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— Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? cria Celer.

— Metellus Celer, répliqua César d’une voix ferme, c’est une cérémonie religieuse. Ne la profane pas.

— C’est à moi que tu oses dire ça ? Une cérémonie religieuse ! Avec le plus grand profanateur de Rome agenouillé ici — celui qui a baisé ta propre femme !

Il donna un coup de pied en direction de Clodius, qui battit en retraite vers les jambes de César.

— Et qui est ce garçon ? demanda encore Celer en se penchant au-dessus de l’autre homme agenouillé. Voyons donc qui vient rejoindre la famille !

Il le releva par la peau du cou et le fit se retourner pour nous le montrer — un gamin d’une vingtaine d’années, tremblant et boutonneux.

— Montre donc un peu de respect pour mon père adoptif, intervient Clodius qui, malgré sa peur, ne pouvait s’empêcher de rire.

— Sale petite… fit Celer en lâchant le garçon pour se concentrer à nouveau sur Clodius.

Il serra son énorme poing et s’apprêta à le frapper, mais Cicéron le retint par le bras.

— Non, Celer, ne leur donne pas cette excuse pour te faire arrêter.

— Sage conseil, commenta César.

Celer finit par abaisser la main à contrecœur.

— Ainsi ton « père » est plus jeune que toi ? Qu’est-ce que c’est que cette farce ?

— Vu le peu de temps dont on disposait, c’est ce qu’on a trouvé de mieux, répondit Clodius avec un sourire narquois.

Je ne peux imaginer ce que pensèrent les vieux chefs des tribus — dont aucun ne pouvait de par la loi avoir moins de cinquante ans — de ce spectacle. Beaucoup d’entre eux étaient des amis de longue date de Cicéron. Nous apprîmes par la suite que les hommes de main de César étaient venus les chercher chez eux ou sur leur lieu de travail, puis les avaient forcés à les accompagner au sénat où on les avait plus ou moins obligés d’approuver l’adoption de Clodius.

— En avons-nous terminé ? s’enquit Pompée, qui avait non seulement l’air ridicule dans sa tenue d’augure, mais se sentait visiblement très embarrassé.

— Oui, nous avons terminé, dit César avant de lever la main comme pour donner sa bénédiction lors d’un mariage. Publius Clodius Pulcher, de par les pouvoirs de ma charge de pontifex maximus, je te déclare maintenant fils adoptif de Publius Fonteius, et tu apparaîtras dans les registres de l’État à l’ordre des plébéiens. Ton changement de statut prend effet immédiatement, et tu peux donc te présenter à l’élection du tribunat si tel est ton désir. Merci, citoyens.

César les congédia d’un signe de tête. Les curions se levèrent, puis le premier consul et grand pontife de Rome souleva légèrement ses robes et, son travail de l’après-midi accompli, descendit de son estrade. Il détourna la tête avec dégoût devant Clodius, comme on se détourne d’un cadavre dans la rue.

— Tu aurais dû écouter mes avertissements, glissa-t-il à Cicéron au passage. Regarde ce que tu m’as obligé à faire, maintenant.

Il se dirigea ensuite vers la porte avec ses licteurs, suivi par Pompée, qui ne pouvait toujours pas se résoudre à croiser le regard de Cicéron ; seul Crassus se permit un sourire fugitif.

— Allons, père, viens, dit Clodius en entourant du bras les épaules de Fonteius. Laisse-moi t’aider à rentrer.

Il éclata de son rire féminin si irritant et, après une courbette en direction de son beau-frère et de Cicéron, partit avec le jeune Fonteius rejoindre la queue du cortège.

— Toi, tu as peut-être terminé, César, leur lança Celer, mais pas moi ! Je suis gouverneur de Gaule transalpine — tu te rappelles ? — et j’ai des légions sous mes ordres, alors que tu n’en as aucune ! Je n’ai même pas encore commencé !

Il parlait fort. On avait dû l’entendre jusqu’au milieu du forum. Pourtant, César sortit de la curie dans la lumière du soleil sans manifester le moindre signe qu’il avait entendu. Lorsqu’il eut disparu avec sa troupe et que nous nous retrouvâmes seuls, Cicéron se laissa tomber lourdement sur le banc le plus proche et mit la tête dans ses mains. Tout en haut, dans les chevrons du toit, les pigeons roucoulaient et battaient des ailes — aujourd’hui encore, je ne peux entendre ces sales volatiles sans penser à l’ancienne curie — tandis que les bruits de la rue me paraissaient curieusement étrangers, irréels, comme si je me trouvais déjà en prison.

— Ne te désespère pas, Cicéron, finit par dire Celer au bout d’un moment. Il n’est même pas encore tribun… et, si je peux l’empêcher, il ne le sera jamais.

— Je peux battre Crassus, commenta Cicéron. Je peux me montrer plus malin que Pompée. Et j’ai même réussi à tenir César en échec par le passé. Mais les trois ensemble, avec Clodius pour arme ?

Il secoua la tête avec lassitude.

— Comment vais-je pouvoir vivre ?

Ce soir-là, Cicéron alla voir Pompée et il m’emmena avec lui, en partie pour montrer qu’il s’agissait d’une visite de travail qui ne devait rien à la simple courtoisie, et en partie, je le soupçonne, pour se donner du courage. Nous trouvâmes le grand homme en train de boire dans son repaire de célibataire en compagnie de son vieux camarade de l’armée, originaire lui aussi du Picenum, Aulus Gabinius. Ils étaient en train d’examiner la maquette du complexe théâtral de Pompée lorsque nous fûmes introduits, et Gabinius débordait d’enthousiasme. C’était lui qui, alors tribun plein d’ambition, avait proposé les lois qui avaient assuré à Pompée une puissance militaire sans précédent, et il avait été dûment récompensé en se voyant accorder une charge de légat sous le gouvernement de Pompée en Orient. Il avait été absent pendant plusieurs années durant lesquelles — sans qu’il le sût — César avait eu une liaison avec sa femme, la dévergondée Pollia (en même temps qu’il en avait une avec la femme de Pompée, si l’on y réfléchit). Mais maintenant, Gabinius était rentré à Rome — tout aussi ambitieux, cent fois plus riche, et bien déterminé à devenir consul.

— Cicéron, mon cher ami, dit Pompée en se levant pour l’embrasser. Tu prendras du vin avec nous ?

— Non, merci, répondit Cicéron avec raideur.

— Oh ! là, là ! fit Pompée à Gabinius, tu entends ce ton ? Il est venu me faire la leçon au sujet de l’affaire de cet après-midi dont je te parlais.

Puis, se retournant vers Cicéron, il ajouta :

— Ai-je vraiment besoin de t’expliquer que c’était l’idée de César ? J’ai essayé de l’en dissuader.