Avant de quitter les lieux, Alex se pencha sur lui.
— Tu étais mon pote, tu ne l’es plus. Si tu parles de nous à qui que ce soit, tu es mort.
Le coup de tonnerre retentit trois mois plus tard, le jeudi 8 mai 1997.
Vers 11 heures, un fourgon blindé de la société Securitis qui circulait entre Philippeville et Dinant fut attaqué par cinq hommes cagoulés, armés de fusils-mitrailleurs et munis de gilets pare-balles. Après avoir immobilisé le fourgon au moyen d’un pieu, ils mitraillèrent le camion et tirèrent une charge explosive dans la cloison latérale à l’aide d’un lance-roquettes.
Le fourgon éventré, ils s’emparèrent de douze millions de francs et prirent la fuite à bord d’une Xantia et d’une Golf, en laissant derrière eux un convoyeur tué et l’autre grièvement blessé.
À l’entrée de Dinant, ils furent pris en chasse par plusieurs voitures de police appuyées par un hélicoptère. Ils n’hésitèrent pas à faire feu sur les policiers et s’engagèrent sur l’autoroute où ils parvinrent à semer leurs poursuivants.
Quelques kilomètres plus loin, alors que la Golf poursuivait sa route en direction d’Arlon, la Xantia prit la sortie de Wellin. Après avoir parcouru trois cents mètres, elle fut bloquée par un engin de chantier. Trois hommes sortirent de la voiture et tirèrent en l’air pour faire dégager la chaussée. Au lieu de se plier à leurs injonctions, le conducteur du bulldozer s’enfuit à toutes jambes.
Les braqueurs firent demi-tour et se retrouvèrent nez à nez avec deux voitures de police. Ils sortirent de leur voiture et ouvrirent le feu. Lors de la fusillade, l’un des braqueurs fut abattu, les deux autres sévèrement touchés.
L’un d’eux était Sergio Cirilli.
Le soir, Franck fit venir Alex et Laurent chez lui.
Lors de la conférence de presse, le juge d’instruction avait parlé de similitudes avec la vague de braquages qui s’était produite en 1994, en attirant l’attention sur le fait que les malfrats avaient ouvert le feu, ce qui ne correspondait pas au mode opératoire des casses précédents.
Franck et Alex arpentaient le salon de long en large quand Laurent arriva. Il était sur des charbons ardents. Depuis qu’il avait appris la nouvelle, il s’était remis à fumer et grillait cigarette sur cigarette.
Franck ne cacha pas son inquiétude.
— Aux dernières nouvelles, Sergio est dans un état grave. Même si ce fumier ne parle pas, les flics vont fouiner partout et ils savent s’y prendre. Il ne leur faudra que quelques heures pour remonter jusqu’à nous.
Laurent explosa.
— Quel connard ! Il a monté une équipe de bras cassés. Ils paniquent tellement qu’ils flinguent à tout-va. Qu’est-ce qu’on fait ? On attend qu’ils viennent nous cueillir ?
Alex se montra dubitatif.
— Partir en cavale, c’est signer des aveux.
Laurent prit une cigarette et l’alluma avec le mégot de la précédente.
— Facile à dire. N’oublie pas qu’ils ont mes empreintes. Ce sont de plus beaux aveux qu’une cavale.
— Ils ont peut-être les miennes aussi, on n’en sait rien. Si Sergio parle, on est cuits. S’il claque ou s’il ferme sa gueule, il nous reste une chance. Moi, j’attendrais.
Franck coupa court.
— Je ne peux pas t’empêcher d’aller te planquer, mais si tu fous le camp, tu nous mets dedans.
Laurent tira sur sa cigarette et l’écrasa d’un geste rageur.
— Qu’est-ce qu’on risque s’ils nous prennent ?
Franck soupira.
— Quatre, cinq ans, je ne sais pas. Ça dépend du nombre de braquages qu’ils nous mettent sur le dos. S’ils apprennent que Julie et moi avons appris à piloter un hélico, ils risquent de faire un lien avec le train postal.
Laurent frappa du poing sur la table.
— Quel con, ce Sergio !
Le surlendemain, Alex fut interpellé par la police alors qu’il sortait de chez lui.
Il fut conduit dans les locaux de la police judiciaire et subit un long interrogatoire. Il reconnut avoir eu des contacts avec Cirilli, mais nia toute participation dans le braquage de Dinant. Pour prouver sa bonne foi, il avança un alibi inattaquable. À l’heure des faits, il se trouvait dans un parc communal avec des employés de son entreprise. Cinq personnes pouvaient le confirmer.
En fin de journée, les policiers prélevèrent ses empreintes digitales ainsi que son ADN et le relâchèrent.
Quelques jours plus tard, alors qu’il pensait être hors de cause, il reçut une nouvelle visite de la police. Son domicile fut perquisitionné et il se retrouva dans le même local, face aux mêmes policiers.
L’homme qui avait mené le premier interrogatoire jubila.
— Tu sais ce que c’est, l’ADN ?
Alex ne répondit pas.
— Bien sûr, tu sais ce que c’est, mais tu penses que c’est un truc nouveau, que ça vient de sortir, que ça n’existe qu’aux States, que ces gros cons de flics belges ne savent pas ce que c’est, qu’il faudra attendre vingt ans pour que ça arrive ici et qu’on n’ira jamais voir en arrière. Pas de bol, Alex. En fouillant dans nos vieux cartons, on a retrouvé des traces de ton ADN. Que faisais-tu dans la nuit du 18 au 19 décembre 1992 ?
En fin d’après-midi, il passa devant un juge d’instruction qui délivra un mandat d’arrêt.
Le soir, il fut écroué à la prison de Forest.
Le lendemain matin, Franck et Laurent furent appréhendés à leur tour.
Confondu par ses empreintes, Laurent fut inculpé pour le braquage avorté de Halle et suspecté d’être l’artificier de la bande des braqueurs au piquet.
Même s’ils n’avaient aucune preuve tangible, les policiers étaient persuadés que Franck était le responsable de la vague d’attaques. Il subit un long interrogatoire, mais nia tout en bloc. Malgré cela, le juge d’instruction émit un mandat d’arrêt pour association de malfaiteurs et faits de grand banditisme.
Le soir, Julie rentrait d’une visite à Michael aux États-Unis.
À sa descente d’avion, elle apprit de la bouche de son père que Sergio Cirilli venait de mourir des suites des blessures qu’il avait reçues lors de l’attaque d’un fourgon à Dinant.
Il lui annonça également que son ami Alex était inculpé pour un braquage qui avait eu lieu en décembre 1992 et que Laurent Nagels était l’un des auteurs de l’attaque ratée de Halle en janvier 1995.
Elle ne comprenait pas comment il avait fait le lien entre elle et ces hommes.
Il devança sa question.
— Tu vas me demander où est Franck. La police pense qu’il est le chef de la bande. Il fait la une des journaux.
Il lui tendit le Soir.
La photo que le journaliste avait trouvée le montrait à son avantage. Julie la reconnut. Elle avait été prise à l’occasion de la fête de la musique. Plus d’une fois, elle s’était moquée de la pose qu’il prenait.
Il était aux côtés du bourgmestre Jean-Luc Bradfer, habillé d’un costume sombre, le regard fier, le sourire radieux.
Le journaliste avait trouvé un titre percutant.
60
Je vous le demande
— Vous trouvez que je roule trop lentement ?
J’ai une nouvelle fois le sentiment qu’il lit dans mes pensées. Je me faisais la réflexion à l’instant. Jamais il n’a dépassé les limitations de vitesse.
— Vous êtes prudent, c’est différent.
Il m’adresse un clin d’œil.