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— Mon plan était préparé depuis longtemps.

— Avec l’aide d’Isabelle Barraire.

— Bien sûr. Quand j’ai raconté à ton frère qu’elle idolâtrait Pharabot, il a avalé le bobard sans moufter. Ce qui prouve qu’un bon flic peut totalement manquer de psychologie. Isabelle, fascinée par ce vieux dément décati ? Qui aurait pu croire une connerie pareille ? Non, elle a été à la fois ma patiente, ma maîtresse et ma partenaire. Elle s’est passionnée pour mes recherches, qui étaient le prolongement de celles de son mari.

— Par amour ?

Lassay éclata de rire :

— Ça fait un moment qu’on évolue dans des sphères infiniment plus complexes.

Des amants assassins. Une liaison entièrement vouée à la violence et à la folie. Un vaccin qui exacerbe le mal. Pas vraiment le courrier du cœur, en effet.

— Parlez-moi d’Anne Simoni.

— Isabelle la soignait pour ses penchants vicieux. Elle n’a eu aucun mal à l’attirer dans un piège. Nous l’avons embarquée sous le pont d’Arcole. Je suis redevenu l’Homme-Clou. Nouvelles jouissances, nouvelles confirmations. Le Pharmakon avait brisé mes inhibitions.

Loïc avait l’impression d’évoluer dans un désert torride, crânes blanchis, corps oubliés, chaleur à crever. Il revoyait le rapport d’autopsie d’Anne Simoni et les horreurs que Lassay lui avait fait subir. Pas la peine d’épiloguer.

Quant aux détails logistiques — le lieu du sacrifice, l’utilisation du Zodiac, la prouesse de la mise en place du corps —, il laissait ça aux flics, c’est-à-dire à personne. Lassay ne serait jamais arrêté. Soit il mourrait, soit il s’en sortirait blanc comme le cul d’une vierge, mais tout se réglerait ici, cette nuit, entre ces quatre murs.

— Ludovic Pernaud ?

— Très difficile d’approche. Pour l’occasion, Éric Katz est redevenu femme. C’est elle qui lui a injecté l’anesthésiant. Je suis arrivé pour le sacrifice.

— Il n’y avait aucune trace de produits chimiques dans son sang.

— C’est mon métier. Accorde-moi l’avantage de connaître exactement la nature des produits que j’utilise et les résidus qu’ils laissent dans l’organisme.

Les images se bousculaient dans la tête de Loïc. Un psychiatre séduisant assisté d’une femme-homme qui avait embaumé son propre mari et ses enfants. Une force meurtrière libérée par un sérum contre-productif. Des bricolages neuronaux qui se traduisaient dans le réel par un déferlement d’horreur…

— Gaëlle à Sainte-Anne, lâcha-t-il comme un drogué exigeant sa nouvelle dose.

— Je devais me rapprocher de Morvan par cercles concentriques, comme un serpent. L’élimination de ta sœur était une étape décisive mais j’ai sous-estimé cette gamine. Gaëlle était bien la fille de son père. Plus folle et plus combative que n’importe quel guerrier fanatique.

Il tressaillit. Gaëlle. Sa force, sa fragilité, sa présence, perdues à jamais. Les yeux de Loïc brûlaient maintenant — de larmes. Reviens aux faits. Ne faiblis pas. L’exercice mental consistait à confronter, en temps réel, les notes d’Erwan et les confessions de Lassay. Passe à l’Homme-Clou.

— Quel a été le rôle de Pharabot ? Pourquoi l’avoir rapatrié de Belgique ?

— Quand ton frère est venu m’interroger, j’ai compris qu’il lui faudrait un coupable. J’ai eu l’idée de le lui fournir.

— Quand exactement l’avez-vous fait revenir ?

— Le samedi 15 septembre, après mon détour à Marseille.

— C’était vous à Fos ?

— Chaque sacrifice devait être accompli dans les règles avec des clous africains. Je suis venu cette nuit-là forcer un conteneur et je suis tombé sur ton frère. Un simple contretemps. À mon retour à Charcot, j’ai réalisé que je pouvais continuer à tuer, à la seule condition qu’un autre paie l’addition.

— Selon les notes d’Erwan, l’agresseur du port de Fos était un coureur hors pair.

— J’ai été champion universitaire. Je me suis entraîné toute ma vie. Sans compter le Pharmakon et son pouvoir de boosteur.

Loïc recadra son interrogatoire :

— À quel moment avez-vous livré Pharabot en pâture ?

— Jamais. Je le gardais sous la main à Louveciennes, dans la baraque d’Isabelle. Elle se chargeait de le tenir tranquille en attendant mes instructions. Finalement, je n’ai pas eu besoin de lui. Ton frère s’est d’abord orienté sur les quatre greffés qui ont eu la bonne idée de s’enfermer dans une baraque et de se faire massacrer…

Loïc songea aux multiples coïncidences qui avaient induit Erwan en erreur : la forme olympique du tueur de Sainte-Anne désignant Joseph Irisuanga, coureur médaillé, la combinaison zentai rappelant les soirées fetish de Lartigues… D’autres hasards encore : Sébastien Redlich partenaire de tir de Pernaud, Anne Simoni endoctrinée par Ivo Lartigues… Vraiment de quoi se fourvoyer.

— Un putain de miracle, commenta Lassay de son côté. Et comme si ça ne suffisait pas, un autre aficionado est sorti du chapeau : Philippe Kriesler, le petit assistant de l’ombre. Pharabot avait décidément produit un beau sillage de cinglés.

Loïc observait toujours ce grand homme aux manières souveraines et au sourire enjôleur. En y regardant mieux, tout était faux. Sous son vernis de séducteur, la folie transparaissait à chaque instant.

— Quand l’affaire a été bouclée, pourquoi ne pas avoir abattu Pharabot ?

— Par prudence. Je n’en avais pas fini avec les Morvan. En temps voulu, j’aurais eu besoin d’un coupable désigné. J’ai attendu que les choses se tassent et j’ai lancé Isabelle sur la trace de Gaëlle. Je voulais profiter du départ des hommes forts du clan en Afrique pour reprendre ma vengeance.

— Merci pour moi.

— Ta faiblesse et ta lâcheté ne sont un secret pour personne. Je me demande d’ailleurs ce qui t’a pris de te jeter comme ça dans la gueule du loup…

Pas question de le laisser cogiter là-dessus.

— Mais Isabelle Barraire est morte et Erwan est rentré, enchaîna Loïc.

— J’aurais pu faire face à la situation : c’est la fliquette qui a tout gâché en allant à Louveciennes. L’ADN de Pharabot était partout dans la maison. Dès le lendemain, Erwan a rappliqué à Locquirec. On était reparti pour un tour. Viard, qui craignait qu’on découvre l’implication du gouvernement dans ce bordel, a fait assassiner José Fernandez, un infirmier qui savait trop de choses. Mais le principal problème était Pharabot dans la nature…

Loïc comprit un autre versant du dernier acte :

— Vous l’avez aidé ?

— Il m’a contacté. Il avait besoin de médocs. C’est moi qui lui ai indiqué la blanchisserie de Gennevilliers. Je me suis dit qu’il pouvait finir le boulot. Pourquoi pas après tout ? Le véritable Homme-Clou reprenait le flambeau…

— Vous l’avez fait revenir à Bréhat ?

— Non. Il s’est démerdé seul : il était en manque.

— Quel manque ? Il n’avait pas suivi le traitement.

— C’est vrai mais depuis longtemps il survivait grâce à un cocktail de ma composition.

Les produits qu’on avait retrouvés à Louveciennes n’avaient donc rien à voir avec le vaccin. Encore une fausse piste

— Au même moment, poursuivit le psy, Viard m’a prévenu que vous enterriez le Vieux à Bréhat. Je n’aurais pu rêver plus belle coïncidence. J’ai lâché mon chien sur ce qui restait du clan.

Le corps de Gaëlle reposant dans la chambre. Il ne mourrait pas avant de l’avoir vengée. Machinalement, Loïc se concentra sur le calibre toujours braqué sur lui. Il devait être le plus rapide… mais au moment voulu.