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Il faisait toujours un froid de loup, mais le soleil se levait et projetait sur les toits des rayons dorés, qui, avec la neige, conféraient à Rome un éclat céleste. Les licteurs ouvraient le défilé : quatre d’entre eux portaient la chaise curule sur une litière découverte. Cicéron marchait auprès de Terentia. Tullia venait derrière lui, accompagnée de son fiancé, Frugi. Quintus portait Marcus sur ses épaules et, encadrant la famille consulaire, il y avait les chevaliers et les sénateurs vêtus de blanc éclatant. Les flûtes sifflaient, les tambours battaient, les danseurs bondissaient. Les citoyens bordaient les rues et se massaient aux fenêtres pour mieux voir. Il y avait beaucoup d’acclamations et d’applaudissements, mais aussi — pour être honnête — quelques huées, surtout de la part des plus pauvres de Subura, tandis que nous défilions le long de l’Argiletum en direction du forum. Cicéron saluait de la tête, à droite et à gauche, et levait de temps à autre la main droite, mais il conservait une expression très grave, et je savais qu’il se concentrait sur ce qui l’attendait. Dans les instants qui précédaient les grands discours, une partie de lui demeurait toujours inaccessible. Je vis à certains moments Quintus et Atticus tenter de lui parler, mais il secoua la tête, préférant rester plongé dans ses réflexions. Lorsque nous atteignîmes le forum, il était bondé. Nous passâmes devant les rostres et le sénat vide pour enfin gravir le Capitole. La fumée des autels tournoyait au-dessus des temples. Je sentais le parfum du safran qui brûlait et percevais les meuglements des taureaux qui attendaient le sacrifice. Je me retournai au moment où nous approchions de l’Arche de Scipion et découvris Rome comme je l’avais rarement vue, voilée de blanc et étincelante dans sa robe neigeuse — ses collines et ses vallées, ses tours et ses temples, ses portiques et ses demeures guettant leur promis telle une future mariée.

Nous pénétrâmes dans l’enceinte capitoline et trouvâmes l’ensemble du sénat qui nous attendait, en rangs devant le temple de Jupiter. On nous conduisit, la famille de Cicéron, le reste de la maisonnée et moi-même, à la tribune de bois qui avait été dressée pour les spectateurs. Un coup de trompette résonna contre les murs, et les sénateurs se retournèrent comme un seul homme pour regarder Cicéron passer parmi eux — tous ces visages rusés, rougis par le froid, ces yeux avides qui scrutaient le consul désigné : des hommes qui n’avaient jamais gagné le consulat et savaient qu’ils ne l’obtiendraient jamais, des hommes qui le désiraient encore et craignaient de ne pas y arriver, et ceux qui l’avaient déjà obtenu un jour et croyaient encore qu’il leur appartenait de droit. Hybrida, le second consul, avait déjà pris place au pied des marches du temple. Couronnant la scène, le grand toit de bronze semblait en fusion sous le soleil d’hiver lumineux. Sans se regarder, les deux consuls désignés montèrent lentement jusqu’à l’autel où le grand pontife, Metellus Pius, patientait, allongé sur une litière, trop malade pour se lever. Il y avait autour de Pius les six vierges vestales et les quatorze autres pontifes de la religion d’État. Je repérai sans peine Catulus, qui avait fait reconstruire le temple pour le compte du sénat et dont le nom figurait au-dessus de la porte (à la suite de quoi certains farceurs le surnommèrent « plus grand que Jupiter »). Isauricus se tenait à côté de lui. Je reconnus également Scipion Nasica, fils adoptif de Pius ; Junius Silanus, qui était l’époux de Servilia, elle-même femme la plus brillante de Rome ; et enfin, se tenant légèrement à l’écart des autres et incongru dans ses habits de prêtre, je repérai la silhouette mince et large d’épaules de Jules César, mais je me trouvais malheureusement trop loin pour voir son expression.

Il y eut un long silence. La trompette retentit à nouveau. Un gigantesque taureau beige portant des rubans rouges noués à ses cornes fut amené à l’autel. Cicéron remonta les plis de sa toge sur sa tête puis, d’une voix forte, récita de mémoire la prière cérémonielle. À peine eut-il terminé que le serviteur posté derrière le taureau assena à la bête un tel coup de marteau que le craquement retentit tout autour du portique. La créature s’effondra sur le flanc, et la vision déconcertante de l’enfant mort surgit devant mes yeux tandis que les serviteurs lui ouvraient le ventre. Avant même que le malheureux animal ne fût complètement mort, ils déposèrent ses entrailles sur l’autel afin qu’elles fussent inspectées. Il y eut un grondement dans l’assemblée, qui interpréta les soubresauts du taureau comme un mauvais présage, mais quand les haruspices présentèrent le foie à Cicéron pour qu’il l’examine, ils le déclarèrent particulièrement favorable. Pius — qui était de toute façon pratiquement aveugle — acquiesça faiblement d’un signe de tête, les entrailles furent jetées dans le feu et la cérémonie fut terminée. La trompette vagit une dernière fois dans l’air limpide et glacé, une salve d’applaudissements parcourut l’enceinte, et Cicéron fut consul.

La première séance de l’année du sénat se tenait toujours dans le temple de Jupiter, la chaise du consul placée sur une estrade, au pied de la grande statue de bronze du Père des dieux. Aucun citoyen, aussi éminent fût-il, n’avait le droit d’entrer au sénat, à moins qu’il n’en fût membre. Mais comme j’avais été chargé par Cicéron de prendre en notes les débats — ce serait une grande première —, je fus autorisé à rester près de lui pendant la séance. Vous imaginez mes sentiments alors que je le suivais dans la grande allée entre les bancs de bois. Les sénateurs en toge blanche entraient derrière nous, se perdant en conjectures animées qui enflaient comme un grondement de marée montante. Qui avait lu la loi du parti populaire ? Qu’allait dire Cicéron ?

Lorsque le nouveau consul arriva sur l’estrade, je me retournai pour regarder ces silhouettes que je connaissais si bien prendre leur place. À la droite de la chaise consulaire se rangeait la faction patricienne — Catulus, Isauricus, Hortensius et le reste —, tandis qu’à sa gauche allaient s’asseoir ceux qui soutenaient la cause populiste, notamment César et Crassus. Je cherchai Rullus, dont le nom figurait au bas du projet de loi, et le repérai avec les autres tribuns. Jusque-là, il n’avait été qu’un de ces jeunes gens riches et élégants, mais il arborait à présent des vêtements de pauvre et se faisait pousser la barbe pour afficher ses sympathies pour le parti populaire. Un peu plus loin, je vis Catilina se jeter sur l’un des premiers bancs réservés aux prétoriens, ses bras puissants écartés et ses jambes étendues devant lui. Son visage exprimait de sombres pensées. Il se disait manifestement que, s’il n’y avait pas eu Cicéron, c’était lui qui aurait aujourd’hui occupé la chaise curule. Ses acolytes prirent place derrière lui — des personnages comme Curius, qui avait tout perdu au jeu, ou l’incroyablement gros Cassius Longinius, qui occupait deux places à lui tout seul.

J’étais tellement concentré à noter qui était là et comment ils se comportaient que je perdis brièvement Cicéron de vue. Lorsque je me retournai de nouveau, il avait disparu. Je m’affolai soudain en songeant qu’il avait pu prendre peur et s’enfuir. Je passai derrière l’estrade et le trouvai, hors de vue, derrière la statue de Jupiter et plongé dans une intense discussion avec Hybrida. Il plongeait son regard dans les yeux pochés et injectés de sang de son collègue, la main droite posée sur son épaule, la gauche soulignant avec énergie son propos. Pour toute réponse, Hybrida hochait lentement la tête, comme s’il comprenait confusément quelque chose. Puis un sourire finit par étirer lentement ses lèvres. Cicéron le lâcha, les deux hommes se serrèrent la main et ils émergèrent tous deux de derrière la statue. Hybrida alla prendre sa place pendant que Cicéron me demandait brusquement si je n’avais pas oublié la copie du projet de loi. Je lui répondis que je l’avais.