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J’ai tourné en rond dans l’appartement en consultant ma montre toutes les deux minutes. Dimanche matin, je n’ai pas osé me montrer à la salle d’escalade et l’après-midi a été l’une des plus cafardeuses de ma vie.

Plus d’une fois, j’ai failli téléphoner à Leila, mais je me suis ravisé.

— Tant mieux. Ces procès sont longs et fatigants. Le commissaire Labbé et moi-même avons quelques questions à vous poser.

Mon estomac se noue.

— Je suis là pour y répondre.

Labbé amorce les débats.

— Comme vous le savez, M. Akim Bachir s’est évadé vendredi, lors de son transfert de la clinique Saint-Pierre vers la prison de Saint-Gilles.

Simon termine la phrase.

— Le fourgon qui le transportait a été attaqué par trois individus.

Je reste calme, en apparence du moins.

— J’ai appris ça.

Tous deux hochent la tête.

Le policier reprend.

— Le mode opératoire qui a été utilisé est le même que lors de l’évasion d’Alex Grozdanovic, en 1999.

Je grimace.

— Il y a quatorze ans de cela, pourquoi revenez-vous sur cette affaire-là en particulier ? Il y a eu un tas d’évasions similaires depuis.

Olga Simon prend la relève.

— Parce que Akim Bachir et Alex Grozdanovic se sont connus à Andenne en 2008. Il semble d’ailleurs que Bachir ait aidé Grozdanovic à s’évader en 2010.

Je feins l’ignorance.

— Vous me l’apprenez.

Labbé intervient.

— Vous ne le saviez pas ?

— Non. Monsieur Bachir n’est mon client que depuis cette année.

— Et Grozdanovic ?

— Il n’a jamais été mon client.

Il recule sur sa chaise et échange un regard qui en dit long avec Simon. J’en conclus que je viens de commettre une erreur.

Elle reprend le flambeau.

— Dans ce cas, pourquoi êtes-vous allé à ses funérailles ?

J’encaisse sans broncher et réfléchis à toute vitesse.

— Je comptais y voir l’un de mes clients.

— Qui ça ?

— Je ne suis pas tenu de répondre à cette question.

Elle ne se démonte pas.

— Franck Jammet ?

— Je ne connais pas Franck Jammet.

J’ai répondu trop vite, j’en ai peur.

Cela dit, ils ne peuvent pas être au courant. Je ne l’ai rencontré qu’une fois, en France qui plus est.

Tous deux échangent un regard entendu.

Olga Simon prend un document sur son bureau et le retourne vers moi.

— Regardez ce que nos amis français nous ont fait parvenir.

La photo est prise au téléobjectif. Je reconnais le décor au premier coup d’œil. Je suis assis dans le restaurant lyonnais, au sommet du Crayon. Franck Jammet me fait face. Nous sommes en grande conversation.

Ma voix flanche quelque peu.

— Je suis avocat, je n’ai pas de comptes à rendre sur mes clients.

Elle me fustige du regard.

— Je connais l’article 458 par cœur. Je vous informe qu’il s’applique, je cite, « hors le cas où vous êtes appelé à rendre témoignage en justice ou devant une commission d’enquête parlementaire ».

— Vous m’avez parlé de questions de routine concernant l’évasion d’Akim Bachir. Je ne vois pas le rapport qu’il y a avec Alex Grozdanovic et Franck Jammet.

Simon fait signe à Labbé, qui embraie aussitôt.

— Nous nous sommes penchés sur le cas Bachir. Ce gamin n’est pas ce que j’appellerais une figure marquante du grand banditisme. Ses anciens complices sont des petits voyous, pas des caïds qui se trimballent avec des Kalachnikovs et des lance-roquettes. Qui s’intéresse à lui au point de vouloir le tuer en prison et de le faire évader ? Le 25 février, vous êtes venu voir madame la juge et vous avez demandé son transfert. Vous avez parlé de menaces. Qui le menaçait ?

— Il m’a dit qu’il se sentait menacé, sans me donner de détails ni de noms.

Olga m’apostrophe avec cynisme.

— L’article 458, c’est ça ?

Labbé continue son travail de sape.

— Ceux qui ont voulu le tuer l’ont raté. Par contre, ceux qui l’ont fait sortir ne voulaient pas l’éliminer, sinon ils l’auraient exécuté sur place.

— Sans doute. Je n’ai aucune information sur son évasion. Je l’ai vu la veille et il ne m’a parlé de rien.

Il acquiesce pour la forme.

— Bien sûr. Nous sommes allés plus loin. Selon un témoin, Bachir et Grozdanovic se sont revus il y a peu. Le 18 février, Grozdanovic participe au casse de Zaventem et est éliminé quelques heures après. Le lendemain matin, Bachir braque un bureau de poste. Dans les romans policiers, on appelle ça de troublantes coïncidences.

— Je ne vois aucun rapport entre les deux événements.

Il poursuit sur sa lancée.

— Certains témoins ont parlé d’une BMW qui attendait Bachir devant le bureau de poste.

— J’en ai parlé aussi.

— Je sais, mais un élément nouveau est survenu hier.

Un filet de sueur glaciale dégouline dans mon dos.

— De quel élément parlez-vous ?

Le chassé-croisé continue, Simon reprend la parole.

— On a découvert les cadavres de deux hommes dans le sous-sol d’un immeuble, à Molenbeek. Les frères Milic, Roman Milic, dit le Bègue, et Lazar Milic, dit le Boiteux. Deux truands suspectés d’avoir commis plusieurs braquages, dont celui de la bijouterie de la place Vendôme le 6 juillet 1999, avec, devinez qui, Alex Grozdanovic. Ça vous dit quelque chose ?

— Rien du tout.

Labbé murmure entre ses dents.

— Entre nous, je peux vous dire que les frères Milic ont solidement dégusté avant d’être achevés.

Je fais une moue de compassion.

— Je suis navré de l’apprendre. Quel rapport établissez-vous entre ces deux morts et Akim Bachir ?

— Roman Milic était propriétaire d’une BMW du même type et de la même couleur que celle décrite par les témoins. Entre-temps, il l’a troquée pour une Mercedes haut de gamme. Il a dû gagner à la loterie.

— Il y a des milliers de BMW grises sur les routes.

Labbé adopte un ton triomphant.

— Je n’ai pas dit qu’elle était grise.

— Je sais lire un procès-verbal.

Il a perdu l’échange, pas le match.

— Nous sommes intimement convaincus qu’il y a un lien entre Bachir, Grozdanovic, les frères Milic, le casse de Zaventem et l’évasion de Bachir.

Olga porte l’estocade.

— Et vous en savez sûrement plus que vous ne le prétendez.

Je me lève.

— Non, je suis désolé, je ne sais rien de plus que ce que je vous ai dit.

Je guette Cléopâtre du coin de l’œil.

Les deux se lèvent à l’unisson.

La juge clôt la séance.

— Dans ce cas, il nous reste à vous souhaiter une bonne soirée, maître. Je suis certaine que nous allons nous revoir très bientôt.

74

Mardi ou mercredi

Je rentre chez moi, les jambes coupées, l’esprit troublé.

Ils m’ont ferré, ils ne me lâcheront plus. Je revois leurs regards croisés, le rictus moqueur de Labbé, l’air suspicieux de Simon. Ils vont se payer un avocat. Villemont, qui plus est. Ça va les changer de la petite racaille, des vols de voitures et des abus de biens sociaux. Ils pourront jouer les monsieur et madame Propre et parader dans les magazines.

Je mets un plat préparé au four avec la conviction que je serai incapable de manger quoi que ce soit. Mon estomac a implosé.

L’assassinat des frères Milic est à coup sûr l’œuvre de Pépé. À l’heure qu’il est, Jammet sait qui est le chef d’orchestre et Akim doit croupir dans une planque quelconque, en Belgique ou à l’étranger.