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Tous ou personne, s'étaient-ils pourtant juré…

Avant de s'aventurer dans le dédale, Sharko se retourna une ultime fois. Les monstres progressaient côte à côte, formant les mailles d'un filet infranchissable. Surgissant juste du fossé, ces animaux faisaient truffe commune dans une direction unique : l'entrée par laquelle les fugitifs s'étaient tous enfoncés. Avec Neil, l'inspecteur s'évanouit sous les arbres, futures pierres tombales. Le petit ami, entre deux respirations, glissa quelques mots.

— Par-là… Ils croiront que nous avons pris au plus simple…

Ils s'engagèrent de plus belle dans un passage rendu difficile par l'entrecroisement de ramures aux extrémités épineuses. Neil passait aisément, contrairement à l'inspecteur qui progressait tant bien que mal, pénalisé par son imposante carrure…

Moulin avait opté pour une option différente. Il avait profité de son avance pour longer l'orée de l'intérieur, se dirigeant vers la gauche plutôt qu'en profondeur. Sachant que s'enfoncer dans le bois conduisait tout droit à une mort certaine, il s'était aplati sous un épais tapis de feuilles à une centaine de mètres de là où ils s'engouffreraient tous. Persuadé que la cohorte maléfique se contenterait de suivre le maigre chemin qui éventrait la forêt, il ressortirait par le champ, direction la route, direction la liberté.

Il les vit traverser le terrain sans se presser, puis s'enliser dans le sentier boueux à la file indienne, grognant comme des chiens enragés. Il attendit deux bonnes minutes qu'ils fussent tous hors de vue. Quand il perçut leurs voix et leurs cris, tout au fond, rebondir sur les arbres, il sut que ces idiots, bernés tels de parfaits débutants, s'éloignaient tous dans les mâchoires du Mal. Dos cassé, il sortit de sa cachette, mi-calme mi-paniqué, puis s'aventura dans la parcelle marécageuse d'abord accroupi, ensuite debout, vers le virage, posé à trois cents mètres en diagonale d'où il se trouvait. Il se mit à courir, seul moyen de s'occuper l'esprit et de ne pas penser aux autres, ses amis, ceux qu'il avait abandonnés. « À quoi bon tous mourir », s'était-il dit alors, autant que ceux qui pouvaient s'échapper le fissent. Il progressait à un rythme correct, les yeux rivés vers la colonie d'arbustes touffus accrochés au fossé. Agrippé et vissé au sol par cette satanée bourbe, il s'efforça, à mi-chemin, de reprendre un souffle devenu subitement douloureux. Ses mollets qui commençaient à brûler du sucre et les muscles à l'arrière de ses cuisses qui durcissaient comme du béton promettaient, sous peu, l'apparition de sérieuses crampes. Néanmoins, et bien que n'ayant récupéré que la moitié de ses facultés, il se remit en action. Il y était presque, plus qu'une centaine de mètres à parcourir, puis il fondrait sur la droite et après la courbe, là-bas, il serait sauf ! Un autre essaim de croque-jambes gicla sans prévenir de sous le porche, semblables à des abeilles se répandant d'une ruche.

Merde, il en restait ! pensa-t-il furtivement, plongeant dans la mélasse entre deux sillons pour laisser juste dépasser la tête.

C'est bon, ils ne m'ont pas vu, impossible…

En tête du groupe, Sam pointa le doigt dans sa direction, provoquant le détachement d'une grappe de cinq bourreaux qui couraient vers lui. Ils l'avaient vu !! Alourdi d'un bon kilo de gadoue, il se releva, fit demi-tour pour regagner la forêt, mais elle était trop loin, beaucoup trop loin ! Vu leur rythme, ils auraient vite fait de le rattraper ! Le temps qu'il réfléchissait, ils avaient accéléré le pas. Deux vampires s'éloignèrent de la troupe pour s'engager dans le champ, tandis que les autres patrouillaient sur la route, alignés et évoluant à l'unisson. Il fit machine arrière pour tenter d'atteindre le goudron, désespérément. Trop tard, ils étaient déjà à son niveau ! Il brandit son arme. Il avait huit balles, ils étaient cinq, il s'en sortirait, peut-être même les effraierait-il ! Les poursuivants se séparèrent encore. Un le contournait par la droite, chevauchant les petits buissons surplombant le fossé sans même les toucher, alors qu'un autre s'immobilisa au virage pour bloquer l'issue.

Les deux qui progressaient dans la parcelle fondirent dans sa direction en se divisant eux aussi. Il tira une première fois droit devant lui, mais la détonation ne les ralentit pas, jouant l'effet contraire en les excitant de plus belle. Ils étaient dorénavant tout proche de lui, à une trentaine de mètres, s'apprêtant à lui tomber dessus comme un filet de pêche sur un dauphin. Les deux mains sur la crosse de son revolver, il tournoyait sur lui-même, essayant de tous les viser en même temps. Une voiture surgit du virage ! Deux ombres au volant ! Un homme et une femme, des jeunes ! Il se mit à hurler « Aidez-moi !! Aidez-moi !! » Le véhicule marqua un temps d'arrêt, les spectres s'agitèrent, la fille secoua la tête, tirant le jeune homme par son pull-over. Le moteur gronda, les pneus crissèrent, l'automobile accéléra.

Moulin suppliait du secours, s'arrachant la voix, s'écorchant le cœur. Trois barbares se dressèrent leur barrant la route, la voiture stoppa net. Des cris éclatèrent dans l'habitacle, les têtes s'agitèrent, les larmes coulèrent. Le garçon engagea la marche arrière, collant l'accélérateur au plancher, mais un énième corbillard bondit du virage et se rangea en plein milieu de la route, annihilant toute échappatoire. Deux colosses en sortirent, franchirent le fossé d'un pas puis accoururent dans la direction de Moulin, tandis que la fille éclatait en sanglots et que le chauffeur repartait en marche avant, bien décidé à foncer coûte que coûte. Trop tard, Sam avait déjà barricadé l'issue de sa simca. Profitant de l'inattention momentanée de ses agresseurs, Moulin tira et en toucha un à l'épaule. Pourtant propulsé à un bon mètre en arrière, l'homme-bête, bave aux lèvres, s'avança d'un air plus hostile encore. Une deuxième balle la coucha sur le sol, définitivement.

— Re… reculez, reculez ou je vous tue tous !! Reculez !!

Sam balança un cœur sur le pare-brise du véhicule du jeune couple, à la manière d'un athlète qui lance un poids. Le muscle s'écrasa entre les deux essuie-glaces avant de rouler sur le capot, laissant une traînée visqueuse et opaque sur la vitre. La fille hurlait, le type fermait tous les verrous. Non, mauvaise idée, les malades casseraient les carreaux ! Ils s'éjectèrent de la voiture, s'enfuirent vers le virage. La gamine avait abandonné son sac à main de cuir sur le sol, alors que l'adolescent aux magnifiques yeux azur lui tendait la main, la mort dans le regard. Un pavé lancé avec une précision d'archer vint se ranger à l'arrière de la belle chevelure blonde du jeune homme, tandis que la demoiselle fut plaquée bruyamment sur le goudron. Elle fut offerte à Sam, qui s'effaça en sa compagnie dans la cour intérieure, la traînant par la crinière. Les cris de la mignonne furent étouffés par ceux de Moulin, n'ayant de toute façon pour uniques oreilles que celles des êtres ignobles qui s'éparpillaient tout le long du bois.

Larmes aux yeux, le policier, surpris par un grognement, pivota immédiatement pour exploser une brute en plein vol. Un autre sauvage surgit de derrière, faisant des bonds immenses, les quatre membres enfoncés dans la terre à la façon d'un homme-araignée. Le policier ouvrit le feu, mais l'habile insecte esquiva, rebondissant agilement dans la boue. Il ne l'allongea qu'après la quatrième balle. À peine retourné, il reçut un coup dans le dos qui l'étala dans une ornière. Son arme glissa dans une flaque.

— Noonn !! Nooon !

L'un se coucha sur lui, un autre lui vomit des morceaux de chair sur la figure, accompagné d'un troisième qui l'empoigna et lui arracha trois doigts avec la mâchoire, le visage recoloré par le sang qui giclait. La victime s'évanouit de douleur, au moment où l'animal lui gobait ses phalanges à la manière d'un crocodile qui avale un reste d'antilope. Exhibant fièrement au-dessus de leurs têtes le trophée, ils l'emportèrent dans la ferme, pour lui réserver un sort digne de leur cruauté…