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Je compose le numéro.

La voix sèche de Lambotte me ramène à la réalité.

— Bonjour, Jean.

— Bonjour, Francis. Je n’ai pas pu t’appeler plus tôt, j’étais occupé.

L’eau ruisselle sur nos corps. Elle me fixe dans les yeux, me tourne le dos, pose les mains sur la paroi de la douche. Un cri libérateur marque l’apogée de son plaisir.

— J’ai transmis le message à mon client.

— Merci.

— C’est tout ce que tu as à dire ?

J’atterris en catastrophe.

— Excuse-moi. Quelle est sa réponse ?

— Avant d’aller plus loin, il aimerait que tu lui envoies une note d’honoraires, à titre de provision.

En temps normal, il m’aurait fallu un dixième de seconde pour comprendre la ruse.

— Une note d’honoraires ?

— Une note d’honoraires, oui. C’est comme ça qu’on appelle une facture dans notre métier. Cinq mille euros feraient l’affaire.

Un éclair de lucidité me traverse, je vois où il veut en venir.

L’approche est astucieuse.

Avant de me communiquer la moindre information, Franck Jammet tient à ce que l’échange que nous aurons reste confidentiel.

Même si en règle générale un mandat oral suffit, une note d’honoraires l’entérine de manière officielle.

Par ce fait, je tombe sous le coup de l’article 458 du Code pénal. Dès cette minute, je suis tenu par le secret professionnel. Il peut me dire qu’il a organisé le casse de Zaventem, qu’il est l’amant secret d’Elton John ou qu’il a tué Kennedy, ça restera entre nous : je suis autorisé à ne rien dire aux flics. Quand je dis autorisé, c’est un euphémisme. Le même article me défend de communiquer la moindre information à d’autres personnes.

L’article 458, c’est l’ADN de notre métier. Si l’un de nous transgresse cette règle, il est fini, mort, enterré.

— Bien, je m’en occupe.

— Parfait, je t’envoie son adresse par mail.

Il s’empresse de raccrocher.

Cette fois, je suis bien réveillé.

Si mon état euphorique atténue quelque peu ma blessure d’orgueil, force est de reconnaître que le duo Lambotte-Jammet vient de reprendre la main avec panache.

57

Plusieurs romans

L’attaque du train postal Genève-Zurich du jeudi 3 octobre 1996 entra d’emblée dans les annales du grand banditisme. Pour beaucoup, elle fut considérée comme un modèle du genre et l’une des plus spectaculaires jamais réalisées.

Préparation minutieuse, ingéniosité et exécution sans faille furent des termes souvent repris dans la presse. De nombreux journalistes dressèrent un parallèle avec l’affaire du train postal Glasgow-Londres qui eut lieu en août 1963, en notant que ce dernier avait mobilisé dix-huit intervenants alors que le braquage du train suisse avait été réalisé par cinq personnes seulement, dont une femme.

Le week-end qui suivit, un célèbre présentateur de la télévision italienne déclara non sans humour que si l’on créait une école de braquage, la méthode mise en œuvre pour ce casse y serait à coup sûr enseignée.

En plus du déroulement et du montant du butin, le fait que les auteurs présumés ne furent jamais confondus ajouta à la légende.

La simplicité apparente de l’attaque ne laissait pas deviner qu’il avait fallu sept mois à Franck et à ses équipiers pour reconnaître les lieux et préparer l’opération.

Les trois cents kilomètres de voie ferrée avaient été arpentés et examinés. Une multitude de pages de calculs avaient été noircies, des centaines de photographies réalisées et une dizaine de scénarios envisagés avant de mettre au point le plan définitif.

L’opération proprement dite débuta dans l’après-midi, lorsque Laurent et Alex, vêtus de salopettes des CFF et équipés de caisses à outils, remontèrent avec nonchalance l’une des voies de délestage de la gare de Meyrin.

À l’aide d’une blue box, Julie était parvenue à pirater le fax de la compagnie d’assurances. Ils connaissaient le montant du transfert, la quantité de sacs et la manière dont les devises avaient été réparties dans ceux-ci.

Grâce au croisement d’autres données, ils savaient également quel était le numéro d’identification du train, sa composition et l’horaire.

Le convoi initial était constitué de onze voitures, six wagons de fret et cinq allèges postales, tractées par une locomotive électrique dont la vitesse de croisière était de cent kilomètres heure.

À 16 heures, le wagon blindé qui contenait l’argent serait rajouté en queue de convoi, portant à douze le nombre de wagons. À l’instar des trains de voyageurs, les Suisses mettaient un point d’honneur à respecter l’horaire établi.

Le train partirait de Meyrin à 16 h 55 et arriverait à Zurich-Limmattal à 21 h 30, soit une durée d’un peu plus de quatre heures et demie pour parcourir deux cent quatre-vingts kilomètres, compte tenu des zones de ralentissement.

Alex repéra l’emplacement de la loco. Comme prévu, les onze premiers wagons étaient prêts pour le départ.

Laurent se faufila entre la dixième et la onzième voiture et fixa le semtex sous l’un des tampons de choc.

La charge était de faible puissance, mais suffisante pour sectionner le système d’arrimage. Elle serait actionnée par l’impulsion électrique de la sonnerie d’un téléphone portable. Depuis peu, ces appareils inondaient le marché et Franck avait réalisé le profit qu’ils pouvaient tirer d’un tel équipement.

L’opération terminée, ils rejoignirent leur voiture et prirent la direction de Killwangen, un village qui se trouvait à cinq kilomètres de la gare d’arrivée de Zurich-Limmattal.

Ils respectèrent les limitations de vitesse et parvinrent peu avant 17 heures à la station-service de Würenlos située sur l’autoroute qui longeait la voie ferrée, face à Killwangen, de l’autre côté de la Limmat.

Attablé dans l’un des restaurants, Sergio les attendait en contenant son impatience.

— Alors ?

Alex l’apaisa d’un geste.

— Tout va bien. Ici, comment ça se présente ?

— Onze degrés, vent d’ouest, brise légère, la météo locale ne prévoit pas de pluie, pas d’humidité sur les rails.

Laurent prit un carnet et consulta une page qui contenait un tableau de données. Il y inscrivit les derniers paramètres dont il devait tenir compte pour déterminer quand la charge serait déclenchée.

— Bien. Il ne nous reste qu’à attendre.

À 20 h 30, Franck et Julie, affichant tous deux la tenue excentrique d’artistes américains, sortirent de l’aéroport de Zurich et montèrent dans le taxi qui les attendait pour les conduire à l’héliport voisin.

Franck portait un Stetson à large bord, une barbe fournie et des lunettes noires. Julie, enveloppée dans un manteau de fourrure, arborait une perruque blonde à la Marilyn, un rouge à lèvres flamboyant et des ongles assortis.

Quelques jours auparavant, ils avaient réservé un vol privé au nom de M. et Mme Cook pour se rendre à Bâle et assister à la soirée d’inauguration du musée Tinguely.

Dès que l’hélicoptère eut reçu l’autorisation de vol, Franck braqua un pistolet sur la tempe du pilote et Julie s’empara des commandes du Robinson 44 pendant qu’il menottait et bâillonnait l’homme.

À 20 h 42, l’hélicoptère vira à l’ouest et prit la direction de Killwangen.

À 21 h 18, le train postal traversa la gare de Mellingen et ralentit à l’approche du tunnel de Fislisbach. Le passage souterrain, long de près de cinq kilomètres, débouchait à l’entrée de Killwangen.