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Six minutes plus tard, Laurent, Sergio et Alex, postés à la sortie du tunnel, virent apparaître les phares de la motrice.

Les nerfs à vif, Laurent enclencha son chronomètre.

Julie avait conclu que l’endroit, l’heure et les conditions étaient les plus appropriés. La nuit était tombée et les lieux étaient déserts. En outre, les derniers wagons se trouveraient encore dans le tunnel au moment de l’explosion, ce qui empêcherait le conducteur de la motrice de remarquer la détonation. De même, l’épaisseur du blindage ferait que les gardiens du wagon la percevraient à peine.

L’œil fixé sur le chronomètre, une main levée, Laurent attendit que l’aiguille atteigne la ligne qu’il avait tracée sur le verre.

D’un geste vif, il abaissa la main.

— Top.

Alex enfonça la touche d’appel du téléphone.

Rien ne se produisit.

Dans un premier temps, ils crurent que le dispositif n’avait pas fonctionné. Le convoi passa à leur hauteur et poursuivit son chemin, indifférent à leur présence.

Les yeux rivés aux jumelles, Sergio dénombrait les wagons qui sortaient du tunnel.

— Huit… neuf… dix…

Il s’arrêta de compter.

— Mio Dio, grazie !

Les regards se tournèrent de concert vers le tunnel.

Un grincement strident retentit dans le lointain. Après un court instant, les deux dernières voitures émergèrent au ralenti de l’obscurité, accompagnées par une épaisse fumée.

Sergio murmura.

— Elle avait raison.

Il revit Julie faire la démonstration au tableau.

— Une conduite à air comprimé va de la tête à la queue du convoi. En cas de rupture d’attelage, la pression chute et les freins automatiques des wagons décrochés se mettent en action. Je devrai tenir compte de la masse des voitures, de la déclivité de la voie, de la vitesse, du temps de réaction des freins, de l’accélération de la pesanteur et autres trucs du genre, mais à huit ou dix mètres près, je devrais pouvoir déterminer la distance d’arrêt.

Quelques secondes plus tard, les wagons s’immobilisèrent le long d’une large plateforme en béton aménagée pour le transport d’engins agricoles fabriqués dans le village voisin.

Alex sifflota.

— Pile à l’endroit prévu.

Les trois hommes montèrent à l’assaut du wagon.

Laurent posa sa charge sur le système d’ouverture des portes. Sergio prit un mégaphone et hurla aux gardiens de se regrouper au fond de la voiture, de se mettre à plat ventre, coudes contre le sol et de boucher leurs oreilles.

La détonation vibra dans l’air.

Quand la porte du wagon céda, le vrombissement d’un hélicoptère se fit entendre.

Le Robinson fit son apparition et se mit à tournoyer au-dessus du wagon. Pendant que Sergio et Alex maîtrisaient les gardiens, Laurent déploya le filet en polypropylène dissimulé sous une bâche le long du quai.

Julie posa l’hélicoptère en douceur sur le quai. Franck fit sortir le pilote et l’emmena à l’intérieur du wagon.

À l’aide des étiquettes, ils identifièrent les sacs qui contenaient les grosses coupures. Ils se mirent en ligne et les sacs passèrent de main en main. En bout de chaîne, Franck les projetait au fur et à mesure dans le filet.

Lorsque l’opération fut terminée, Franck et Alex fixèrent les boucles de levage du filet au crochet situé au centre de l’appareil. Le poids ne poserait aucun problème, ce type d’équipement était utilisé pour l’héliportage de matériaux et permettait de transporter des charges de plus d’une tonne.

Ils montèrent à bord, l’hélicoptère décolla, vira au nord et fila en direction du Rhin. Quelques minutes plus tard, il franchit la frontière allemande.

Julie parcourut encore quelques kilomètres. Au sud de Griesen, elle largua le filet dans un champ et posa l’appareil à côté.

Laurent, Sergio et Alex récupérèrent les trois camionnettes garées à proximité, avec pour objectif de partir dans des directions différentes.

Pendant qu’ils se répartissaient les sacs, Julie et Franck redécollèrent et mirent le cap sur les contreforts de la Forêt-Noire. Dix minutes plus tard, ils abandonnèrent le Robinson en feu et montèrent dans une puissante Mercedes.

L’attaque du train postal Genève-Zurich fit la une des quotidiens européens. Le butin était estimé à trente et un millions de francs suisses, soit deux cent vingt-cinq kilos de billets.

Aucun coup de feu n’avait été tiré et personne n’avait été blessé. D’entrée de jeu, le juge d’instruction chargé de l’affaire qualifia le braquage de casse du siècle.

L’affaire du train postal Genève-Zurich inspira deux films, une bande dessinée et servit de base à plusieurs romans.

58

Dans cette affaire

Il est midi pile quand je débarque à la gare de Lyon Part-Dieu.

La première classe était loin d’être complète et mes voisins m’ont fichu la paix. J’aurais pu saisir cette opportunité pour approfondir la biographie de mon client, mais j’ai préféré m’en tenir à une rapide revue de presse et revoir mon dossier.

Je sors de la gare et traverse l’esplanade en espérant dénicher un taxi.

La rencontre a été organisée en deux temps.

Mardi matin, Lambotte m’a appelé, le ton méprisant.

— Mon client a bien reçu ta note d’honoraires. En conséquence, il aimerait organiser un tête-à-tête avec toi. Pour ne pas prendre trop de ton temps ni du sien, il te propose une rencontre à mi-chemin, à Lyon. Quel jour t’arrangerait ?

— Aucun.

Ma réponse était impulsive, mais elle a eu le mérite de le désarçonner.

— Soit. C’est ta position ?

J’ai laissé passer quelques secondes.

— J’ai un procès qui commence lundi. Disons samedi, c’est ce qu’il y a de moins pire.

— Je vais voir si ça peut s’arranger.

Comme il aime à le faire, il a raccroché sur-le-champ.

Je rejoins le boulevard et jette un coup d’œil à la ronde. Aucun taxi en vue. Un bus est stationné le long du trottoir, des tramways circulent sur le terre-plein central.

Le lendemain, il m’a rappelé.

— Mon client est libre samedi. Il te donne rendez-vous au sommet du Crayon, à Lyon. Si tu prends le TGV de huit heures et demie, tu y seras pour le lunch.

— Au sommet du Crayon ?

Il a ricané.

— Tu trouveras, tous les Lyonnais connaissent.

Je m’approche du bus et appelle le chauffeur.

— Bonjour, monsieur, je dois aller au sommet du Crayon. Quel est le moyen le plus rapide ?

D’un index jauni par la nicotine, il pointe un gratte-ciel qui monopolise l’horizon.

— Le Crayon. Vous y serez à pied en dix minutes.

L’appellation est de circonstance, la tour est cylindrique et surmontée d’un toit pyramidal.

Avant de raccrocher, Lambotte m’a suggéré de prendre un billet flexible pour le retour.

— En principe, tu devrais pouvoir rentrer samedi soir, mais on ne sait jamais.

— Qu’est-ce que tu sous-entends par « on ne sait jamais » ?

— Rien de particulier. Au cas où tu aurais envie de visiter Lyon by night.

Un quart d’heure plus tard, un ascenseur me propulse à la réception du Radisson Blu. L’hôtel occupe les derniers étages de la tour. Un panneau vante la vue exceptionnelle qu’offre le restaurant du trente-deuxième étage.

— Bonjour, madame, pourriez-vous m’indiquer le chemin du restaurant ?

— Avec plaisir, suivez-moi, monsieur.

Elle quitte la réception et me guide jusqu’à l’entrée.