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Il passe une main dans ses cheveux.

— Après quatre semaines, Julie a reçu une autorisation de visite. Elle est venue avec Antoine pour trente minutes de parloir. Il était terrorisé et n’a pas voulu me parler. Après ça, il a refusé de venir et j’ai fait un grand pas vers la folie. Une nuit, j’ai eu une inspiration. Je me suis levé et j’ai dessiné un clavier sur la vieille table en bois. Elle était étroite et mon piano imaginaire n’avait que cinq octaves, mais ça me suffisait. J’ai posé un doigt sur une touche et le miracle s’est produit. La note a résonné dans ma tête. J’en ai essayé une deuxième, puis une troisième. Enfin un accord. Je captais chaque son. J’ai pris une feuille de papier, j’ai tracé une portée et j’ai écrit les premières notes.

Il penche la tête en avant.

Les souvenirs refont surface. Il est dans sa cellule. Il revit l’instant.

Après quelques secondes, il relève la tête.

— En musique, un concerto est une forme de dialogue entre un soliste et un orchestre. L’idée m’est venue d’écrire un concerto pour quatre mains. Un piano qui dialogue avec un piano. Après avoir écrit les premières mesures, je les ai envoyées à mon fils. En face d’une portée, j’ai écrit moi, sur la seconde toi.

Il s’arrête.

Respire.

— J’ai attendu trois semaines, les plus longues de ma vie. Un matin, le courrier est arrivé. Il n’y avait que les feuillets. Aucun mot, aucun commentaire. Il avait changé des notes dans les deux portées. J’ai essayé. Ça sonnait mieux. On a continué à se renvoyer la partition pendant plusieurs mois. Je ne recevais que ses modifications, au crayon rouge. Un jour, il a écrit ses premiers mots.

La cuirasse se fendille.

Je n’ai plus un caïd devant moi, mais un homme sans artifices, fragile, sensible.

— Il a écrit : « Ma partie est plus difficile que la tienne. » J’ai relu cent fois ses lignes et j’ai répondu : « Tu es plus doué que moi. »

Ses yeux brillent d’une flamme soudaine.

— Mardi soir, Antoine et moi jouerons notre concerto pour quatre mains dans la salle de musique de chambre. J’ai invité cinq cents personnes. Mes amis aux premiers rangs, avec ceux qui m’ont soutenu. Quelques ennemis aussi, des flics, des juges et les journalistes qui m’ont torpillé. La plupart ont répondu sans savoir ce qui les attend.

J’ai le souffle coupé.

Il sourit.

— Nous sommes différents, vous et moi, mais nous avons des points communs. Vous allez au bout des choses, vous avez des valeurs fortes et vous respectez les gens qui vous entourent. Vous êtes un homme d’honneur, Jean. J’aurais aimé que vous soyez des nôtres. Je vous aurais installé avec mes amis.

Je n’aurais jamais pensé qu’il parviendrait à me troubler à ce point.

Je me lève, ému, et lui serre la main.

— Merci, monsieur Jammet. Bonne chance pour votre concert.

— Au revoir, maître.

Je tourne les talons et remonte à la surface. Le concert de Stravinski a commencé, le hall s’est vidé. Malgré moi, j’ai une boule dans la gorge.

Je retrouve ma voiture au parking.

Je prends mon courage à deux mains et compose le numéro de Leila.

Elle répond instantanément.

Son ton est enjoué, mais le cœur n’y est pas.

— Jean, je suis contente que tu me rappelles.

— Bonsoir, Leila, le procès s’est terminé tout à l’heure.

— J’ai lu ça. Tu as finement joué.

— J’ai quelques ennuis. Il faut que je prenne du recul, que j’y voie clair. Je vais partir quelques jours à la montagne, respirer, me ressourcer.

— Je comprends. Tu as raison. Prends du temps pour toi.

Elle semble chercher ses mots.

— Avant que tu partes, j’aimerais te dire quelque chose, Jean.

— Je t’écoute.

— Tu me manques.

Je cherche l’air.

— Tu me manques aussi.

Sa voix dérape.

— Je me fiche de ce qui se passe autour de toi. J’ai envie de te revoir, Jean. Je t’embrasse.

Je la laisse raccrocher.

Je reste de longues minutes le téléphone collé à l’oreille, à écouter le silence, à humer les derniers souffles de sa présence.

J’aimerais la rappeler, entendre sa voix, guetter sa respiration, lui dire ce qu’elle représente pour moi, lui dire combien elle a compté pour moi.

Je mets le contact et démarre en trombe.

Je débouche place Royale et descends la rue de la Régence. La nuit est tombée. La lune est pleine et semble démesurée. Le Palais de Justice revêt des allures fantomatiques sous la clarté laiteuse.

Je contourne la place Poelaert et m’engouffre dans le tunnel.

77

Dans les heures qui suivent

Dans l’édition du Parisien du mardi 2 avril 2013, la journaliste Christine Ferjac signa un article qui fit grand bruit.

Intitulé Le casse de Zaventem résolu, elle y établissait un rapport entre plusieurs événements qui avaient défrayé la chronique judiciaire belge durant les mois de février et mars.

Selon elle, le vol des diamants, les cadavres d’Alex Grozdanovic et de Laurent Nagels découverts calcinés à Ittre, l’évasion spectaculaire d’Akim Bachir et l’assassinat des frères Milic étaient liés.

À l’origine de ces faits se trouvait un diamantaire anversois.

Comme l’ensemble de ses confrères, il avait connaissance des dates des transferts et savait qu’une livraison importante aurait lieu le 18 février.

Il avait élaboré un plan tortueux pour s’emparer des diamants tout en restant à l’écart. Son idée était d’approcher des braqueurs professionnels pour qu’ils réalisent le coup et de leur subtiliser le butin après l’intervention.

Pour ce faire, il avait engagé les frères Milic, deux petits truands spécialisés dans le trafic de voitures.

Dans un premier temps, l’un des frères Milic avait approché Akim Bachir. Ce dernier avait noué des liens d’amitié avec Alex Grozdanovic lorsqu’ils étaient à la prison d’Andenne et l’avait aidé à s’évader.

Milic lui avait donné l’ordre de prendre contact avec Alex Grozdanovic et de le tuyauter sur le transfert pour qu’il mette sur pied le casse. Soumis à un chantage, Akim Bachir avait obéi et proposé l’affaire à Grozdanovic.

Celui-ci avait mordu à l’hameçon et réalisé l’opération en compagnie de Laurent Nagels et de six hommes de main.

Le braquage accompli, Grozdanovic et Nagels s’étaient fait délester du butin et assassiner par les frères Milic. Ces derniers comptaient faire disparaître Akim Bachir dans la foulée, mais il leur avait échappé en simulant l’attaque d’un bureau de poste à Anderlecht.

Par crainte que Bachir les dénonce à la police, ils avaient mis un contrat sur sa tête et fait appel à des détenus russes pour qu’ils se chargent de lui régler son compte à la prison de Forest, mais cette tentative avait également échoué.