La journaliste était moins catégorique quant à l’évasion de Bachir.
L’attaque du fourgon cellulaire aurait vraisemblablement été exécutée par des membres de l’équipe d’Alex Grozdanovic, désireux de connaître le nom de ceux qui les avaient floués et tué leur chef.
Ces hommes auraient retrouvé la trace des frères Milic et seraient responsables de leur mort.
À la fin de l’article, elle établissait un lien avec l’arrestation de deux individus à Genève affirmant que, pressé par l’appât du gain, le diamantaire aurait commis l’erreur de leur revendre des diamants non retaillés.
Appelée en fin de matinée par une station de radio belge, la journaliste accepta de répondre en direct à quelques questions.
Elle précisa qu’elle tenait ces informations de source fiable et que la police ne tarderait pas à les confirmer. Interrogée sur le diamantaire anversois, elle répondit qu’elle ne connaissait pas son identité, mais ajouta qu’il ne serait pas difficile à identifier.
À l’annonce de la mort des frères Milic, celui-ci avait sans nul doute fait ses valises et quitté la Belgique pour éviter de subir le même sort.
Le journaliste belge tenta de la pousser dans ses derniers retranchements.
— Dans votre article, vous parlez de membres de l’équipe de Grozdanovic. Ce seraient eux qui auraient fait évader Akim Bachir et exécuté les frères Milic. Qui sont-ils ?
— Je n’ai aucune information sur ces hommes. Je pense qu’Alex Grozdanovic les a recrutés à l’étranger. Ce sont probablement des Italiens, des Russes ou des Français.
Enfin, le chroniqueur revint sur les différents contacts que la journaliste avait eus avec Franck Jammet lors de sa détention.
— Nulle part vous ne parlez de Franck Jammet. La police l’a interpellé à plusieurs reprises depuis le casse de Zaventem.
— Pourquoi vous en parlerais-je ? Il n’a rien à voir dans cette affaire.
— Vous avez eu des contacts avec lui récemment ?
Elle prit un ton énigmatique.
— Je pense que vous devriez avoir de ses nouvelles dans les heures qui suivent.
78
Akim
Akim Bachir débarqua à l’aéroport Mohamed V le mardi 2 avril, en fin de matinée.
Après l’explosion qui l’avait laissé choqué, mais indemne, des hommes l’avaient sorti du fourgon et conduit dans une maison de Saint-Gilles, à quelques centaines de mètres de son domicile.
D’entrée de jeu, il leur avait dit ce qu’il savait. Après leur avoir parlé du Boiteux et de son frère, l’homme en colère était sorti de la pièce sans un mot.
Il ne l’avait plus revu après.
Pendant une semaine, il était resté enfermé dans une petite chambre au dernier étage. Deux hommes s’occupaient de lui, le soignaient et lui donnaient à manger.
Le vendredi suivant, ils lui avaient remis des vêtements, deux mille euros et des papiers d’identité en lui assurant qu’ils étaient plus vrais que nature et qu’il ne risquait rien.
Le lendemain, l’un des hommes lui avait dit qu’ils partaient pour Paris et que là s’arrêterait leur mission, qu’après, ce serait à lui de se débrouiller. Il avait surmonté sa peur et demandé à pouvoir faire un bref passage chez lui. Il avait dû insister avant que l’homme ne déclare qu’il prenait un risque inutile et qu’il ne lèverait pas le petit doigt s’il lui arrivait quoi que ce soit.
Par chance, il n’avait croisé personne et l’aller-retour ne lui avait pris que quelques minutes.
Il avait ensuite emprunté la route pour Paris où il avait passé le week-end dans un hôtel modeste, près du boulevard Saint-Michel.
Le lundi matin, il avait pris un billet sur un vol pour Casablanca de la Royal Air Maroc.
Il pénétra dans l’aérogare et se rangea dans la file qui s’allongeait devant les bureaux de contrôle. Lorsque ce fut son tour, il resta tétanisé devant le policier qui lui jetait des regards suspicieux. L’homme examina ses papiers sous toutes les coutures avant de les lui rendre.
Il sortit de l’aéroport en nage et resta planté sur l’immense terre-plein, immobile, son sac à bout de bras. Il ferma les yeux, respira l’air de son pays, écouta les gens qui parlaient dans sa langue.
Une heure plus tard, il vit apparaître la vieille Mercedes jaune de l’oncle de Rachida.
L’homme s’arrêta à sa hauteur et ouvrit la fenêtre.
— Monte à l’arrière.
Akim obéit et grimpa dans la voiture.
La Mercedes sortit de l’enceinte de l’aéroport et prit la direction du sud. Elle sentait l’essence et grinçait de toutes parts. Après une trentaine de minutes, le chauffeur ouvrit la bouche.
— Ton père sait où tu es ?
Akim répondit entre ses dents.
— J’ai laissé une lettre.
Après une nouvelle heure silencieuse, la Mercedes ralentit à l’approche de Khouribga. L’homme s’arrêta sur le bord de la route et indiqua un chemin de terre qui menait à un hameau d’une dizaine d’habitations.
— C’est là-bas, à trois cents mètres, la troisième maison.
Akim agrippa son sac.
— Merci, Farid. Merci pour tout ce que vous avez fait.
L’homme ne répondit pas.
Akim sortit et emprunta le chemin sans quitter des yeux la maison que Farid lui avait montrée.
Un vent doux balayait les champs en friche et soulevait une poussière rougeâtre.
Alors qu’il était à mi-chemin, la porte de la maison s’ouvrit et il vit apparaître la silhouette de Rachida. Elle tenait Badri dans ses bras.
Il pressa aussitôt le pas. Après quelques mètres, il se mit à courir. Ses jambes se dérobaient sous lui, ses poumons lui brûlaient, sa vue se brouillait.
À bout de souffle, il arriva devant la maison, posa son sac, attrapa son fils et le brandit à bout de bras au-dessus de sa tête. Le garçon riait aux éclats. Il l’embrassa sur le front et s’approcha de Rachida.
Elle le regarda avec gravité. D’un geste délicat, elle passa ses mains sur son visage. Ses doigts parcoururent la cicatrice qu’il avait au coin de l’œil.
Il se pencha, attrapa un objet dans son sac et le lui tendit.
Elle reconnut le vieil album photo qui contenait sa vie : les quelques clichés qui lui restaient de ses parents, son enfance à Casablanca, ses années d’études au lycée Lyautey, son départ pour la France, son arrivée en Belgique, son mariage. Dans les dernières pages, quelques épreuves de la naissance de Badri.
Les joues humides, elle s’empara de l’album, l’ouvrit et caressa les dernières pages vides. Elle glissa ensuite un bras autour de la taille de son mari et posa sa tête contre son épaule.
— Il nous reste tellement de moments à vivre, Akim.
79
Franck
Franck s’attendait à ce qu’une personne sur deux accepte l’invitation, ce qui aurait drainé quelque deux cents spectateurs, soit la moitié de l’auditorium.
À sa surprise, tous les sièges étaient occupés quinze minutes avant l’heure fixée et une trentaine de personnes stationnaient dans les allées et au fond de la salle.
Dans les rangées, les discussions allaient bon train. Hormis quelques proches, l’assistance ignorait l’ordre du jour. Certains penchaient pour une conférence de presse, d’autres pour l’annonce de la publication d’une biographie chez un grand éditeur.
Quelques sceptiques n’avaient pas cru bon d’enlever leurs manteaux et se tenaient droits, silencieux, prêts à quitter les lieux s’ils faisaient l’objet d’une mauvaise plaisanterie.