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— Ça changera quoi ?

— Le temps que je mettrai à m’endormir sans me poser toutes ces questions. Alors ?

— Alors quoi ?

— À combien s’élève le trafic ?

Schober resta impassible, les mains enfoncées dans les poches de sa veste de peau. Porfillo, Busquet et Gabriela observaient la joute à quelques mètres de là, habités de sentiments contraires.

— Pourquoi prendre tous ces risques ? insista Esteban. Générer du cash ? Je sais que vous avez acquis des terres autour du salar, le pressa-t-il, que des prospections ont été faites malgré le statut inconcessible du site naturel… Vous avez trouvé de l’eau dans les terres de Muñez, dans les autres parcelles aussi ? Pourquoi creuser les puits ?

— D’après vous ?

— Parce que les mines ont besoin d’eau, dit-il. C’est pour ça que votre société d’extraction a acquis les terrains renfermant les nappes phréatiques : une fois l’eau à disposition, la multinationale avec qui vous vous êtes associé apportera la technologie pour exploiter le filon.

Une salve d’écume moucheta leurs pieds.

— Tu n’es pas si abruti qu’on le dit, nota Schober.

— Il y a quoi dans ces sous-sols : de l’or, du minerai ?

— Du lithium.

— Mauvaise nouvelle pour la nature.

— Pas pour les gens qui vont y travailler.

— Il est où, ce gisement ?

Du pied, Schober frappa le sol translucide.

— Là, dit-il.

Le salar de Tara : une merveille de la nature a priori protégée…

— Un gisement important, j’imagine.

— Miraculeux serait plus juste.

— Quitte à saloper un site unique au monde.

— Où broutent des lamas, renchérit l’entrepreneur. Vous êtes bien naïf, Roz-Tagle.

— Et vous bien de votre époque malgré le temps qui passe, lâcha Esteban entre ses dents. Tous les coups sont permis, hein…

Gabriela sentit la tension monter entre les deux hommes. Elle avait filmé plus qu’il ne lui en fallait ; elle se racla la gorge pour lui signifier d’arrêter l’interrogatoire mais Esteban n’écoutait pas. Il venait de comprendre : l’argent de la cocaïne avait servi à corrompre les services chargés de la protection du site naturel, dont la richesse du sous-sol ne figurait sur aucun registre. Salar SA avait commencé à prospecter sans annonce officielle ni autorisation légiférée devant les autorités compétentes. Vu les sommes mises en jeu pour l’exploitation d’une mine, Schober avait obtenu un passe-droit, une faveur au plus haut sommet de l’État.

— Combien vous avez versé aux politiques pour obtenir l’autorisation de prospecter sur un site protégé ? relança Esteban. Ils savent que c’est l’argent de la drogue ?

— Ce n’est pas le genre de question qu’on se pose.

— Le ministère des Mines est dans le coup ?

— Non.

— Pourquoi ?

— Parce que les gouvernements changent, répondit Schober. Et qu’un accord est toujours renégociable…

Qui était au-dessus du pouvoir exécutif ? Le législatif… La Cour suprême… Bien sûr. Esteban avait pris le problème à l’envers : Edwards n’avait pas été engagé par Schober pour optimiser le montage financier entre les sociétés d’extraction, il avait reçu une valise de cash pour corrompre son principal client, Víctor Fuentes. Le père de Vera.

— Le juge Fuentes, dit Esteban d’une voix blanche : une fois nommé à la Cour suprême, il aurait le pouvoir de modifier les textes de loi et autoriser l’exploitation du salar de Tara…

Schober eut un rictus. Quelque chose commençait à ne pas coller dans cette discussion. Roz-Tagle n’avait réellement aucune preuve contre lui.

— Maintenant c’est moi qui vais te poser une question, lâcha l’ancien officier. Qu’est-ce qui m’empêche de vous liquider, toi et l’Indienne ?

— L’homme qui vous tient en joue, en ce moment même, répondit Esteban.

Un piège.

— Putain de connard, marmonna-t-il.

Schober s’écarta brusquement, laissant le champ libre à ses hommes qui n’attendaient que ce signe pour dégainer. Esteban sentit le danger : du coude, il repoussa Gabriela dans son dos, saisit le Parabellum dans le même mouvement. La vidéaste lança le signal à l’intention de Stefano mais Porfillo avait un temps d’avance : il tira deux fois sur Esteban, qui recula sous l’impact, avant qu’un projectile ne frappe le tueur en pleine poitrine.

Porfillo rebondit contre la portière du Land Rover sans lâcher son Glock : le gilet pare-balles venait de lui sauver la vie. Les flamants roses s’envolèrent en hurlant, effrayés par les coups de feu. Esteban mit un genou à terre sous le regard tétanisé de Gabriela. Il porta la main sous sa veste, la ressortit ensanglantée.

Porfillo se réfugia derrière le 4 × 4, secoué par le tir du sniper mais toujours en vie. Les détonations retentissaient depuis la rive opposée du lac, des balles de gros calibre qui pulvérisaient la carrosserie, les vitres, un vrai ball-trap. Porfillo vit Busquet qui grimaçait à terre en se tenant la cuisse, les balles fusaient et Schober était pris entre deux feux. Rien à craindre de l’Indienne, recroquevillée contre la Mercedes comme si ses mains pouvaient la protéger. Porfillo évalua en une seconde la position du tireur embusqué, plein ouest, héla Gustavo en lui faisant signe de rappliquer.

— Reste pas là, putain !

Schober se précipita vers le Land Rover quand un projectile lui brisa la hanche. Il fit une brève contorsion et s’affala dans un cri douloureux. Gabriela ne respirait plus, clouée de peur contre le pare-chocs : Esteban se tenait à mi-chemin des deux véhicules, sa chemise blanche pleine de sang qu’il regardait s’écouler. L’auréole grandissait. Il n’avait pas lâché le P38. Schober geignait sous son gros manteau : il voulut ramper vers le 4 × 4 mais deux balles expulsèrent une fine pellicule de sel tout près de son visage. Il était dans la ligne de mire du tireur.

Esteban ne pouvait plus se redresser, ni même lever le bras qui tenait le Parabellum. Le sang coulait sous sa veste noire. Il tangua au milieu des rafales, une brûlure dans le ventre.

— Esteban, attention ! Esteban !

Il vit Gabriela réfugiée contre la Mercedes, son visage rempli d’effroi qui implorait.

— Non !!

Porfillo brandissait son arme. Gabriela pour dernier horizon, Esteban n’esquissa pas un geste de défense. Le tueur lui vida son chargeur dans le corps.

Schober grimaçait toujours entre les deux véhicules, incapable de se relever. Porfillo enfonça un nouveau chargeur dans le Glock, à l’abri du capot. Son doigt blessé s’était remis à saigner. Saloperie. Il se ressaisit vite. Le sniper aussi devait recharger son fusil. Porfillo en profita pour avancer à croupetons jusqu’au pare-chocs. Il avait maintenant douze balles en stock et l’adrénaline en fusion dans ses veines. Il se dressa d’un bond, visa l’Indienne et pressa la queue de détente : Porfillo allait l’abattre quand un nouveau coup le frappa au plexus, si violent qu’il bascula en arrière.

« Le fils de pute ! » pesta-t-il en se réfugiant derrière la carrosserie. Le sniper avait changé d’angle de tir : cinq centimètres plus haut et il n’avait plus d’œsophage. Porfillo tira plusieurs coups en aveugle en direction du lac, vit les pneus crevés du 4 × 4, Busquet affalé contre la roue, une balle en pleine tête. Comment sortir de ce guêpier ?! Son doigt pissait le sang, lui tirant des jurons étouffés, et il n’atteindrait jamais la Mercedes, à supposer que les clés soient dessus. Le sniper les tenait dans sa ligne de mire de l’autre côté de la rive et il ne pourrait pas le déloger, pas avec un simple pistolet et cette douleur affreuse au doigt. Il n’avait pas d’autre solution que de fuir s’il voulait sauver sa peau. En l’état, Schober était intransportable.