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Tous se regroupèrent au milieu de la cabane. Un randonneur, à genoux, fixait le membre en vomissant.

— Vous, venez ici, vite !!

L'inspecteur le tira par le bras. Des bruits de pas sur le toit.

Des reniflements sous la porte. Des branches qui gémissaient à gauche, à droite, derrière eux.

— Groupez-vous au centre ! s'écria l'inspecteur, une main sur l'épaule de Neil. Plaçons-nous dos à dos, en cercle, vite ! Prenez chacun une direction !!

Sous les lattes du plancher, ça grouillait aussi. Des griffes commençaient à gratter sur la porte, des poings tambourinaient sur les quatre murs avec un rythme semblable à celui d'un tam-tam africain. Soudainement plus un bruit.

— J'ai peur, mon Dieu, protégez-nous ! pleurnichait Warren.

— Silence, murmura l'inspecteur, chut ! On… on dirait qu'ils sont partis, c'est si calme tout à coup…

Les cinq survivants frôlaient la crise de nerfs. Pourtant costauds, les pauvres campeurs vacillaient, à la limite de l'étourdissement devant le membre qui se vidait et blanchissait à grande vitesse. L'odeur du sang se dispersa tout autour d'eux, et ce silence, insoutenable, portait à penser à une attaque imminente. Les feuilles décomposées, sur le tapis d'humus, se remirent à bruisser. Des pas, des dizaines de pas les foulaient !

Le chasseur démembré, à l'extérieur, hurla à mort.

— Mon Dieu, il est encore vivant !! jacassa Neil. Bon sang !!

Cinq doigts traversèrent la vitre, roulant les uns derrière les autres tels des osselets jusqu'à la cheminée.

— Tu… tuez-moi, supplia Warren. Inspecteur, s'il vous plaît…

Les battements reprirent dans un brouhaha plus immonde encore, déformant, par la violence des coups, l'épaisse porte.

L'inspecteur ouvrit le feu en plein centre, convaincu qu'armés comme ils étaient, ils pourraient tenir. Un hurlement s'éleva, un corps roula dans l'escalier, puis plus rien. Déchiré d'une infinité de vaisseaux sanguins éraillés, un blanc d'œil immonde boucha le trou créé par la balle, balayant la pièce d'allers et retours rapides. Un chasseur balança un coup de vingt-deux long rifle dans sa direction, provoquant l'explosion du quart de la porte et un grognement inhumain. Derrière eux, un homme-animal jaillit à quatre pattes du foyer de la cheminée, la bouche chargée d'écume mélangée à de la suie. Crocs en avant, il se jeta à la jugulaire d'un chasseur en lui arrachant la moitié de la gorge, alors qu'un autre emprunta le même chemin pour rester coincé dans le bas du conduit, les jambes au ras du sol. Neil s'avança dessous, plaça le canon de son revolver sur l'endroit où se trouvait sa bourse, et appuya sur la gâchette. Les deux boules de naphtaline éclatèrent, et un filet d'hémoglobine comme tout droit sorti d'un robinet s'épancha sur les braises. Un autre avait déjà pénétré par la porte d'entrée. La fenêtre vola en éclats en même temps, et quatre kamikazes surgirent, les uns derrière les autres. Le dernier randonneur les alignait au fur et à mesure qu'ils rentraient comme s'il participait à un ball-trap, mais d'autres pénétraient encore derrière, lui laissant à peine le temps de recharger. Des lattes sur le sol se déclouaient de toutes parts, tandis que de fines tuiles d'ardoise disparaissaient du toit pour laisser place à des visages hideux aux dents acérées. De la bave coulait comme une pluie lourde sur le sol depuis le plafond et s'accumulait en flaques uniformes et translucides. L'inspecteur tirait sur tout ce qui bougeait, imité par Neil qui ne touchait personne, le visage peint du sang du ramoneur qu'il avait cloué dans la cheminée. Semblant être enfantées par la cabane elle-même, les bêtes esquivaient les projectiles et s'approchaient en les encerclant. Warren, impuissant, était placé au centre du cercle, protégé par le policier. Le chasseur, assisté de son double canon, les abattait deux par deux avant de se retrouver à cours de balles. Sharko reçut un coup de griffes par-dessus, son arme vola au fond de la cheminée, et lorsqu'il se jeta pour l'attraper, une main, sortie d'une latte, lui agrippa le pied. Il chuta, tête la première sur une bûchette non consommée. Il était hors jeu. Le chasseur frappait tout autour de lui avec sa crosse.

Des dents volaient par paquets puis venaient se semer sur les rideaux. Il décala la mâchoire inférieure d'un des agresseurs d'un bon dix centimètres, puis s'écroula, croqué à l'arrière cuisse. Sans tarder, une nappe rougeâtre recouvrit le plancher, puis sa tête roula dans le coin de la pièce, tranchée par un tisonnier avec le même geste qu'un swing au golf. Ses deux yeux s'agitèrent encore quelques instants, sa bouche se cousit, puis plus rien. Neil, faisant dos commun à Warren, se plaça le canon à hauteur de tempe. Face à la cheminée, personne ne l'avait en vision directe.

— Pardonnez-moi… mon Dieu, pardonnez-moi…

Il serra de toutes ses forces la main de Warren, avant de s'écrouler sur le sol après une détonation sourde.

Warren reçut un coup derrière la nuque, qui le fit s'enfoncer la tête dans les braises encore tièdes. Sam entra, doigts écartés, sourire aux lèvres. Tellement de sang lui recouvrait le visage qu'on aurait dit la couleur de sa peau.

— Allez, emmenez-moi ces deux agneaux, j'ai une toute nouvelle expérience à mettre au point. Ha ! Ha ! Ha !

Deux sbires, le nez plongé dans les entrailles d'un chasseur, s'exécutèrent, et finalement la tribu inhumaine disparut dans le bois.

9

Dehors, la nature s'était déchaînée, rappelant à l'ordre pour annoncer que l'automne ne se laisserait pas faire. La pluie battait sourde et pesante, glaciale et cuivrée. Hurlant à l'intérieur des troncs d'arbres creux, le vent déchirait presque les feuillages ou arrachait les ailes des oiseaux qui résistaient à sa colère. Les gouttes qui s'écrasaient sur la terre humide creusaient de petits cratères, qui très vite ne formaient plus qu'une mélasse grisâtre. Les nuages galopaient dans le ciel tourmenté à une allure inhabituelle comme s'ils étaient accélérés par une force inconnue, et se regroupaient au loin en un tourbillon anormalement dimensionné. Malgré les intempéries, le soleil, au ras du sol, perçait de temps à autre, blanc, puis rouge, rond, puis ovale. Les traces de pas laissées dans le champ finirent par s'estomper, tandis que le sang coulait hors de la cabane pour venir se mêler aux eaux de pluie et à la terre en un mélange ocre. Réfugiés sous les lattes, des corbeaux en profitèrent pour se régaler des tendons qui pendouillaient.

La fin était proche, et la Nature le savait…

10

Un râle, grave et faible, filtrait par la porte de l'abattoir.

Warren était couché sur le sol, encore assommé. De chaque côté de son corps inerte, deux filets de sang s'épanchaient, et les gouttes qui explosaient sur le sol résonnaient jusqu'au fond de la pièce.

Assis contre les murs ou avachis sur les tables de découpe, les spectateurs, calmes et disciplinés, dégustaient un cœur, un membre, un foie, en se léchant bruyamment les doigts. Des grognements s'élevaient parfois du bout de la salle, rejoints par d'ignobles sarcasmes accompagnés de rires étouffés voire dissonants. Plusieurs rangées d'yeux jaunes, rouges et noirs observaient, tournoyant dans leur orbite ou fixes suivant les endroits du cloaque. Dans cette pièce hermétique, ça puait les défections, l'urine, la chair putréfiée, alors que, visuellement, un mont d'ossements, constitué de fémurs, tibias, genoux et autres métacarpes, grossissait au centre. Sous le jeune Moulin, réveillé par cette odeur sauvage, sang mêlé d'ammoniac se reflétaient dans une flaque miroitée. Ses pieds qui ne touchaient plus le sol témoignaient de la précision avec laquelle le crochet lui avait été enfoncé au milieu de la colonne, au même niveau que le bas des omoplates. Bien sûr ni les nerfs ni les organes vitaux n'avaient été touchés, les tortionnaires ayant pris un soin particulier pour ne pas le tuer. Ils l'avaient accroché avec précaution, le plantant là comme un poulet sur une broche, s'efforçant tout de même de pénétrer une couche de muscles pour éviter qu'il ne s'arrachât sous son propre poids. Une fois revenu à lui, il croyait être marié à un tapis de clous. Il mit vingt bonnes secondes pour se rendre compte où il était, mais comprit instantanément au moment où il sentit une pointe lui déchirer silencieusement tout ce qu'elle pouvait en fibres musculaires chaque fois qu'il gigotait. Autour des trous formés par le crochet, la peau dessinait une auréole violacée aux bords nettement définis, puis tournait vers un bleu sombre aux extrémités. Quand il s'immobilisait, le sang s'arrêtait de couler, autorisant la peau à se coller au tube de métal pour former une croûte. Il avait préféré garder les yeux fermés tout au long de son martyre, parce que quand il les ouvrait, c'était pour voir ces monstres sanguinaires le dévisager et lui faire prendre conscience du triste sort qui l'attendait. Fouillant avec vigueur dans son esprit pétrifié pour dénicher des pensées agréables, il se força à rêver. Songer à l'été dernier, quand il avait vécu une amourette passionnée au Canada, était chose facile, et pourtant le visage de la fille restait blanc, sans yeux ni nez. Non, il n'y arrivait pas. Si ! Avec son pêcheur de père, ce matin de mai, quand il avait treize ans ! Souquez, moussaillons, on largue les amarres ! Les cordages s'enroulent, les nœuds se défont, les chaînes des ancres claquent sur les côtés ! Les bras s'agitent sur la jetée, les sourires se mêlent aux larmes ! Il se perche sur le pont à la poupe du « Blue Paradise », regard au large sur l'île de Sein ! Il sort du port, longe le chenal de Plouzac, puis la crique de la Tortue. Cuivrée par le soleil levant, la coque du chalutier décoche une vague dont l'écume vient friser au pied des falaises de la pointe du Raz. Les fous de bassan guident le navire, les albatros le suivent ! On l'appelle, oui, c'est lui qui tire sur la chaînette ! Un coup de corne de brume, un sourire au gardien du phare, plein nord ! L'équipage s'active, le moteur gronde, la mer leur sourit ! Il est le fils d'un capitaine de thonier !