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54

La tête en arrière

Je referme l’hebdomadaire, dubitatif.

— Qu’est-ce que tu en penses ?

Leila rayonne d’enthousiasme.

— C’était génial.

L’ivresse des sommets l’emporte sur le casse de Zaventem.

— Je parle de l’article.

Elle hausse les épaules.

— Tu connais la Télégazette ? À part le programme télé et quelques ragots sur les people, ils n’ont pas grand-chose à offrir. Le journaliste ne se base sur rien. Tout n’est qu’hypothèses et affabulations.

— Le coup de l’hélico est bien trouvé. En plus, son scénario colle avec les informations que nous avons.

— Peut-être. Bière, eau ?

Elle a relégué l’affaire au second plan.

— Bière.

— Je te l’apporte, assieds-toi.

Elle file vers la cuisine.

Comme dimanche dernier, elle m’a proposé de venir déjeuner après la salle. Sa deuxième expérience de grimpe a été une révélation. L’addiction est là. Avec ou sans moi, elle continuera.

Je prends place dans le fauteuil, songeur.

Lambotte ne m’a pas donné signe de vie depuis mon appel de mardi, mais je ne peux m’empêcher de gamberger. Même s’il semble digne d’une production hollywoodienne, le scénario du journaliste m’intrigue.

Si Franck Jammet a délégué la préparation du casse à Alex, comme il le prétend, cela expliquerait qu’il ne connaisse pas Akim Bachir. Et s’il n’avait fait qu’un aller-retour pour encadrer le braquage, cela expliquerait également qu’il ne sache pas ce qui s’est passé.

En revanche, je ne suis pas sûr que le survol de trois pays puisse passer inaperçu.

Leila réapparaît, un plateau dans les mains.

— Si tu savais le miracle que tu m’as fait découvrir. J’ai déjà envie de recommencer.

— On remet ça dimanche prochain, si tu veux.

Ce qui me semble évident, c’est qu’Akim Bachir a participé de manière indirecte au braquage en déclenchant la mise à feu du véhicule qui a servi de leurre.

Il était en possession de la camionnette de l’entreprise de nettoyage vers 18 heures. Son premier chantier se trouve à Grand-Bigard. À l’heure où a eu lieu le casse, le Ring commence à se désengorger. Il lui aurait fallu une demi-heure pour se rendre à Zellik, attendre le signal, allumer le gâteau d’anniversaire et revenir au chantier. L’horaire colle.

— Tu as faim ?

L’aller-retour expliquerait le travail bâclé et l’odeur bizarre qu’il exhalait. Le frère Rasson n’a pas perçu les effluves d’une substance hallucinogène, mais l’odeur causée par une forte activité hormonale. L’odeur de la peur.

— Tu as faim ?

Je sors de mes ruminations.

— Excuse-moi, Leila, j’étais dans mes pensées.

— Encore l’affaire Bachir-Jammet ?

— Je me demande pourquoi on cherche à éliminer Akim. La première fois, il a échappé aux tueurs en entrant dans la poste. La deuxième, en prison, miraculeusement. Comment pourrait-il savoir qui a tué Alex Grozdanovic ?

Elle pose ses mains sur ses hanches.

— Tu n’arrêtes jamais ? Si tu lâchais prise ? Respire. Détends-toi. Tu en sauras plus quand Lambotte t’appellera.

— S’il m’appelle.

— Et s’il n’appelle pas, tant pis.

Je soupire avec lassitude.

— Tu as raison. Profitons de l’instant. Je ne sais pas ce que tu as préparé, mais ça sent très bon.

Elle plisse les yeux.

— Tajine de poulet aux épices. Accroche-toi, ça va titiller tes papilles.

Nous nous installons autour de la table.

Nous revoilà sur les lieux du drame, une semaine plus tard. Cette fois, j’ai anticipé les événements et préparé ma sortie. Mon procès approche à grands pas, je dois tirer parti de chaque heure pour le préparer.

Le tajine est suivi par un gâteau marocain à l’orange.

Nous parlons de sa prochaine voie, des jours qui rallongent, des facéties de Patrick, de ses retards fréquents, de la voiture qu’elle compte acheter, de la dernière saison de Breaking Bad, de la mort d’Hugo Chávez.

J’ai arrêté de cogiter, je me sens bien.

Le dessert est suivi par un café serré.

Je consulte ma montre et m’apprête à annoncer mon départ.

Elle prend les devants.

— Avant que tu t’en ailles, il faut que je te dise quelque chose, Jean. Je veux dissiper tout malentendu entre nous.

Je suspends mon geste.

— Je t’écoute.

Elle a le visage grave.

— Je n’ai pas envie de faire l’amour avec toi.

Je le prends avec philosophie.

— Merci de le préciser.

— Si j’ai envie de m’envoyer en l’air, les occasions ne manquent pas.

— Je n’en doute pas.

Elle pose une main sur la mienne.

— Tu ne comprends pas ?

— Si, bien sûr.

— Non, tu ne comprends pas. Tu comprends beaucoup de choses, mais il y a des choses que tu ne captes pas. Alors, je vais te les dire clairement. Je suis très attirée par toi, Jean. Tu es brillant, drôle, humain. Tu es en même temps fort et vulnérable, original et prévisible, optimiste et désenchanté. J’aime ta présence, je me sens bien avec toi. J’aime quand tu m’appelles, j’aime partager tes passions, j’aime avancer avec toi sur ton affaire, j’aime chaque minute que je passe avec toi.

Je reste sans réaction, stupéfait, désarmé.

Je balbutie.

— Je ne sais pas quoi dire.

Elle continue à me fixer sans ciller.

— Je n’ai pas envie de faire l’amour avec toi. Ce n’est pas ce que j’attends. Je suis tombée amoureuse de toi. Complètement. C’est toute la différence. Ne dis rien. Je connais ta situation. Je n’ai pas peur d’attendre. Je me fous de tes hésitations, de tes doutes, de tes défaillances. Et si j’attends pour rien, tant pis ! Inch Allah !

Je me lève, les jambes flageolantes.

Elle accompagne mon mouvement, indécise.

Je fais quelques pas vers elle avec l’impression de peser un quart de tonne et la prends dans mes bras.

Elle se laisse aller contre moi.

— J’ai envie de sentir tes mains sur mon corps, Jean.

Elle m’offre sa bouche.

Je m’en empare sans retenue. Sa langue s’enroule autour de la mienne. Mes mains se faufilent sous son pull, cherchent le contact de sa peau.

Elle passe ses mains derrière ma nuque, avance son bassin. Une érection me déchire le ventre. Elle lève une jambe, l’autre, les replie autour de ma taille.

Accrochés l’un à l’autre, les lèvres soudées, les souffles à l’unisson, nous parcourons le couloir en direction de la chambre.

Ses mains s’attaquent à ma ceinture. Elle me déshabille, se débarrasse de ses habits à la hâte. Nous nous allongeons. Nue, provocante, elle s’ouvre sous moi, son regard vrillé dans le mien, avide, intense.

Sa main me guide. J’entre en elle, la pénètre avec une volupté qui m’était inconnue. Elle pousse un gémissement, referme les yeux et renverse la tête en arrière.

55

Il s’arrêtera tout seul

Laurent Nagels s’amusa à entretenir le suspense jusqu’à sa venue chez Vert d’experts, début février 1996.

Lorsqu’ils furent au complet, il déplia une carte de Suisse sur la table et tapota le document.

— Commençons par le début. Vous connaissez la Suisse ?

Sergio lui lança un regard assassin.

— Tu ne vas pas recommencer avec tes rébus.