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— Il m'a eu… Nom d'une pipe, il m'a eu ! Aidez-moi, vite, ça pique !

Il se roulait par terre à la manière d'un chiot qui veut s'amuser. La veine, qui distribuait malgré elle le liquide mortel au reste du corps, avait doublé de volume, désormais à deux doigts de se rompre.

— Merde, où est la seringue, bafouilla Tommy, où est cette putain de seringue ? Buck, aide-moi à la retrouver, bordel !! Mattews !! Appuie de toutes tes forces sur son biceps !! Sers-toi de tes deux mains ! Il faut ralentir la progression du poison. Buck, tu trouves ? Vite ! Cherche sur la terrasse ! Je regarde au bord du jardin ! La lumière, vite, il faut de la lumière, j'y vois rien !!

Buck se précipita sur l'halogène, qu'il manqua de renverser, et tourna le bouton à fond. Il semait derrière ses pas d'ours brun des îlots de sang ainsi que des virgules de cervelle. Mattews, lèvres suturées, allongea Sam pour encercler son biceps.

— Tiens bon mon vieux, on va te sortir de là, chuchota-t-il d'une voix qui se voulait rassurante.

— La piqûre !! Faites-moi la piqûre !! Ça brûle, mon bras me brûle !! jacassa-t-il, frigorifié par la mort qui s'invitait.

— Calme-toi, ne t'énerve pas, ça va aller ! dit Mattews d'un ton faussement calme, avant de tourner la tête. Alors ça vient la seringue ?

— J'y vois rien, fichus arbustes !!

Agenouillé sur la pelouse, remuant la terre autour de l'azalée, Tommy avançait par tâtonnements, sans aucune méthode, parce que penser, c'était griller des cartouches de vie.

Un morceau de canette brisée lui fendit la paume de la main, mais il ne sentit pas la douleur, anesthésié par la panique.

Chaque seconde comptait. Les grains du sablier de l'existence de Sam coulaient avec une impressionnante fluidité, et ce sablier-là, à sens unique, ne pouvait plus être retourné.

— Vite les mecs, vite !! s'écria Mattews, qui commençait légitimement à perdre son calme.

— Pitié aidez-moi… Me laissez pas mourir merde, aidez-moi !!

Ses phrases étaient saccadées, les mots, empoisonnés eux aussi, mouraient au bord de ses lèvres. Mattews maintint son effort en pinçant le bras de plus belle.

— Rien par ici !! s'exclama Buck. J'arrive Tommy !!

Les deux hommes rampaient maintenant le long de la cour, côté jardin. Buck, à quatre pattes, ressemblait à une table d'ébène, alors que Tommy, allongé, à un poisson échoué sur une plage de galets. L'épaisse bordure de béton de la terrasse projetait un mur d'ombre sur toute la longueur, compliquant la tâche de façon significative.

— Pousse-toi Buck, nom d'un chien, tu me gênes ! Pousse-toi, bordel ! barrit Tommy, lui infligeant des coups de coude dans les flancs.

Buck s'écarta. Tommy explora les abords des dalles de grès, agitant ses paumes sur le sol afin de couvrir le maximum de surface. Le sablier était maintenant à moitié vide. Les grains de sable s'organisaient en un maigre tas, et la cavalcade de ceux qui continuaient à dévaler touchait à son apogée.

— Non, tu ne vas pas nous laisser mon gars, Oh que non ! On a encore tant de projets à réaliser. Bats-toi, tiens le coup !

Une mousse marécageuse, verdâtre, fleurissait à la commissure des lèvres de la victime. La veine conductrice atteignait désormais d'une taille démesurée pour donner à l'avant-bras l'allure d'une racine d'arbre. Ses paupières imitaient le battement des ailes d'un papillon en plein vol, et parfois son regard vide disparaissait pour laisser place à deux globes blanc-crème.

— Je l'ai, je l'ai !! beugla Buck, brandissant l'objet telle une pépite d'or. L'antidote avait roulé beaucoup plus loin que l'endroit où cherchait Tommy.

— Donne-moi ça, vite ! Donne !!!

Tommy, seringue entre les dents, glissa genoux en avant jusque Sam.

— Pousse-toi Mattews, dégage !!!

Mattews s'écarta et lâcha le bras, s'apercevant enfin que le poison n'avait pas attendu son accord pour contaminer les organes vitaux. Tommy planta avec violence l'aiguille qui perfora la peau puis pénétra les différentes strates de chair jusqu'à atteindre le cœur. Sam couina dans un gargouillis étouffé, tandis que Tommy injectait dans la foulée le liquide salvateur.

La seringue ôtée, une guillerette fontaine d'hémoglobine s'épancha avant de s'essouffler prestement.

Tommy porta sa main sur la poitrine tiède du miraculé. Ce fameux sablier avait pu tout compte fait être retourné dans le sens de la vie. Le muscle cardiaque de Sam, au bout d'une trentaine de secondes, retrouva son sourire, et sa cadence respiratoire refleurit enfin.

— T'es tiré d'affaire mon vieux ! souffla Tommy en nage.

— Eh bien, je crois que pour ce soir nous avons été servis en terme de sensations fortes ! rétorqua Buck. Du jamais vu !

Des rires, accompagnés de poches de stress gonflées à bloc, éclatèrent…

8

Les poils drus des avant-bras de Warren s'étaient hérissés en brosse, tandis qu'un courant imaginaire émanant du fond de la pièce lui bombardait l'échine.

— La vache, je n'aurais pas aimé être à ta place !! s'exclama Warren, déclouant finalement son regard des deux trous tatoués sur le bras de Sam. Ça alors, tu as dû te voir mourir !!

— Oui, et c'était en cela que c'était génial !! Et si je te disais qu'avec le recul, j'ai réellement apprécié ce qui m'était arrivé ? Car il faut avouer que si je ne m'étais pas fait mordre, la soirée aurait été assez « monotone », non ?

— Tu appelles ça monotone, toi, foutre des claques à un serpent mortel ? releva Warren, sidéré par une si flagrante inconscience. Mais vous étiez vraiment allumés ! Et l'autre qui dit qu'il avait aimé ça ! Tu serais pas un peu malade, toi ?

Des vapeurs distillées d'alcool étourdissaient les molécules d'oxygène.

— Mais non ! répondit Sam, s'enfonçant les deux index sur les tempes. Imagine, je me suis vraiment vu mourir ! J'ai eu la frousse de ma vie. Sensationnel je trouve !! Tu comprendras ça un jour… Regarde, tout à l'heure, tu t'es amusé avec ma Lucie. Tu as pris du plaisir à jouer avec elle, parce que tu te sentais à l'abri, bien protégé. Jamais tu n'aurais pu la caresser si elle avait encore son poison, n'est-ce pas ?

— Non, je ne suis pas fou !! On ne sait jamais, tu sais…

— De quoi avais-tu peur ?

— Mais qu'elle me pique ! Ça me paraît évident !

— Elle n'attaque que si elle se sent en danger ! Et puis tu sais, tu aurais eu droit à une fièvre pas bien méchante, c'est tout. Tu n'aurais pas couru le risque de la prendre tout de même ? Son ton de voix s'éleva d'une octave.

— Non… Non, sûrement pas ! Il secouait la tête comme si elle était prise dans une centrifugeuse.

— Mais pourquoi, nom d'un chien ? Tu n'as pas envie, de temps en temps, de sortir du moule ? De vivre des sensations uniques, qui pourraient te distinguer de la masse grouillante des porcs qui t'entourent ? De surprendre ?