fit une démonstration de ses nouvelles découvertes.

Après l’avoir écouté, ce dernier l’applaudit.

— De l’improvisation à la composition, il n’y a qu’un pas. Tu devrais essayer.

Au début du mois de septembre, Franck ne se sentit pas prêt à recommencer les braquages. Il avait travaillé la majeure partie de l’été pour Vert d’experts et avait envie de s’offrir deux semaines de vraies vacances avec Julie.

Ils bouclèrent leurs valises, montèrent dans la Mercedes et partirent à l’aventure sur les routes de France.

Le hasard les mena dans le Lubéron, où ils firent une halte à Oppède-le-Vieux, un village médiéval construit au sommet d’un éperon rocheux. Envahi par une végétation abondante, le hameau avait pour toile de fond un magnifique paysage fait de forêts, de combes et de rocs.

Franck eut un coup de cœur immédiat.

— C’est ici que j’aimerais vivre.

Par un nouveau hasard, le patron de l’hôtel où ils étaient descendus leur parla d’une bastide en ruine située à la sortie du village. La propriété était en vente depuis plus d’un an. Le prix demandé était abordable, mais les frais à engager pour la remettre en état rebutaient les amateurs.

Ils prirent rendez-vous avec l’agent immobilier et firent la visite des lieux le lendemain.

Le domaine, entouré de vignes et d’oliviers, s’étendait sur quatre hectares et comprenait une imposante bâtisse datant du XVIIe siècle et plusieurs dépendances.

La propriété surplombait la vallée et offrait une vue panoramique sur le Lubéron.

À la fin de la visite, Franck prit Julie à part.

— Qu’est-ce que tu en penses ?

— J’adore.

— Si on l’achetait ?

— À deux ?

— Bien sûr, à deux, quelle question. Ce sera notre projet, notre havre de paix. On la retapera pierre après pierre.

Julie leva les yeux au ciel.

— C’est pire qu’un mariage, ce que tu me proposes là.

— Tu as le temps de réfléchir. Je peux mettre une option pendant quelques semaines.

— Quelques semaines ?

Elle héla l’agent immobilier qui fumait une cigarette non loin.

— Monsieur ?

Il écrasa sa cigarette et s’approcha.

— Oui ?

— On la prend.

Ils rentrèrent fin septembre, reposés, plus amoureux que jamais.

Franck dut reconnaître qu’il était un homme comblé.

À vingt-cinq ans, il était millionnaire, l’entreprise qu’il avait créée prospérait, sa passion pour le piano trouvait un second souffle, il était propriétaire d’un domaine et il partageait sa vie avec la femme qu’il aimait.

Un soir, alors que l’été touchait à sa fin, il s’assit au piano et se lança dans une interprétation passionnée. Julie, assise dans un fauteuil, les jambes repliées sous elle, l’écoutait en feuilletant un magazine.

Lorsqu’il eut plaqué le dernier accord, il vint auprès d’elle et s’assit sur l’accoudoir.

— Un jour, je réaliserai mon rêve, grâce à toi.

Il se décrivit au piano, sur la scène d’une salle de concert qui lui appartenait, interprétant ses œuvres, accompagné par un orchestre symphonique.