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Tom ? Mais oui Tom ! C'est moi aussi ! Le digodril !

Nooon ! C'est moi qui lui faisais bouffer cette merde !!

Il vola jusqu'à la pharmacie pour ingurgiter le tube complet de somnifères, il n'avait pas le choix, plus le choix… Pour lui, pour eux, pour les sortir de ses griffes… La farandole de petits cachets blancs roula silencieusement et s'installa dans le creux de sa paume. Mais sa famille dévalait déjà ! Il devinait les pas légers des enfants, si caractéristiques, et ceux de Beth qui suivait ! Paniqué, décontenancé, il rangea une à une les pilules du désespoir dans leur flacon, reposa le poison à sa place, se plongeant en définitive la tête sous l'eau.

— Tu es là, mon chéri ? s'inquiéta Beth, n'apercevant personne dans les autres pièces.

— O… oui, dans… dans la salle de bains… Je me lave… j… j'arrive…

Tandis qu'elle trônait dans sa cuisine, casserole à la main, il s'aventura sur la pointe des pieds dans le living, stoppa discrètement le caméscope, et déroba le poisson inerte. Garder ce lourd secret était, pour l'heure, la plus judicieuse des options, car compromettre son couple, risquer de perdre ses jumeaux, était pire bêtise que de s'ouvrir les veines. Aujourd'hui, pas question d'aller travailler. Il ne se lamenterait pas à la maison non plus, il se rendrait chez un hypnotiseur que Beth avait déjà rencontré pour ses problèmes de foie. Peut-être qu'en lui triturant le subconscient, le spécialiste réussirait à glaner quelque information. Il s'approcha de sa moitié, se scotchant un sourire artificiel comme tiré par d'invisibles ficelles.

— Alors, qu'est-ce que ça a donné la caméra ? Tu as trouvé quelque chose ou pas ? demanda Beth, qui sortait deux beaux œufs du réfrigérateur.

— Non, il ne s'est rien passé cette nuit… Il réfléchit un bref instant. Peut-être a-t-on décidé de nous laisser tranquilles, maintenant. Je pense que c'est fini ma chérie, nous ne devrions plus être embêtés…

— Espérons… J'avoue que s'il se passe encore d'étranges faits, je vais craquer. Cette maison me fait si peur, désormais… Oui, encore un coup comme ça, et on quitte cette ville, hein, Warren ? On partirait ?

Gendarme intransigeant et impresario de sa vie, sa raison lui ordonnait de tout avouer. Mais quelque chose d'autre, de fort, d'immuable, d'incontrôlé, faisait obstacle.

— Oui, on partirait d'ici… Mais ça ne se reproduira plus…

— Comment peux-tu être aussi affirmatif ?

— Je le sens, c'est tout…

Chapitre 6

L'Arrache-Cœur ouvre ses portes

1

Sur la route de Paris, il appela le chef de sa fourmilière pour annoncer qu'il était malade, ce qui était, dans un certain sens, la pure vérité. Ses rendez-vous n'étant que dans l'après-midi, il décida de se rendre à la Bibliothèque Nationale, afin d'y trouver des pistes sur les causes de son état. Et puis, un endroit teinté d'une telle spiritualité l'aiderait à retrouver une raison qui lui faisait défaut.

Non moins luxueux et tout aussi spacieux que le Queen Elizabeth II, ce pays de Cocagne de la connaissance étalait ses recueils à l'infini, dévoilant d'illustres épistoliers, prosateurs, et vaudevillistes de France qui se partageaient des présentoirs où la place se monnayait à prix d'or. Des passionnés se suspendaient à des échelles à roulettes pour dénicher les bouquins centenaires dont les âmes, qui flottaient au sommet de la voûte tapissée d'étoffes royales gorge-de-pigeon, donnaient à l'endroit un caractère de magie et de respect. Perdu au cœur d'une allée qui ressemblait à Wall Street, il demanda conseil à l'un des bibliothécaires agrippés à ces parois de culture. Il choisit quelqu'un d'âgé, celui qui naviguerait le mieux dans ce dédale littéraire.

— Monsieur ? Dans le cadre d'une thèse sur le sommeil, je recherche des informations sur le somnambulisme… Il marqua une pause, le temps de laisser descendre le type, et reprit. J'ai cru entendre dire que certaines personnes, des adultes, faisaient des actes étranges pendant la nuit, et cela indépendamment de leur volonté… Comme allumer toutes les lumières, et repartir se coucher sans se souvenir le lendemain… Auriez-vous des livres sur le sujet ?

Le sexagénaire réajusta ses lunettes à double foyer sur la patate qui lui servait de nez. Warren avait craint que celui qui aurait dû être à la retraite depuis dix ans ne le prît pour un fou de poser ce genre de questions, mais apparemment il y était accoutumé. Doigt levé, comme le font les golfeurs pour connaître le sens du vent, le petit rabougri au pull de laine rubis l'invita à le suivre.

Il sait, pensa Warren, il va me trouver quelque chose ! Une bonne affaire que je n'aie eu les rendez-vous que dans l'après-midi…

Dos voûtés, des lève-tôt de tout âge dévoraient les écrits à la couverture poussiéreuse et aux pages fossilisées, tandis que d'autres, regroupés en cénacles, partaient à la recherche des secrets de la vie ainsi que des mystères des époques passées.

Ces rangées d'ouvrages, qui discutaient entre eux dans des chuchotements intemporels, imprégnaient Warren de leur caractère soporifique et intact, le faisant regretter de ne pas être venu dans ce royaume spirituel dans de meilleures circonstances. Évoluant avec aise entre les anthologies, les corpus d'inscriptions latines, les épitomés et autres psautiers, l'inusable vieillard piochait, de ses mains polies par l'âge, caressait, puis remettait les bijoux à leur place. Ses os ramollis qui grognaient ne l'empêchaient pas de voltiger sur les échelles à la façon d'un trapéziste, pour dégoter des trésors que Warren ne voyait même pas d'en bas. La moisson terminée, il posa trois manuscrits sur une table en ronce de noyer. À deux pas de se retirer sans décrocher un mot, il fut stoppé par Warren, interloqué par si impressionnante maîtrise.

— Excusez-moi, monsieur ! Juste une petite question… Comment faites-vous pour connaître l'emplacement de tous ces livres ?

Le bonhomme au regard bleu-pacifique découvrit des dents semblables aux touches d'un piano à queue, laissant planer l'impression qu'il avait vieilli de dix ans depuis tout à l'heure.

— Vous savez, cela fait quarante-huit ans que je travaille ici. Ces livres, ils sont ma vie. Je les aime, vous comprenez ?

— Je vous comprends monsieur… Je vous remercie pour votre aide…

— Sachez déchiffrer les mots… Imprégnez-vous de l'âme de l'auteur, cherchez au plus profond de votre être, et vous aurez les réponses à toutes vos questions…

Ses mots s'évaporèrent et l'homme fondit au bout d'une avenue sans se retourner. Warren inventoria ce que lui avait pêché le mystérieux individu. « La part de l'animal », « Cultes et religions interdits » et … « La linotte mélodieuse ! »

Mince, il a su comment pour l'oiseau ? Cette fameuse linotte, qui a pratiquement cassé la vitre chez le vétérinaire ? Et celle que j'ai vue sur le rebord de ma fenêtre, l'autre fois, et qui a bien failli me croquer la main ? C'est quoi cet oiseau, je rêve ou quoi ?

Livres sous le bras, il s'aventura dans le labyrinthe à la recherche du Minotaure de l'accueil, qu'il ne trouva qu'après être passé une bonne dizaine de fois dans la même allée.

— Pardonnez-moi, madame ! Je recherche un monsieur d'une soixantaine d'années, petit avec un pull-over rouge. Il m'a donné ces livres…

La femme hommasse, aux traits sévères et aux cheveux filasse, feuilleta les pages du bout d'un ongle cassé.