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Je commande le plat du jour et un Perrier avec la certitude que je ne pourrai avaler ni l’un ni l’autre.

Un policier entre et se dirige vers moi.

— Maître, on vous demande au téléphone.

Ma gorge devient sèche.

— Bien, je vous suis.

Il me dirige vers un bureau à l’étage. Un homme aux traits anguleux me tend le combiné.

Je m’éclaircis la voix.

— Jean Villemont.

— Bonjour, maître, Olga Simon. Je suis au regret de vous informer que M. Akim Bachir s’est évadé ce matin pendant son transfert vers la prison de Saint-Gilles. Un gardien a été blessé pendant l’opération.

Je feins la surprise.

— C’est incroyable, je lui ai parlé pas plus tard qu’hier soir. Rien ne laissait supposer qu’il préparait quelque chose.

— C’est pour ça que j’aimerais vous voir. Je souhaite vous poser quelques questions.

— Bien sûr, c’est urgent ?

— Des questions de routine.

— Je suis aux assises de Nivelles cette semaine et la semaine prochaine.

Elle hésite.

— Lundi, en début de soirée, quand vous aurez fini votre journée ?

— Disons 18 h 30.

— Lundi 18 à 18 h 30. C’est noté. Bon week-end.

Son ton sec et sa fausse désinvolture ne me disent rien qui vaille.

Si ce sont de simples questions de routine, pourquoi n’a-t-elle pas délégué cette tâche aux flics ? En principe, la police est chargée de procéder à l’audition des témoins ou des suspects, même s’il s’agit d’un avocat. Nous sommes soumis au même régime que n’importe quel citoyen.

Une question reste en suspens : suis-je témoin ou suspect à ses yeux ? En principe, un juge d’instruction ne procède lui-même à une audition que s’il entend inculper ou décerner un mandat d’arrêt.

Je redescends et consulte ma montre. Avec l’audition des témoins, l’après-midi risque d’être longue.

Je sors au pas de charge, grimpe dans ma voiture et compose le numéro de Leila.

Elle répond aussitôt.

— Jean. J’allais t’appeler.

— Tu as entendu ?

— À l’instant.

— La juge d’instruction vient de m’appeler.

Elle laisse planer un bref silence.

— Tu le savais ?

Des fourmillements remontent le long de mes mains.

J’aimerais lui dire que j’ai joué un rôle actif dans l’évasion, que je fais partie des comploteurs, que je ne mérite que disgrâce et mépris.

Pour toute réponse, je lui offre un silence éloquent.

Elle retourne le couteau dans la plaie.

— On se voit ce week-end ?

Je suis incapable de jouer dans ce registre.

— Ce week-end, ce n’est pas possible. Le procès prend une tournure inattendue et je dois complètement revoir ma stratégie. Je vais passer les deux jours là-dessus.

Elle encaisse le coup.

— Je comprends.

Sa voix a changé, sa déception est palpable.

Je tente de prendre un ton enjoué, mais il sonne faux.

— Ce n’est que partie remise, cela n’en sera que meilleur la prochaine fois.

Elle répond d’un ton neutre.

— Oui, sans doute.

72

L’arrivée du printemps

En 2004, Franck en eut assez de battre le pavé parisien et prit la décision de faire quelques déplacements. En mars, il partit pour le Cap et rendit visite à Laurent, qui avait ouvert un commerce de vins sous son nouveau nom.

Pour lui, l’Afrique du Sud était le paradis sur terre.

— Les filles sont superbes, il suffit de se pencher pour ramasser du fric, il fait toujours beau et les horloges tournent moins vite qu’en Europe.

Deux mois plus tard, il passa une quinzaine de jours chez Alex, à Barcelone. Après avoir bourlingué, ce dernier avait racheté un bar à bières dans une rue adjacente aux Ramblas.

— Cette ville est incroyable, les Catalans ont le sens de la fête et les femmes sont magnifiques, toujours prêtes à sortir, à rire, à danser et à s’envoyer en l’air.

Franck l’avait taquiné.

— Je croyais que tu m’avais laissé tomber pour rejoindre la femme de ta vie.

Il avait levé les yeux au ciel, fataliste.

— La pauvre, elle ne savait pas cuisiner. Je me suis créé un semainier, chaque jour une autre femme.

Entre la mi-juillet et la mi-septembre, il séjourna huit semaines à Oppède-le-Vieux.

Par mesure de précaution, il ne sortait de la propriété qu’une fois par semaine, au petit matin, pour faire ses courses à Avignon.

Julie vint le rejoindre à la fin juillet. Antoine avait commencé à suivre des leçons de piano avec le professeur de Franck et progressait à grands pas. Franck fut subjugué par l’aisance et la finesse avec lesquelles il jouait de courtes pièces de Schumann.

Louise, la sœur de Franck, vint également passer quelques jours avec lui. Elle emmena Wiménon, qui approchait des quinze ans et gardait la forme. Malgré le temps passé, le chien se souvenait de Franck et ne le quittait pas d’une semelle.

Le 31 décembre, Alex et Laurent déployèrent des ruses de Sioux pour venir à Oppède-le-Vieux et respecter le pacte tacite du rendez-vous annuel. Le plaisir des retrouvailles fut intact, d’autant que Julie ne les avait pas vus depuis un an.

Quand la maison fut calme et Julie endormie, Alex évoqua le prochain coup que Pépé envisageait.

— En février, un vol de la KLM va transporter une centaine de millions en diamants d’Amsterdam vers Anvers. Pépé a besoin d’hommes de votre trempe, qui en est ?

Laurent répondit du tac au tac.

— Présent.

Alex interrogea son ami du regard.

Franck secoua la tête.

— Sans moi. Cette fois, c’est terminé. Inutile d’insister.

Le braquage eut lieu le 25 février 2005, à l’aéroport de Schiphol. Pépé et ses hommes repartirent avec un butin de soixante-quinze millions d’euros.

Plusieurs quotidiens attribuèrent la paternité de ce braquage à Franck, ce qui relança des questions sur sa cavale et son lieu de résidence, certains estimant qu’il n’avait pas quitté la Belgique, d’autres affirmant qu’il vivait dans un pays sans convention d’extradition comme le Venezuela, l’Ukraine ou Andorre.

Franck passa les mois d’été 2005 à Oppède-le-Vieux.

Le vendredi 2 septembre, à l’heure où Julie et Antoine quittaient le Lubéron pour se préparer à la rentrée scolaire, quatre hommes prirent d’assaut un fourgon sur une bretelle de l’autoroute A 55, dans les quartiers nord de Marseille.

Le commando, armé de fusils d’assaut, bloqua le fourgon à l’aide de camionnettes et tira à plusieurs reprises en direction des convoyeurs. L’un des hommes posa un pain d’explosif sur la porte arrière du véhicule qui transportait plusieurs millions d’euros.

Des coups de feu furent échangés avec des policiers arrivés sur les lieux et deux d’entre eux furent légèrement blessés. Les braqueurs réussirent néanmoins à prendre la fuite à bord d’une voiture volée.

Alors qu’il entrait dans le véhicule, l’homme qui dirigeait l’équipe avait perdu sa cagoule.

Interrogés après l’attaque, les convoyeurs et les policiers décrivirent un homme de grande taille, aux yeux d’un bleu intense. Consultés individuellement, tous reconnurent Franck Jammet sur les photos qu’on leur présenta.

Christine Ferjac, une journaliste du Parisien, profita de l’occasion pour rafraîchir la mémoire des lecteurs et retracer le parcours de Franck Jammet en mettant l’accent sur le fait que nombre de ses crimes restaient impunis, qu’il avait réussi à s’en tirer à plusieurs reprises et qu’il se promenait dans la nature depuis deux ans.