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Admettons. Changement de braquet :

— Ces dernières semaines, Isabelle Barraire-Hussenot, sous l’identité d’Éric Katz, a renoué avec ma sœur Gaëlle. Pour l’attirer dans un piège ?

— Peut-être. Pharabot n’a pas achevé sa vengeance, il devait exiger une autre proie.

Erwan imagina Isabelle dans la peau d’une disciple prête à tout pour satisfaire son maître et lui servir des victimes sur un plateau.

— Où est-il à votre avis ?

— Aucune idée.

— S’il revient au bercail, vous…

— N’ayez crainte, je vous préviendrai. Je ferai tout pour arrêter le massacre. Je suis épuisé par ces morts, cette violence, cette fuite en avant… Et prêt à assumer mes responsabilités, comme vous dites. Si vous n’avez pas confiance en moi, vous pouvez placer aussi des hommes autour de l’UMD.

— C’est déjà fait. (Un détail coinçait encore.) J’ai affronté plusieurs fois Pharabot ces dernières semaines : il possède une forme physique inouïe pour son âge. Plutôt celle d’un ancien athlète que celle d’un pensionnaire d’asile shooté aux médocs.

— Un autre effet du traitement. Du moins dans sa première phase. Encore une fois, les récepteurs neuronaux sont hypersollicités. Pharabot tourne en surrégime, si je peux dire.

— Vous, vous n’avez pas peur de lui ?

— Non. Il me doit tout. Jamais il ne lèverait la main sur moi.

Le docteur Frankenstein devait penser la même chose avant que son monstre ne tue sa fiancée. Mais c’est un élément qu’Erwan avait déjà remarqué lors de leur altercation au sujet de Plug : le beau JL était doté d’un sérieux courage physique. Il avait peut-être la trouille de la prison et de l’échec mais pas de se colleter avec un dément survitaminé.

— Vous allez m’arrêter ? demanda-t-il comme s’il suivait les pensées du commandant.

— Pas pour l’instant : vous pouvez encore m’être utile. Mais je ne vous oublierai pas à l’heure des comptes. Malgré vos contacts, vous plongerez. Je vous conseille même de les prévenir : je remonterai aussi jusqu’à eux.

— Je vois.

— Ça fait un bon moment que vous ne voyez plus rien. Vous finirez avec vos patients, derrière les barreaux.

— Vous n’avez pas compris les enjeux qui…

Le psychiatre n’acheva pas sa phrase : Erwan l’avait empoigné par les revers de son duffle-coat et plaqué contre le tronc d’un pin.

— Fermez-la avant que je perde vraiment mon calme ! hurla-t-il soudain. Le seul truc surprenant dans cette histoire, c’est que je ne vous éclate pas le crâne, là, tout de suite, comme une carapace de crabe sur un rocher.

Lassay trouva le jus pour sourire.

— Vous ne le ferez pas, murmura-t-il. C’est toute la différence entre un homme comme vous et Pharabot. Le bridage que je cherche à imposer par…

Erwan le lâcha avec dégoût et fit quelques pas pour ne plus l’entendre.

— Dans ses moments de lucidité, le poursuivit Lassay, Pharabot parlait souvent de votre père. Il disait qu’il aurait fait un nganga d’exception.

Erwan s’arrêta net : sous la pluie et les cimes des pins, il n’attendait pas ce coup bas.

— Il me parlait de la Cité Radieuse, poursuivit le psy, et d’une nuit d’avril où Grégoire Morvan l’avait rejoint dans le deuxième monde. Il évoquait une jeune femme, une croix gammée que votre père lui avait gravée sur…

— Fermez votre putain de gueule !

Il avait levé le poing, s’arrêtant juste au moment où le tonnerre craquait dans le ciel, semblant résonner partout à la fois.

— Je serais vous, conclut Lassay, imperturbable, je ne m’inquiéterais pas trop au sujet de Pharabot.

— Pourquoi ?

— Vous croyez le chercher mais c’est lui qui est à vos trousses. Il vous tombera dessus d’ici quelques heures.

127

Après avoir dépassé Paimpol et pris la direction de la pointe de l’Arcouest, Erwan roulait à fond le long du littoral en se demandant où la mer avait pu se planquer. Sur la Côte d’Azur, impossible d’ignorer la proximité de la Méditerranée. Ici, pas moyen d’apercevoir la Manche avant d’avoir le nez dessus. La campagne verdoyante qu’il traversait aurait pu se trouver dans le Limousin ou en Alsace.

Il ne voulait plus réfléchir à l’enquête — trop d’infos, trop de folie. Pour l’instant, une seule préoccupation : il allait être en retard à l’enterrement. Déjà 14 heures et il ne connaissait même pas les horaires des vedettes pour Bréhat.

Comme prévu, la mer jaillit à quelques mètres seulement de l’Arcouest. Un virage et d’un coup, le grand jeu : à gauche les flots d’ardoise à perte de vue, à droite une falaise de granit raide comme une lime. Ciel couvert, pluie fine : rien à signaler, mon capitaine. Pourtant, un détail clochait : l’appontement, encadré par un bar-tabac, un hôtel et une boutique de souvenirs, était pris d’assaut par plusieurs fourgons de gendarmerie ainsi que des bagnoles sérigraphiées de flics. Les Cruchot semblaient attendre la prochaine vedette ou plutôt un ennemi public numéro un à son bord.

Erwan laissa sa voiture sur le parking surélevé puis descendit à pied vers la grève, sac à l’épaule, à petite foulée. Que s’était-il passé encore ? Pourquoi tant de bleus à l’horizon ? En s’approchant, son étonnement redoubla : tout ce petit monde était dirigé par Pascal Viard himself. Pas la peine de chercher plus loin : cette haie d’honneur était pour sa pomme. Le préfet parisien devait penser que l’enterrement était terminé et qu’Erwan n’allait pas tarder à rentrer sur le continent.

— C’est pour moi que t’es là ? hurla-t-il à l’attention de Viard.

À son regard, il comprit que son hypothèse était la bonne.

— J’avais peur de t’avoir manqué, répondit le flicard en ravalant sa surprise.

— Qu’est-ce que tu fous là ?

— En vertu des pouvoirs qui me sont conférés, je te notifie ton placement en garde à vue à… (il jeta un coup d’œil à sa montre) 14 h 40. Tu peux prévenir un proche conformément à l’article 63-2. Tu peux aussi contacter un avocat…

Avec sa veste matelassée chinoise, son bonnet tibétain et son pantalon de treillis à poches latérales, Viard avait l’air d’un prof de fac devisant sur les marches d’une université. Erwan comprenait qu’il ait amené du monde : c’était pour donner un peu d’autorité à sa grande scène d’arrestation.

— Pour quel motif ?

— Alors là, fit l’autre en s’avançant, j’ai des capotes pour l’hiver. Par quoi j’commence ? Ta p’tite visite chez moi ? Au bureau ? Tes coups et blessures à un officier de police ? Ta mission commando à la blanchisserie Domanges ? Ton interrogatoire illégal de Patrick Benabdallah ? Depuis ton retour d’Afrique, on peut dire que t’as pas chômé.

Une seule bonne nouvelle : pas un mot sur sa visite matinale à Jean-Louis Lassay.

— Tout ce que j’ai fait, rétorqua Erwan le plus sérieusement possible, je l’ai fait dans le cadre de l’enquête sur le meurtre de ma cinquième de groupe et…

— Garde ta salive pour le PV. Pour l’instant, file-moi ton badge et ton feu. Tu s’ras gentil de pas résister ni de nous la jouer « héros entravé dans sa croisade solitaire ».

Il détacha le holster de sa ceinture, attrapa sa carte et remit le tout aux gendarmes. Inutile d’alléguer la compétence territoriale : Viard sortait toujours couvert.

— T’as fait le voyage juste pour moi ?

— Un Morvan avec les pinces, ça vaut le détour.