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Julie le prit par le cou et murmura dans son oreille.

— Grâce à toi, le rêve de quelqu’un va se réaliser.

Intrigué, Franck la questionna.

— Celui de qui ?

Elle se contenta d’une réponse laconique.

— Tu comprendras demain. Je t’ai réservé une surprise.

49

Un sourire sur ses lèvres

Le lendemain, Julie proposa à Franck de l’emmener chez ses parents.

Elle lui parlait souvent d’eux avec beaucoup de tendresse, mais il ne les avait jamais rencontrés et redoutait la confrontation. Par sa faute, elle avait délaissé la carrière prometteuse qui lui ouvrait les bras. Au lieu de cela, elle était secrétaire dans une petite entreprise de jardinage et se livrait à des activités susceptibles de la précipiter en prison pour quelques années.

Il s’en était inquiété auprès d’elle avant leur départ.

— Je n’oserai pas les regarder dans les yeux.

Elle s’était moquée de son trac.

— Fais surtout attention à ton nez s’ils te posent des questions.

Elle l’avait également dissuadé de mettre un de ses costumes hors de prix.

— Tu vas leur faire peur si tu mets ça, n’oublie pas que tu es censé être un bouseux un peu simple d’esprit.

Les parents de Julie habitaient à Watermael-Boitsfort, dans la cité-jardin Floréal, un ensemble de logements sociaux qui dataient de la fin de la Première Guerre mondiale. Le lotissement était composé de maisons identiques, aux façades crépies et aux boiseries peintes en jaune. Au printemps, les cerisiers du Japon qui bordaient les rues transformaient le quartier en un spectacle haut en couleur.

Le père de Julie était employé au sein d’une compagnie d’assurances, sa mère travaillait dans une grande surface. Michael, le frère de Julie, poursuivait ses études et vivait avec eux.

La maison était petite, mais pleine de charme. Les pièces en enfilade du rez-de-chaussée étaient lumineuses et rangées avec soin. D’innombrables objets étaient disposés de toutes parts : souvenirs de vacances, napperons, cadeaux, bibelots en tout genre. Les murs du salon étaient tapissés de photos. Franck reconnut avec amusement la petite fille au sourire malicieux qui illuminait nombre d’entre elles.

Pendant que Julie et sa mère préparaient le thé, il discuta de choses et d’autres avec le père.

Michael fit son apparition quelques minutes plus tard. Malgré la différence d’âge, Franck fut frappé par sa ressemblance avec Julie.

Il plongea dans les bras de sa sœur et lui glissa quelques mots à l’oreille avant de venir saluer Franck avec gaucherie.

— Bonjour, monsieur. Je suis heureux de faire votre connaissance et je voulais vous dire merci, c’est cool, ce que vous avez fait.

Franck ne comprit pas la raison de cette marque de gratitude et le clin d’œil que lui adressa Julie le retint de poser la moindre question.

— Bonjour Michael. Appelle-moi Franck et tutoyons-nous, ce sera encore plus cool.

Pendant le goûter, Franck meubla la conversation tout en observant Julie et Michael à la dérobée.

Il fut touché par les marques d’affection et la complicité qu’ils partageaient. Leurs regards se croisaient sans cesse. Ils se souriaient, fronçaient les sourcils, se livraient à des mimiques entendues. Sans faire usage de mots, ils échangeaient des messages et se comprenaient, comme les vieux couples qui ont leur propre mode de communication.

Vers 18 heures, ils prirent la route du retour.

Dès qu’ils furent chez eux, Franck l’interrogea.

— C’était quoi, ce « merci monsieur Franck » ?

Julie souriait en coin, comme si elle lui avait joué un bon tour et qu’il ne s’était rendu compte de rien.

— Je vais t’expliquer, viens t’asseoir.

Ils prirent place dans le canapé.

— Je t’ai dit que mon frère était fana de sciences ? En fait, c’est bien plus que ça. À côté de lui, je suis une demi-portion. Michael est une tête. Un cerveau. Un génie des maths.

Franck se prit au jeu.

— Tu lui as dit que je l’engageais, c’est ça ?

Elle posa un doigt sur sa bouche.

— Tais-toi et laisse-moi continuer. Malgré les années qui nous séparent, j’ai vite compris qu’il était beaucoup plus doué que moi. Quand les autres enfants jouaient au Monopoly ou au Stratego, notre jeu favori était de s’échanger des problèmes de robinets qui fuient ou de trains qui se croisent. À onze ans, il a résolu l’énigme des poissons rouges d’Einstein.

Franck fit une grimace.

— Les poissons rouges d’Einstein ? Albert avait des poissons rouges ?

Elle éclata de rire.

— Je t’explique. Cinq personnes de nationalités différentes habitent cinq maisons de couleurs différentes, boivent cinq boissons différentes, élèvent des animaux de cinq espèces distinctes et fument des sèches de cinq marques différentes. On ajoute à ça des indices du style : le Suédois élève des chiens, la personne qui habite la maison du milieu boit du lait ou celle qui fume des Blend habite à côté de celle qui élève les chats. La question finale est : « Qui a des poissons rouges ? »

Franck soupira.

— Je préfère le Monopoly. Cela dit, c’est qui ?

— Je ne te le dirai pas. Seuls deux pour cent de la population mondiale sont capables de résoudre cette énigme.

— Quel est le rapport avec les remerciements de Michael ?

Elle haussa les sourcils.

— Michael vient d’entrer à l’unif et il s’emmerde. Les cours se traînent, les profs sont gâteux, les étudiants se la coulent douce. En un mot, il ne se sent pas à sa place. Son rêve est de faire ses études dans une université qui répond à son niveau d’exigence, un établissement de pointe aux États-Unis. Tu as vu le niveau de vie de mes parents ? Même avec une bourse, ça reste hors de prix.

Cette fois, Franck comprit où elle voulait en venir.

— Heureusement, la grande sœur a fait ce qu’il fallait.

Elle redressa la tête avec fierté.

— Oui. Il va partir pour Harvard. Mais comme je ne suis pas supposée gagner une fortune dans le jardinage, je leur ai dit que tu étais un fils à papa et que tu m’avais donné un petit coup de main.

Il fit mine d’être vexé.

— Moi, un fils à papa ? Tu leur as laissé croire ça ?

Elle embraya.

— Ils l’ont cru. Ce n’est pas tout. J’aide aussi une copine qui a divorcé, une autre qui a perdu son job, un cousin qui se marie, plus quelques œuvres qui me tiennent à cœur, la Croix-Rouge, la recherche contre le cancer, des trucs du genre. Une vraie mère Teresa.

Il la dévisagea avec un étonnement mêlé d’admiration.

— Tu ne m’as jamais parlé de ça.

— Rassure-toi, ce sont toujours de petites sommes, pas de quoi me faire repérer.

Il se sentit ému.

— Ce n’est pas à ça que je pensais.

Ce qui lui importait, à lui, c’était sa salle de concert, son œuvre, sa réussite, sa mégalomanie. Elle, avec modestie, sans en faire étalage, aidait les gens qui l’entouraient.

Il l’attira contre lui.

— Tu es une femme extraordinaire.

Cette nuit-là, ils firent l’amour avec passion.

Au petit matin, Franck se leva sans un bruit et sortit dans le jardin.

Le soleil se levait, l’air était doux.

Il réfléchit au sens de ses actes. Depuis le premier billet de cinq mille francs qu’il avait convoité à l’église jusqu’au dernier braquage d’Aarschot, l’argent n’avait jamais été la finalité.