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— Vous êtes parfaite.

Elle lance un regard entendu à son mari.

— J’ai mis du rosé au frais, sauf si vous préférez autre chose.

— Du rosé, ce sera très bien.

Elle s’éclipse vers le fond de la pièce.

Jammet m’indique les fauteuils placés en arc de cercle autour du feu de cheminée.

— Asseyez-vous.

Nous sommes à peine assis que Julie fait son retour. Elle pose un plateau garni de trois verres et d’un seau à glace d’où émerge le col d’une bouteille.

— Voilà, je vous laisse.

Je marque mon étonnement.

— Vous ne trinquez pas avec nous ?

— Je vous retrouve pour le dîner.

J’en déduis qu’elle n’est pas la personne qu’il voulait me faire rencontrer.

Pendant que Jammet remplit les verres, la porte d’entrée s’entrebâille.

Un homme au visage buriné avance dans la pièce. Il est trapu et un foulard retient ses longs cheveux blancs. Je le situerais entre les soixante-cinq et les soixante-dix ans.

Il vient jusqu’à nous et s’assied en face de moi dans un silence de plomb. Sans me lâcher des yeux, il pose les coudes sur ses genoux et croise les mains.

Jammet hoche la tête en signe d’acquiescement, sans nul doute un message destiné à notre invité.

— Je vous présente Pépé.

L’homme continue à me dévisager sans un mot.

À force de côtoyer des truands de tout acabit, j’ai fini par les identifier. Bien souvent, il me faut moins d’une minute pour parvenir à les cerner. Les faux durs, les demi-sel, les petits voyous, les vicieux, les menteurs, les rouleurs de mécaniques, les psychopathes, les beaux mecs et j’en passe. Je pourrais dresser un catalogue qui listerait leurs spécificités.

L’homme qui me fouille du regard bouillonne de colère, une colère qui le ronge et est prête à exploser.

63

Le fruit ne tombe jamais loin de l’arbre

Les parents de Julie virent leur réconciliation d’un mauvais œil, mais elle se montra catégorique et répondit à leurs récriminations sur un ton sans appel.

— Je suis toujours votre fille, mais j’ai grandi. Mes décisions m’appartiennent, que ça vous plaise ou non.

Après cette mise au point lapidaire, ils s’abstinrent de revenir sur la question.

Franck reprit son travail avec une énergie nouvelle.

Ce qui n’était au départ qu’une couverture était peu à peu devenu une passion. Ce métier lui plaisait, il aimait vivre au grand air, rencontrer les clients, motiver ses équipes. Ces derniers appréciaient ses qualités de meneur d’hommes et le respectaient.

Franck et Julie passèrent les fêtes de fin d’année en tête à tête, à Oppède-le-Vieux. Elle n’avait pas revu la maison depuis près d’un an et fut impressionnée par l’avancement des travaux. En plus de la bâtisse principale, une des dépendances avait été reconstruite et une grande partie des jardins aménagée.

Le 31 décembre 1997, pendant que l’église du village sonnait minuit, elle prit un air mystérieux.

— On dit que la pensée qui te traverse l’esprit le dernier jour de l’année, au douzième coup de minuit, se réalisera dans l’année.

Franck la prit dans ses bras.

— Quel est ton vœu ?

Elle posa un doigt sur sa bouche et lui envoya un baiser.

— Je te le dirai l’année prochaine, s’il se réalise. En attendant, je vais te confier un autre secret, quelque chose que je te cache depuis plusieurs mois.

Franck était interloqué.

— De quoi parles-tu ?

Ses yeux se firent espiègles.

Elle lâcha dans un souffle.

— C’est l’Allemand.

— Quoi, l’Allemand ?

— C’est l’Allemand qui a les poissons rouges.

En mars 1998, les procès d’Alex et de Laurent s’ouvrirent à deux semaines d’intervalle.

À l’issue de ceux-ci, Alex fut condamné à trois ans de prison pour le braquage de décembre 1992 et Laurent écopa de quatre ans pour le casse avorté de Halle, malgré les objections de Francis Lambotte à propos de l’inculpation pour vol à main armée, celui-ci arguant que personne n’avait vu son client une arme à la main et qu’un cadre métallique, même bourré d’explosifs, n’en était pas une. Aucun d’eux ne livra les noms des autres complices.

Par une bizarrerie du sort, tous deux furent condamnés pour des braquages qui avaient échoué. Alex fut écroué à la prison de Jamioulx, près de Charleroi, Laurent à la prison de Lantin, le plus grand établissement pénitentiaire du pays, situé dans la province de Liège.

Mi-mai, Julie invita Franck dans un grand restaurant.

À la fin du repas, elle fouilla dans son sac et lui remit un cadeau d’un geste anodin.

— Tiens, c’est pour toi.

Franck s’étonna.

— Un dîner, un cadeau. Qu’est-ce que tu mijotes ?

Elle le dévisagea avec malice et fit un petit mouvement de tête vers le présent.

Franck déballa le paquet et ouvrit le boîtier qu’il contenait.

Il contempla la montre, bouche bée.

— Une Audemars Piguet. Tu es dingue ? En quel honneur ?

Elle prit un ton solennel.

— Monsieur Jammet, acceptez-vous d’être le père de mon enfant ?

Antoine naquit le 31 décembre 1998, à la clinique Édith-Cavell, à Uccle.

En mars, alors que son congé de maternité touchait à sa fin, Julie prit la décision de démissionner de chez Arianespace pour se consacrer à son fils.

Franck commençait à accepter la perspective d’une vie de famille sans histoire et ses rentrées d’argent officielles lui permettaient de couvrir leurs dépenses sans attirer l’attention du fisc.

Même si le parfum de l’aventure venait de temps à autre le titiller, il pensait avoir tourné la page sur ses années de braqueur. Un de ses anciens complices était mort, les deux autres étaient en prison et le dernier membre de la bande était devenu la mère de son enfant.

Une visite à la prison de Jamioulx faillit remettre ses certitudes en question.

Ce jour-là, Alex lui parut plus nerveux que de coutume.

Franck s’en inquiéta.

— Qu’est-ce qui t’arrive ?

— J’ai demandé à parler au juge d’instruction.

— De quoi veux-tu lui parler ?

Alex grimaça un sourire.

— J’ai dit que je voulais soulager ma conscience.

Franck explosa.

— Qu’est-ce que tu racontes ?

— Calme-toi. C’est le prétexte que j’ai trouvé pour qu’il accepte ma demande. Je suis convoqué chez lui vendredi. Arrange-toi pour être bien entouré ce jour-là, que les flics ne viennent pas te chercher des poux.

Franck comprit où il voulait en venir.

— Ne fais pas le con, Alex, ça n’en vaut pas la peine. Avec ce que tu as purgé en préventive et les remises de peine, il ne te reste que quelques semaines à tirer.

— On a besoin de moi à l’extérieur, je t’expliquerai.

Le vendredi 2 avril 1999, la veille du week-end de Pâques, Alex fut transféré de la prison de Jamioulx vers le Palais de Justice de Bruxelles.

Comme il figurait sur la liste des individus dangereux, des précautions particulières furent prises et une voiture de police fut chargée d’ouvrir le passage.

Dans le tunnel Louise, au centre-ville, le véhicule fut pris dans les embouteillages. Alors qu’il était immobilisé au milieu du tunnel, à quelques centaines de mètres du Palais de Justice, une violente explosion retentit et la porte arrière du fourgon vola en éclats.

Trois hommes cagoulés, équipés de gilets pare-balles et armés de Kalachnikov apparurent.