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Comme les fanatiques du base jump, les fous qui se lancent dans le vide la tête la première ou ceux qui dévalent les pentes enneigées à plus de deux cents kilomètres à l’heure, il était adepte d’un sport extrême. Comme eux, il recherchait la prodigieuse décharge d’adrénaline, plus addictive que la plus addictive des drogues. Comme eux, il voulait aller plus loin, plus vite, plus haut et avait besoin de flirter avec la mort pour se sentir vivant.

Le montant des butins qu’il empochait était son indice de performance.

Il pensa à la générosité de Julie, à l’empathie dont elle faisait preuve. Une nouvelle fois, elle lui donnait une leçon de vie.

Il se remémora ses années de scoutisme et les règles que Baden-Powell avait édictées.

« Le devoir d’un éclaireur est d’être utile et de venir en aide aux autres. »

Il se souvint des B.A. qu’il faisait et du sentiment de devoir accompli qui remplissait son cœur en fin de journée.

Il retourna dans la chambre, s’assit au bord du lit et regarda Julie qui dormait, la respiration paisible, les traits détendus.

Il se pencha vers elle et murmura quelques mots.

L’espace d’un instant, il vit naître un sourire sur ses lèvres.

50

Je viens de reprendre le dessus

Un flic plus âgé et plus massif que celui de la dernière fois est assis devant la porte d’Akim Bachir. Comme son collègue, il teste les lois de l’équilibre sur sa chaise, un journal dans une main, un crayon dans l’autre.

Il se lève, pose sa gazette et brandit une main pour me stopper dans mon élan.

Je prends les devants.

— Jean Villemont, je suis sur la liste.

Il tâte les poches de sa veste, à la recherche de la fameuse liste. Un regard en coin m’apprend qu’il est adepte de sudoku.

— Je vais vérifier.

Sans attendre, je poursuis ma marche vers la porte.

— Je suis son avocat.

Il hausse le ton.

— Une minute, monsieur, vous permettez.

Il sort sa liste, la déplie, cherche mon nom.

— Villemont, vous avez dit ?

— Vous avez bien entendu.

— Villemont, Jean, avocat. À ce propos, l’une de vos consœurs, Mlle Leila Naciri, est passée hier soir. Exceptionnellement, je l’ai laissée entrer, mais à l’avenir, il faudra…

— Qu’elle remplisse une demande d’autorisation de visite, je sais ! On va s’en occuper.

Je n’ai pas décoléré de l’après-midi. J’ai horreur de ne pas maîtriser la situation et je déteste qu’on me dise ce que je dois faire. Encore plus si l’injonction émane d’un confrère ou d’un client.

Il remonte son ceinturon pour asseoir son autorité.

— Je ne dis pas ça pour vous embêter, maître. Je fais mon métier, j’applique le règlement.

— Sauf pour les jeunes et jolies femmes.

J’en veux à Francis Lambotte de m’avoir parlé comme à un larbin. J’en veux à Akim Bachir de jouer au chat et à la souris. J’en veux à Estelle de ne m’avoir laissé aucune chance. Pour un peu, je rendrais Leila responsable de mon dysfonctionnement érectile.

Le regard du flic me fait comprendre que je suis allé trop loin.

Je grimace un sourire.

— Excusez-moi. Je suis un peu nerveux. Je suis désolé.

Magnanime, il accepte mes excuses.

— Ça peut arriver. Allez-y.

J’entre dans la chambre. Akim n’a pas bougé. Même position, même lit, quelques tuyaux en moins. Même gardien aussi. Ce dernier me pose la même question.

— Bonsoir, maître. Vous voulez que je sorte ?

— S’il vous plaît.

Il enfile sa veste et va rejoindre Sudoku.

Je m’assieds auprès d’Akim. Il est plus maigre et plus pâle que jamais.

Il tourne la tête dans ma direction. Son regard fuyant a disparu.

— Bonsoir.

Venant de sa part, c’est pour le moins surprenant.

— Bonsoir. Comment allez-vous ?

— Un peu mieux. Le docteur a dit que je pourrai sortir la semaine prochaine.

Autant profiter de ses bonnes dispositions pour mettre les points sur les i.

— Monsieur Bachir, je veux bien vous aider, mais il faut y mettre du vôtre. Vous ne voulez pas me parler, mais vous acceptez de parler à maître Naciri. Vous voulez que je contacte Franck Jammet sans que je sache de quoi il retourne. Vous me faites confiance, oui ou non ?

Il me regarde sans ciller.

De toute évidence, son attitude a changé.

— Je vous fais confiance, mais vous devez comprendre que je peux pas parler.

Finissons-en avec cette vieille rengaine.

— Je sais, vous l’avez déjà dit. Vous ne pouvez pas parler parce que vous n’êtes pas une balance. C’est parce que vous n’êtes pas une balance que vos amis vous ont chargé en 2007. C’est parce que vous n’êtes pas une balance que vous avez fait quatre ans de prison à leur place. Il serait temps d’arrêter de jouer au héros et de penser à vous, à votre femme et à votre fils.

Son regard se durcit.

— Je reverrai jamais ma femme et mon fils. Dès que je serai de retour dans ma cellule, ils vont me tuer.

Je prends un ton bienveillant.

— Vous ne retournerez pas à Forest. En sortant d’ici, vous irez au centre médical de Saint-Gilles. Dès que vous serez rétabli, ils vous enverront dans une autre prison.

— Je serai nulle part en sécurité. Déjà deux fois, ils ont essayé de me tuer. Ils me rateront pas une troisième fois.

Sans le vouloir, il vient de lâcher une information précieuse.

J’embraie, comme si je n’avais pas capté.

— Qu’est-ce que vous attendez de moi ?

Il bat des paupières.

— Je l’ai dit à Leila. Vous savez comment faire pour parler à Franck Jammet.

Je lui coupe l’herbe sous le pied.

— Je lui ai parlé cet après-midi.

Ses yeux s’agrandissent.

— Vous lui avez parlé ? Vous lui avez dit que je sais ce qui est arrivé à Alex ?

— Il m’a répondu que tout le monde sait ce qui lui est arrivé, il suffit d’ouvrir le journal. Il m’a aussi dit qu’il ne vous connaissait pas.

Il s’agite dans son lit.

— Je sais qui a tué Alex.

— Lui ne sait pas ?

— Non, lui pas.

Un pan de l’histoire s’éclaire, un autre s’assombrit.

— Qu’attendez-vous en contrepartie de cette information ?

— Il doit m’aider. Je ne veux pas mourir en prison. S’il m’aide, je lui dirai qui a tué son ami.

Je tente de masquer mon énervement.

— Bien. Je lui transmettrai votre message, mais il aimerait un indice, une information, quelque chose qui lui permettrait de vous situer.

C’était la condition avancée par Lambotte.

Il ferme les yeux, réfléchit quelques instants.

— Dites-lui que c’est moi qui ai allumé les bougies du gâteau d’anniversaire.

Je répète, en détachant les mots.

— C’est vous qui avez allumé les bougies du gâteau ? Vous êtes sûr qu’il va comprendre ?

J’ai à peine posé la question que je saisis la signification de son message.

La porte s’ouvre à cet instant et Youssef fait son entrée.

Je me penche vers Akim.

— Je passerai le message, mais je ne vous garantis pas la suite. Je vous laisse avec votre frère. Au revoir Akim.

Je salue Youssef au passage et sors de la chambre.

Mon cerveau bouillonne. Je n’ai pas perdu mon temps. En moins de dix minutes, j’ai reçu la confirmation qu’Akim n’est pas entré dans le bureau de poste pour commettre un braquage et j’ai compris le rôle qu’il a joué dans le casse de Zaventem.