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L’audition des trente-huit personnes présentes sur les lieux lors de l’attaque — les trois employés du transporteur de fonds, deux bagagistes, le pilote, le copilote, les deux membres d’équipage de l’avion ainsi que les vingt-neuf passagers — n’apporta que peu d’informations complémentaires.

L’un des convoyeurs divulgua néanmoins quelques renseignements dignes d’intérêt.

Le leader du groupe mesurait entre un mètre quatre-vingt-cinq et un mètre quatre-vingt-dix, il était mince et parlait français sans accent. D’un mouvement précis, l’homme lui avait assené un coup de pied dans le pli du genou pour le mettre à terre et l’avait dépouillé de son arme de service, un FN Barracuda.38 spécial. Selon lui, les hommes présents étaient bien entraînés et ne paniquaient pas.

Une inspection de la clôture située à hauteur du bâtiment 65 par laquelle les véhicules étaient entrés avait révélé que celle-ci avait été préalablement découpée sur les côtés pour faciliter l’accès.

Lors des discussions qui eurent lieu dans le but de recenser les auteurs capables de réaliser un casse de cette ampleur, le nom de Franck Jammet fut avancé à plusieurs reprises.

En plus de la description du chef de groupe, qui lui correspondait, le modus operandi et la minutie propres aux réalisations du personnage firent qu’il aboutit en tête de liste des suspects.

L’homme avait été arrêté à Paris en 2008 et condamné à cinq ans de prison. Inscrit au répertoire DPS, détenu particulièrement signalé, il avait purgé une peine de quatre ans à la prison de la Santé et avait été libéré en février 2012.

Depuis, il n’avait plus fait parler de lui, ce qui, aux yeux des enquêteurs, n’établissait en aucune manière son innocence.

8

Ce petit dîner sans chichis

Je traverse la place Poelaert sous une pluie battante.

Déjà moche en temps normal, le Palais de Justice est bardé d’échafaudages qui l’enlaidissent davantage. Montés sans permis d’environnement, ils sont au cœur d’une bataille juridique qui oppose depuis plusieurs années la Région bruxelloise à la Régie des Bâtiments. La situation est d’autant plus vaudevillesque que le bâtiment est censé porter l’emblème de la Justice belge.

Le greffe de la Chambre du conseil est situé en face du mastodonte, rue des Quatre Bras, dans un immeuble moderne de verre et de béton.

Je pénètre dans le bâtiment, passe le portail de sécurité et secoue mon chapeau dans le hall.

Ce matin, j’ai reçu un mail de Katja.

Elle organise un petit dîner sans chichis avec quelques amis, mercredi prochain. Elle a apprécié ma présence et mon sens de l’humour chez Laure et Didier et serait très heureuse que j’y participe.

Je n’ai d’elle qu’un souvenir confus. Je cherche la meilleure façon de décliner l’invitation.

Je prends l’ascenseur et monte au quatrième étage.

Je pourrais lui dire que c’est trop tôt, que je souffre de ma récente rupture, mais cela signifierait que j’ai interprété son invitation comme un appel à faire un tour dans son lit.

Par chance, peu d’avocats sont présents dans le local.

Je me dirige vers le guichet, introduis ma demande au préposé et attends qu’il aille chercher le dossier.

Je pourrais lui avouer que je n’ai connu qu’une femme dans ma vie et que je suis terrorisé à la seule idée d’en approcher une autre.

L’excuse serait honnête, mais puérile.

J’ai rencontré Estelle pendant l’été qui a suivi ma dernière année d’études secondaires.

C’était le 21 juillet, jour de fête nationale. J’avais alors dix-huit ans. J’avais un peu trop bu. Elle m’a aidé à rentrer chez moi. Mes parents étaient en vacances en France. Au contraire d’elle, je n’avais aucune expérience sexuelle. Elle a été la première et l’unique femme de ma vie.

Elle se disait satisfaite de notre relation, mais je n’ai pas d’élément de comparaison ni d’évaluation émanant d’une autre conquête. La seule maîtresse que j’ai connue est mon travail. Je ne sais pas si je suis un amant passionné ou une catastrophe horizontale.

J’ignore tout autant si Estelle est une bombe. Je me suis toujours désintéressé de l’inventaire des exploits sexuels que certains de mes confrères se plaisent à détailler.

Je reçois le dossier répressif d’Akim Bachir et prends place à l’une des tables.

Je commence par étudier l’extrait de son casier judiciaire.

Il confirme les dires de son père.

À partir de 2004, Akim multiplie les arrestations pour vols et autres larcins jusqu’au vol avec violence de février 2007.

Je prends mon iPad et me connecte à Internet pour en apprendre davantage sur cette affaire.

Les archives du Soir me renseignent sur la question.

Alors qu’elle quittait une grande surface à Anderlecht, une femme de soixante-huit ans s’est fait agresser par trois individus qui lui ont arraché son sac à main et les clés de sa voiture. La femme s’est cramponnée à la poignée de sa voiture et a été projetée au sol.

Bachir a été le seul à comparaître pour cette agression et a choisi de nier ce qui était une évidence. Le téléphone de la victime a été retrouvé chez lui. Ignorant qu’il était sur écoute, il a eu une conversation avec son frère au cours de laquelle il a reconnu sa participation au car-jacking en regrettant de s’être fait prendre.

En conclusion d’un réquisitoire musclé, le substitut du procureur du Roi a requis une peine de quatre ans de prison.

Bachir en était à son neuvième mois de préventive. Malgré les conseils de son avocat, il a refusé de reconnaître les faits par peur de représailles, avançant que les aveux passent par des dénonciations et qu’il savait quel sort on réserve aux balances.

Son avocat a suggéré au tribunal d’assortir la condamnation du sursis correspondant à la durée de la peine restante, mais le tribunal a fait la sourde oreille et Bachir a écopé des quatre ans réclamés.

Je fais une photo de l’extrait du casier judiciaire à l’aide de mon iPad.

En principe, il nous est interdit de faire des copies des documents ou de les scanner. Jusqu’à récemment, les avocats utilisaient un dictaphone. Ils lisaient à voix basse les passages du dossier qui pouvaient leur être utiles. La démarche était longue et fastidieuse. Quand ils rentraient au bureau, les secrétaires passaient leur temps à transcrire les bandes sur papier.

Aujourd’hui, la tablette est devenue l’outil incontournable de l’avocat, même si son utilisation est in abstracto proscrite.

La chemise suivante contient le procès-verbal initial du braquage de la poste, les premières constatations des policiers, la description des faits, le mode d’interception et les prises de contacts qui ont été établies.

Je parcours les procès-verbaux résultant de l’audition des témoins, une dizaine. Nombre d’entre eux se sont exprimés en néerlandais.

Plusieurs éléments attirent mon attention.

Un témoin affirme avoir vu Akim Bachir descendre d’une voiture de couleur grise, vraisemblablement une BMW, dans laquelle se trouvaient deux hommes.

D’autres prétendent qu’il est arrivé à pied, mais que la voiture en question l’attendait devant le bureau de poste pendant le braquage. Ce qui est certain, c’est que la voiture en question a démarré à l’arrivée de la police. Personne n’a eu la présence d’esprit de relever le numéro de la plaque.