— Cet homme était sur Terre pour faire le bien autour de lui, vous comprenez ? termina Warren.
— Les traces d'oiseau, sur les lieux du crime… Moulin me les avait fait remarquer, la première fois. Puis l'autre fois, chez le notaire ! C'était lui ! Il venait libérer ces âmes ! Vous… vous croyez qu'il…
Il baissa les yeux, puis les releva, humides.
— … qu'il est venu aussi, pour ma femme ?
— Je pense que oui… Il m'a dit qu'il mourait heureux, parce qu'il avait réussi sa mission…
L'inspecteur se redressa un peu, s'essuyant le coin des yeux du bout de la manche. Il se sentait soulagé, un bien maigre soulagement.
— Il… il va falloir attendre mardi pour avoir une chance de le coincer ? se rendit compte Warren, prêt à semer une nouvelle série de gouttes salées.
— Malheureusement oui… La réunion n'a pas lieu avant… Il… va encore avoir le temps de frapper…
— Le… petit vieux m'a dit une phrase importante… que si on le tuait, on libérait tous les autres… Je pense qu'il est une espèce de générateur, et qu'il réussit à entretenir leur état animal…
— Ce serait une chance pour nous… Sinon, nous n'en viendrons jamais à bout… Tuez-en un, il y en a cinquante autres derrière… Prions, prions pour que ça marche… Ce… Sam… on va le coincer.
Les neurones de Warren connectèrent séance tenante ce qu'il venait d'entendre à des zones de mémoire encore endormies.
— Sam ? Vous… vous avez dit Sam ? J'ai… j'ai connu un Sam, autrefois !
L'inspecteur sortit une feuille plastifiée.
— Ça vous rappelle quelqu'un ?
Sa tête s'alourdit soudainement. Des flashes, des centaines de flashes, vinrent faire écran au fond de ses rétines.
Marronniers… champs de blé… rires… bagarres… école…
— C'est… C'est lui, c'est lui bon sang !! Sam, Sam Pradigton !! C'est lui !!
L'inspecteur nota, excité : « Pradigton. » Warren termina de faire le rapprochement.
— Ne… Ne me dites pas que…
— Si, c'est lui, le coupa l'inspecteur, c'est bien lui ! L'homme blanc, dans le livre… Le tueur, l'assassin, c'est lui !!
— Il… il a osé tuer ma femme !! Beth, il la connaissait, il l'adorait !! Pas lui !! Mes enfants !! Il les a achevés comme ça, comme des animaux !!
Il ne pleura pas, dominé par une intense colère. Cette haine qu'il avait cherchée depuis si longtemps était désormais solidement enracinée dans ses pensées.
— Je… Je veux le tuer…
Il serra les dents, elles grincèrent.
— Vous ne vous souvenez pas s'il est venu vous voir ? demanda Neil, toujours à l'écoute.
— Non, rien… Rien du tout… Il serait venu chez moi, ce salaud…
— Neil, vous…
Agité de spasmes violents, Neil baignait dans une grosse flaque de vomi qui avait recouvert la moitié de la table. Warren se jeta à ses côtés pour le relever.
— Mais, qu'est-ce…
— Il a le paludisme ! clama l'inspecteur. Il l'a chopé là-bas, en Guyane. Il a des crises comme ça au moins une fois dans la journée… À l'hôpital, ils ont dit qu'il avait une chance sur deux d'y rester un de ces quatre… Mais dans tous les cas, il aura droit à ça jusqu'à la fin de sa vie…
— Bon sang… Pauvre homme… Il n'y est pour rien dans cette histoire…
— Il ne nous a apporté que de bonnes choses, dit l'inspecteur qui le tenait sous les bras. C'est grâce à lui si on en est là aujourd'hui… Je ne l'abandonnerai jamais…
Il allongea la peluche sur un fauteuil en lui caressant le front.
Alerté par les bruits, un infirmier accouru et resta figé en bordure de salle. Neil retrouva ses esprits après cinq bonnes minutes. L'inspecteur lui tapotait les joues.
— Heureux de vous revoir, Neil…
— Je… ça déménage ! On se croirait dans un train fantôme !
Comment réussit-il à garder le sourire avec ce qui lui arrive ? pensèrent simultanément l'inspecteur et Warren.
Sharko tourna la tête vers Wallace.
— Vous allez rester ici encore en observation quelques jours… S'il s'avère que vous n'avez plus rien, vous serez libre…
— J'ai… j'ai pourtant tué un homme, rappela Warren, qui n'avait de toute façon plus grand-chose à perdre.
— Tous les chercheurs qui ont étudié votre cas sont d'un avis commun, favorable. Vous n'êtes pas responsable. Vous serez tout de même jugé, et votre cas fera jurisprudence. Ils vous auraient gardé ici, si vous n'aviez pas guéri. Mais si vous n'avez plus aucun symptôme, ils n'ont aucune raison de vous retenir. Passez encore quelques bonnes nuits ici, retapez-vous, et mardi soir, vous serez de la partie pour tuer ce salaud. Quant à la presse, on va leur faire croire qu'on n'a ramené que dalle de là-bas. Le fumier se sentira en sécurité et plus puissant que jamais…
— Merci, inspecteur.
Sam soufflait. Ces crétins, même pas capables mettre la main sur la tribu, n'avaient ramené que du vent de Guyane.
Privés du moindre morceau de gruyère à se mettre sous la dent, ils lui laissaient champ libre pour agir, semblant même l'encourager, par si hurlante incompétence, à sévir de plus belle.
Fort, malin et suffisamment autonome, Lionel partait seul en mission désormais. Ce que Sam ignorait, c'est qu'en plus de son « travail », il faisait, en ouvrier appliqué, des heures supplémentaires. Ce samedi soir, il alla massacrer son juge d'application des peines sereinement, sans se presser, puis écuma les villages voisins à la recherche de pénates isolés. Rien que l'idée de savoir qu'à l'intérieur l'attendaient peut-être de jolies femmes l'excitait encore plus. Il pénétrait par-derrière à chaque fois et montait, comme d'habitude. Il lorgnait depuis l'entrée de la chambre dans le lit, et si elle ne lui plaisait pas ou si son ami d'en bas manquait de rigidité, il ressortait puis allait butiner ailleurs. Il ne tuait qu'en cas de nécessité, car Sam, si tatillon et organisé, s'apercevrait que le nombre de morts rapporté par les informations ne collait pas à ses objectifs. Ce soir-là, la troisième maison fut la bonne. La proie était seule, un cas d'école ! Pas spécialement belle, elle invitait cependant au plaisir en s'étalant nue langoureusement au-dessus de ses draps.
Sexe en avant, il se jeta sur elle tel un artiste de cirque qui vole vers son trapèze. Ensuite, il ouvrait le bal en lui allongeant trois claques en pleine figure, avant de la pilonner en ronronnant de bonheur, tandis qu'elle hurlait de douleur. À chaque fois qu'il sentait que le flot allait venir, il se retirait pour entretenir ce fugitif moment de bonheur, avant de la piquer de nouveau plus fort, plus vite. Puis l'instant magique venait, le foudroyant d'une cascade de plaisir. Une fois l'acte accompli, il lui défonçait le crâne de ses poings et la prenait sur ses épaules tel un sac de pommes de terre, soit pour la cacher dans le grenier, soit dans la cave.
En rentrant, profitant de sa notoriété, il ne justifiait jamais ses retards. Sam plaçait en lui une entière confiance, et en fait, il ne le trahissait pas, se récompensant juste lui-même pour son dévouement. Il avait autant pris goût au fruit défendu qu'à la chair humaine. Pourquoi le patron n'embauchait-il jamais de femmes ? Ils pourraient ainsi, d'animal à animal, s'offrir du bon temps à volonté sans prendre le moindre risque. Parce qu'il était incapable de se passer d'une nuit sans grimper au septième ciel et que, forcément, le chef finirait par s'en apercevoir, il lui fit part de son avis.