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Quintus et Atticus nous attendaient à la maison, et Cicéron leur raconta brièvement ce qu’il avait appris d’Hybrida. Quintus aurait voulu que l’affaire soit aussitôt rendue publique, mais Cicéron n’était pas convaincu.

— Et ensuite ? questionna-t-il.

— La loi suivra son cours. Les coupables seront accusés publiquement, poursuivis, déshonorés et exilés.

— Non, dit Cicéron. Une plainte n’a aucune chance d’aboutir ; et puis, qui serait assez fou pour lancer des poursuites ? Et si, par miracle, une âme courageuse, voire téméraire, cherchait à s’en prendre à Catilina, où trouverait-elle des preuves pour l’accuser ? Hybrida refusera de témoigner, même avec une promesse d’impunité… tu peux en être certain. Il niera tout simplement que quoi que ce soit ait eu lieu et rompra son alliance avec moi. Et puis souviens-toi que le cadavre n’existe plus. En fait, j’ai déjà prononcé une petite allocution pour assurer à la foule qu’il n’y avait pas eu de meurtre rituel.

— Alors, on ne fait rien ?

— Non, on observe, répondit Cicéron, et on attend. Il faut que nous trouvions un espion dans les rangs de Catilina. Il ne fera plus confiance à Hybrida.

— Nous devrons aussi prendre des précautions particulières, intervint Atticus. Combien de temps les licteurs resteront-ils avec toi ?

— Jusqu’à la fin janvier, quand ce sera au tour d’Hybrida de prendre la présidence du sénat. Ils reviendront avec moi en mars.

— Je suggère que nous demandions à l’ordre équestre des volontaires pour assurer ta protection en public pendant l’absence des licteurs.

Cicéron tiqua.

— Une garde personnelle ? Les gens vont dire que je me donne de grands airs. Il faudrait que ce soit fait discrètement.

— Ce sera discret, ne t’inquiète pas. Je m’en charge.

Ce fut donc décidé et, en attendant, Cicéron entreprit de chercher un agent susceptible de gagner la confiance de Catilina pour rapporter ensuite secrètement ce qu’il préparait. Il aborda le sujet quelques jours plus tard avec le jeune Rufus. Il invita celui-ci chez lui et commença par s’excuser pour la grossièreté dont il avait fait preuve après leur dernier dîner ensemble.

— Tu dois comprendre, mon cher Rufus, expliqua-t-il en le tenant par les épaules tout en marchant autour de l’atrium, que les vieux ont fâcheusement tendance à continuer de voir les jeunes tels qu’ils étaient plutôt que tels qu’ils sont devenus. Je t’ai traité comme le gamin écervelé qui est arrivé chez moi il y a trois ans alors que je me rends compte à présent que tu es un homme de presque vingt ans qui fait son chemin dans le monde et mérite davantage de respect. Je suis sincèrement désolé de t’avoir offensé et j’espère que tu ne m’en tiendras pas rigueur.

— La faute était la mienne, rétorqua Rufus. Je ne prétendrai pas que je suis d’accord avec ta politique. Mais l’amour et le respect que je te porte demeurent intacts, et je ne me laisserai plus aller à penser du mal de toi.

— C’est un brave garçon, commenta Cicéron en lui pinçant la joue. Tu as entendu ça, Tiron ? Il m’aime ! Alors, tu n’aurais pas envie de me tuer ?

— Te tuer ? Mais bien sûr que non ! Où as-tu trouvé une idée pareille ?

— Certains de ceux qui partagent tes idées parlent de me tuer — Catilina, pour ne nommer que celui-ci.

— Tu en es certain ? Je ne l’ai jamais entendu mentionner quoi que ce soit de ce genre.

— Eh bien, il a pourtant bel et bien parlé de son intention de me tuer, et si jamais il recommençait, je te serais gré de m’en avertir.

— Oh, je vois, dit Rufus en regardant la main de Cicéron sur son épaule. C’est pour ça que tu m’as fait venir : pour me demander d’être ton espion.

— Pas un espion, corrigea Cicéron, un citoyen loyal. À moins que notre république ne soit tombée si bas que le meurtre d’un consul compte moins que l’amitié ?

— Jamais je n’assassinerais un consul ni ne trahirais un ami, répliqua Rufus d’une voix suave en s’écartant de l’étreinte de Cicéron, et c’est pourquoi je suis si content que le voile soit levé sur notre amitié.

— Excellente réponse de juriste, commenta Cicéron avec un sourire. Je t’ai mieux formé que je ne croyais.

Après son départ, Cicéron me confia pensivement :

— Ce jeune homme va répéter à Catilina mot pour mot tout ce que je viens de dire.

Une observation qui pouvait très bien tomber juste puisque, à partir de ce jour, Rufus se tint à l’écart de Cicéron et fut souvent vu en compagnie de Catilina. Il venait en vérité de rejoindre un groupe bien mal assorti : des jeunes élégants pleins de fougue, comme Cornélius Cethegus, qui rêvaient d’en découdre ; des nobles vieillissants et dissolus comme Marcus Laeca et Autronius Paetus, dont les carrières publiques respectives avaient été sapées par leurs vices privés ; d’anciens soldats rebelles conduits par le fauteur de troubles Caius Manlius, qui avait été centurion sous Sylla. Ils n’étaient réunis que par leur loyauté envers Catilina — qui savait se montrer tout à fait charmant quand il n’essayait pas de vous tuer — et par le désir de voir la situation s’effondrer à Rome. Par deux fois, alors que Cicéron s’exprimait devant des assemblées publiques pour faire état de son opposition à la proposition de loi rullienne, ils soulevèrent un véritable vacarme de huées et de sifflets, et je fus soulagé qu’Atticus ait organisé sa protection, surtout maintenant que l’affaire Rabirius commençait à s’enflammer.

La loi agraire de Rullus, le procès de Rabirius, la menace de mort de Catilina — vous devez garder à l’esprit que Cicéron devait s’occuper des trois à la fois tout en gérant les affaires générales de l’État. Je trouve que les historiens ont trop tendance à négliger cet aspect de la politique. Les problèmes ne font pas sagement la queue devant la porte des hommes d’État pour attendre d’être réglés de façon ordonnée, un chapitre à la fois, comme les livres voudraient nous le faire croire. En réalité, ils affluent en masse et exigent tous une attention immédiate. Hortensius, par exemple, vint discuter de la tactique à employer pour la défense de Rabirius quelques heures à peine après que Cicéron se fut fait huer en réunion publique sur la loi rullienne. Et ce surmenage ne fut pas sans conséquences. Comme Cicéron avait beaucoup d’autres soucis en tête, Hortensius, qui était, lui, parfaitement disponible, avait pris le contrôle effectif de l’affaire. Il s’installa dans le bureau de Cicéron et, visiblement très satisfait, lui annonça que tout était réglé.

— Réglé ? répéta Cicéron sur un ton étonné. Comment ça ?

Hortensius sourit. Il avait, dit-il, employé une équipe de scribes pour rassembler des preuves, et ils avaient déniché un détail intriguant : un voyou nommé Scaeva, esclave du sénateur Q. Croton, avait été affranchi juste après le meurtre de Saturninus. Les scribes avaient approfondi leurs recherches dans les archives de l’État. D’après les documents faisant état de la manumission de Scaeva, c’était lui qui avait assené le « coup fatal » qui avait tué Saturninus, et le sénat avait récompensé cet « acte patriotique » en lui accordant la liberté. Scaeva et Croton étaient morts depuis longtemps, mais Catulus, une fois qu’on eut aidé un peu sa mémoire, assura se souvenir assez bien de l’incident et fit une déclaration sous serment comme quoi, alors que Saturninus gisait, inconscient, après avoir été lapidé, il avait vu Scaeva descendre dans la curie pour l’achever d’un coup de couteau.