Laurent arrondit les lèvres et lui envoya un baiser.
— Chaque hiver et chaque été, la Suisse est envahie par les touristes. En plus de nos amis italiens, les Français, les Allemands, les Anglais, les Américains et les Japonais adorent ce pays. Ils débarquent dans les stations huppées et claquent un paquet de fric. Pas cons, les Suisses acceptent sans rechigner les devises étrangères. En l’espace de quelques semaines, les banques sont bourrées de lires, de francs français, de dollars, de marks allemands et de yens japonais.
Les yeux d’Alex se mirent à pétiller.
— J’adore ce début.
Laurent lui adressa un clin d’œil.
— La fin n’est pas mal non plus. À la fin de la saison, tout ce beau pognon est envoyé à Genève, dans un centre de tri. Les devises sont comptées et réparties par type pour être renvoyées aux pays émetteurs. Les dollars, les marks et les yens sont d’abord transférés à l’aéroport de Zurich d’où ils sont expédiés dans leurs pays d’origine.
Sergio ricana.
— Tu comptes détourner l’avion ?
Laurent lui rendit sa grimace.
— Tu me laisses terminer, Benito ?
— Je rigole.
— Le transfert entre Genève et Zurich a lieu deux fois par an, en avril et en octobre. Les liasses de fric sont mises dans des sacs en toile scellés et étiquetés. Ça ressemble à ce qu’on trouve dans un fourgon, sauf qu’il y en a plus et que les sacs sont plus gros.
Franck se leva et se mit à arpenter le bureau.
— Continue.
— Les sacs sont expédiés par train postal. Un wagon blindé des postes suisses est accroché à un train de messagerie, plus court et plus rapide que les trains de marchandises. Il va de la gare de Vernier-Meyrin à celle de Zurich-Limmattal.
Surexcité, Alex se leva à son tour.
— Comment tu sais tout ça ?
— La greluche dont je vous ai parlé travaille pour la compagnie qui assure le transport. Quelques jours avant, la poste leur communique la date et le montant à assurer.
— Tu sais quand a lieu le prochain transport ?
— Je n’en ai aucune idée et je ne compte pas lui demander. En plus, ce n’est pas elle qui s’en occupe, mais je connais le nom de sa collègue.
Sergio intervint.
— C’est la collègue que tu aurais dû baiser.
Laurent balaya la plaisanterie d’un geste.
— Pas besoin, tout se fait par fax.
Julie, jusqu’alors silencieuse, se joignit à la conversation.
— Si on parvient à intercepter le fax en question, on connaîtra la date du transfert et le montant ?
Laurent lui sourit.
— C’est ce que j’aime chez toi, Julie. Tu n’ouvres la bouche que pour dire des choses intelligentes.
Franck tournait autour de la table comme un lion en cage.
— Je suppose que ce train est protégé par la moitié de l’armée suisse ?
Laurent s’esclaffa.
— Pas du tout. Les Suisses sous-estiment la criminalité et surestiment les compétences de leur police. Entre le centre de tri et la gare de Genève, le transport du fric se fait par une procession de fourgons. De ce côté, c’est sécurisé. À Zurich aussi, le transport de la gare vers l’aéroport est bétonné. Par contre, pendant le trajet, ils ne mettent que trois gardes dans le wagon. Pourquoi veux-tu qu’ils s’inquiètent ? Ça fait des années qu’ils font comme ça et il ne leur est jamais rien arrivé.
Alex n’en croyait pas ses oreilles.
— Tu as une idée du montant qu’ils trimballent ?
— Pas précisément. Je dirais l’équivalent de cinquante ou cent fourgons.
Franck se pencha sur la carte.
— Les Suisses ne surestiment pas les compétences de leur police. Leur situation est différente de la nôtre. Le réseau routier belge est le plus dense d’Europe. En plus des autoroutes et des nationales, tu as un tas de chaussées, de chemins ou de sentiers. Il est possible de passer entre les mailles du filet, on en a la preuve. En Suisse, tu as une route à deux bandes qui serpente au fond d’une vallée. En cas de pépin, les flics bloquent le passage des deux côtés et tu es cuit.
Laurent acquiesça.
— Pas faux, mais je suis sûr qu’il y a un endroit où on pourrait intervenir. Entre Genève et Zurich, le train parcourt deux cent quatre-vingts kilomètres. Un train de ce type roule à cent kilomètres heure. Ça nous laisse trois heures pour agir.
Sergio soupira.
— Tu as raison, c’est simple. Il faut juste arrêter le train. Si j’en crois la formule magique de Julie, avec ses m et ses v, il suffit de mettre un porte-avions en travers de la voie. Quand tu as ouvert le wagon, tu mets les centaines de sacs dans le coffre de ta Fiat Uno de location et tu te barres.
Franck éleva la voix.
— Vous n’allez pas recommencer à vous disputer comme des gamins.
Alex surenchérit.
— Pour moi, le plus difficile, c’est de dégager. En moins de deux, les flics auront installé des barrages. Si on doit déjouer les embuscades et passer la frontière avec un trente tonnes bourré de fric, on a toutes les chances de se faire choper.
Julie les écoutait, silencieuse. Elle était assise dans la position qui lui était coutumière, les jambes repliées sous elle.
Franck l’observa.
Elle fixait un point imaginaire, au-delà de la fenêtre. Il savait ce que cela signifiait. Son cerveau traitait les données à toute vitesse.
Elle se leva.
— Je sais comment arrêter ce train.
Sergio la considéra avec étonnement.
— Avec une baguette magique ?
Elle esquissa un sourire.
— Sans porte-avions ni baguette magique. Il s’arrêtera tout seul.
56
Reprendre la main avec panache
Il est 7 heures du matin, je sors de chez Leila. Le jour se lève et l’avenue Louise est embouteillée comme tous les matins. Sauf que ce matin est différent.
Certains moments s’ancrent au fond de nous. Nous savons qu’il en sera ainsi dès qu’ils surviennent, nos sens en ont happé les plus infimes parcelles.
J’entre dans ma voiture en chancelant, tâtonne sous le tableau de bord avec la clé de contact et cherche la première vitesse.
Avant de me mettre en route, je jette un coup d’œil dans le miroir de courtoisie. J’ai les cheveux en bataille, un sourire béat sur les lèvres et des cernes sous les yeux.
Je respire à pleins poumons.
Les images de mes ébats avec Leila sont imprimées dans ma mémoire. Il me suffit de fermer les yeux pour retrouver la saveur de ses baisers, le parfum de sa peau.
Je me mets dans la file et prends la direction du bureau.
Que penseront mes associés en me voyant arriver à cette heure, dans ma tenue de week-end, la mine chiffonnée ? Tout le monde comprendra ce qui s’est passé, mais personne ne me posera de questions.
J’allume mon téléphone. La sonnerie m’annonce l’arrivée de plusieurs messages. Je profite du feu rouge pour jeter un coup d’œil à l’écran.
Le premier SMS est de Leila.
J’adore découvrir les sommets avec toi.
Je souris de plus belle. Je me sens tel un sportif se pavanant sur la plus haute marche du podium ou une star saluant son public en liesse.
Je ferme les yeux. Mes mains se referment sur sa taille, ses seins palpitent, ses hanches ondulent.
Au carrefour suivant, j’ouvre le deuxième message. Moins sensuel, il émane de Lambotte. Il me demande de l’appeler au plus vite.
Leila est aussi expressive qu’Estelle était silencieuse. Elle me guide, m’encourage, me stimule, m’inspire toutes les audaces. J’obéis à ses injonctions, m’aventure hors des sentiers battus, découvre des plaisirs qui m’étaient inconnus.