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— Il y est allé sans se méfier. Je suppose qu’il a entendu à la radio que le casse avait réussi. Il ne pouvait pas savoir ce qui s’était réellement passé. Quand il est arrivé au rendez-vous, ils ont essayé de l’éliminer, mais il a pu se sauver. Pour leur échapper, il est entré dans le bureau de poste et a joué au braqueur pour ameuter les flics.

— Ce qui lui a sauvé la vie. Momentanément du moins. Il a connu la taule, personne n’est en sécurité en prison. Il n’est pas le seul pigeon dans l’affaire. Plusieurs types se sont fait arrêter à Genève. Les flics ont fait une perquise et trouvé des cailloux provenant du casse. Je reconnais que c’est bien joué. Ils leur ont vendu quelques diams à un prix ridicule et ils ont alerté les poulets suisses. Une belle façon de brouiller les pistes.

— Ce qui prouve qu’il y a une bande organisée derrière tout ça. Vous avez une idée de qui sont ces hommes ?

— Une chose est sûre, ceux qui ont planté Bachir à Forest sont russes, mais ça ne veut pas dire que le type qui a programmé l’opération l’est aussi.

— Bachir est prêt à vous dire qui c’est.

Il hausse les épaules.

— Bachir ne sait pas qui est le type bien placé. Ce type-là est le chef d’orchestre. Bachir ne l’a jamais vu. Il a eu affaire à son premier violon, un gars qu’il a connu en taule ou un mec bien informé qui savait que Bachir et Alex se connaissaient. Le chef d’orchestre n’a pas mis ses mains dans le cambouis. Il a délégué les tâches.

— En d’autres mots, ce que Bachir est prêt à vous dire ne vous intéresse pas ?

— Bachir dira qui est le premier violon. De là, on remontera vers le chef d’orchestre.

Il arrête de parler, double un camion et se rabat avec prudence sur la file de droite.

« On remontera vers le chef d’orchestre. »

Qui est ce « on » ?

Nous approchons d’Avignon lorsqu’il reprend le fil.

— Alex est venu me proposer ce coup le 17 janvier. À ce moment-là, le chef d’orchestre connaissait la date du transfert, le montant estimé et le numéro de vol d’Helvetic Airways.

Il soupire.

— Je n’ai pas tout de suite réalisé ce que ça signifiait. Peut-être que ça aurait tout changé.

— C’est-à-dire ?

— Comme vous le savez, j’ai travaillé dans le secteur pendant quelques années. Dans ce type d’opération, la société de sécurité chargée de convoyer les pierres est prévenue une ou deux semaines avant le jour J. La compagnie d’assurances qui couvre le transfert est contactée encore plus tôt, je dirais trois semaines avant le jour J. Mais qui connaît la date d’un transfert de diamants plus d’un mois à l’avance ? Je vous le demande.

61

De ma vie

Franck Jammet suivit les conseils de son avocat.

Il contesta la décision de le maintenir en détention. La semaine qui suivit, il comparut devant la chambre des mises en accusation qui estima qu’il n’y avait pas de charges suffisantes contre lui et prononça une ordonnance de non-lieu.

Le 4 juin 1997, il retrouva la liberté.

Après dix-neuf jours de détention, il quitta la prison en fin de matinée et rentra chez lui, à Rhode-Saint-Genèse, où Julie l’attendait.

Elle ne lui avait rendu qu’une visite à Forest et n’était restée que peu de temps.

Franck ne lui en tenait pas rigueur. La police l’avait convoquée de nombreuses fois et l’avait soumise à de longs interrogatoires. Malgré la pression qu’elle avait subie, elle était ressortie libre et n’avait jamais été inquiétée.

En plus du choc provoqué par les événements, ses parents l’avaient désavouée et les journalistes la traquaient. Elle devait en permanence faire face aux attaques de toutes parts et subir le regard accusateur des autres.

Contrairement à ses attentes, elle l’accueillit avec froideur.

Elle avait les traits tirés, le teint pâle et les yeux rougis par les veillées prolongées.

— Je suis contente qu’ils t’aient libéré.

Il s’approcha, voulut la prendre dans ses bras, mais elle se défila.

Il exprima sa surprise.

— Qu’est-ce qui se passe ?

Elle le fixa droit dans les yeux.

— Ce qui se passe ? Tu me demandes ce qui se passe ? Je vais te dire ce qui se passe.

Elle recula d’un pas.

— Mes parents me tirent la gueule, ils ne veulent pas croire que je ne savais rien. Je suis harcelée par des journalistes qui hurlent des questions à mon passage. Tous les deux jours, les flics débarquent pour me poser trois cents fois les mêmes questions. Tu t’es inquiété de savoir ce que je leur avais dit, mais tu ne m’as jamais demandé comment j’avais vécu cet enfer. Ils sont venus perquisitionner et ont foutu le bordel partout. Il m’a fallu trois jours pour tout remettre en place. Je sais, tu vas me dire que toi aussi, tu es sous pression, que tu sors de prison, mais c’est la vie que tu as choisie, tu connaissais les risques.

Franck était désemparé.

— Je ne t’ai jamais vue comme ça.

Elle ne tint pas compte de sa remarque et poursuivit sur sa lancée.

— Dès que je sors, je vois ta tête dans les journaux. Tu es une star. « Franck l’Élégant », « le grand Franck », « le Dandy », on dirait qu’ils parlent d’un acteur ou d’une rock star. Tout le monde est persuadé que tu es le cerveau des braquages et salue ton élégance, ta classe, ton physique et ton habileté à rouler les flics dans la farine.

Il bafouilla.

— Je suis désolé.

Elle haussa les épaules.

— Tu es désolé, Franck ? Moi aussi. J’en ai marre de cette vie. Marre d’être la fille exemplaire, la première de la classe, la sœur parfaite, la compagne idéale. Je rêve d’une vie simple et sans surprises, tout ce que tu détestes. J’ai envie de choses banales, de petits plaisirs, de trucs ringards. J’ai envie de travailler, de voir mes copines, de déconner avec elles, de me préoccuper de ce que je vais faire à manger le soir, d’essayer vingt paires de chaussures sans en acheter aucune, de traîner en pyjama le dimanche, de rester trois heures chez le coiffeur, de passer une soirée dans le fauteuil à regarder une connerie à la télé avec un chat sur mes genoux. J’ai envie de penser à moi, à mon futur et à ma vie. Pire, j’ai même envie de donner la vie à un enfant.

Elle tourna les talons, s’enfonça dans le canapé, replia les jambes sous elle et se mura dans le silence.

Franck la regarda pendant quelques instants, ne sachant quelle attitude adopter.

Sans un mot, il prit son sac et monta à l’étage.

Alors qu’il défaisait ses affaires, il l’entendit traverser le hall et sortir de la maison en claquant la porte.

Durant les semaines qui suivirent, il dut faire face à de nombreux problèmes.

Ses parents étaient consternés. Sans que sa culpabilité soit prouvée, ils l’accablèrent de reproches. Il dut écouter son père louer l’éducation qu’il avait reçue et ressasser les principes qu’il lui avait inculqués.

Il le menaça de changer de nom si les soupçons qui pesaient sur lui se confirmaient.

Sur un autre front, il dut reprendre les rênes de Vert d’experts. L’annonce de l’arrestation des deux gérants avait plongé les clients dans l’expectative et bouleversé le personnel. Louise, la sœur de Franck, avait tenté tant bien que mal de sauver les meubles, mais son pouvoir de persuasion était limité.

Il organisa plusieurs réunions pour rassurer les travailleurs et rendit visite à tous les clients pour redorer le blason de son entreprise.

D’un côté comme de l’autre, il prit conscience que les gens qui l’entouraient le regardaient différemment depuis les événements de mai. Ils ne s’adressaient pas à lui de la même manière, avec crainte, respect ou une admiration feinte.