— Sans aucun doute, les dieux, avec leurs pouvoirs immortels, devraient être en mesure de trouver des moyens de communication plus éloquents que des flocons de neige ! Pourquoi ne pas nous envoyer une lettre ? ajouta-t-il en ricanant et en secouant la tête devant ma crédulité. Vraiment, va donc faire ton travail, Tiron, et assure-toi que personne d’autre ne vienne me déranger.
Rabroué, je pris congé et vérifiai les dispositions pour la procession inaugurale avant de m’avancer dans sa correspondance. J’étais alors son secrétaire depuis seize ans, et il n’y avait nul aspect de sa vie, publique ou privée, qui ne me fût point familier. J’avais à cette époque l’habitude de travailler sur une petite table pliante juste à l’extérieur de son bureau, ce qui me permettait de repousser les visiteurs indésirables et d’entendre ses appels. Ce fut donc de ce poste que j’entendis les bruits de la maison ce matin-là : Terentia, qui entrait et sortait de la salle à manger, grondant les servantes parce que les fleurs d’hiver n’étaient pas assez belles pour le nouveau statut de son époux et reprochant au cuisinier la qualité du menu prévu pour le soir ; le petit Marcus, maintenant bien avancé dans sa deuxième année, qui trottait derrière elle d’un pas mal assuré et poussait des cris de joie en voyant la neige ; la délicieuse Tullia qui, à treize ans, devait être mariée l’été suivant et travaillait ses hexamètres grecs avec son précepteur.
La quantité de travail qui m’attendait était telle que je ne pus mettre le nez dehors avant l’après-midi. Malgré l’heure, la rue était pour une fois déserte. La cité paraissait étouffée, menaçante : aussi silencieuse qu’à minuit. Le ciel était blafard, la neige avait cessé et le gel avait formé une croûte blanche et étincelante à la surface. À présent encore — car tels sont les caprices de la mémoire chez les personnes très âgées — je me rappelle la sensation que j’éprouvai en la brisant du bout de mon soulier. J’inspirai l’air glacé à pleins poumons et je m’apprêtais à rentrer au chaud quand je perçus, très assourdi dans le silence, le claquement d’un fouet et des vociférations suivies de grognements. Quelques instants plus tard, une litière portée par quatre esclaves en livrée tourna au coin de la rue en vacillant. Un surveillant qui trottait à côté brandit son fouet vers moi.
— Hé, toi ! cria-t-il. C’est bien la maison de Cicéron ?
Lorsque j’acquiesçai, il lança par-dessus son épaule un « C’est bien cette rue » en gratifiant l’esclave le plus proche d’un coup de fouet si puissant que le malheureux faillit trébucher. L’homme devait, pour avancer dans la neige, lever haut les genoux, et c’est de cette démarche qu’il pataugea dans ma direction. Une deuxième litière apparut derrière lui, puis une troisième et enfin une quatrième. Elles se rangèrent devant la maison et, à l’instant où ils eurent déposé leur fardeau, les esclaves s’écroulèrent dans la neige, haletant sur leurs brancards tels des galériens épuisés affalés sur leurs rames. Tout cela ne me disait rien qui vaille.
— C’est peut-être la maison de Cicéron, protestai-je, mais il ne reçoit personne.
— Il nous recevra ! fit une voix familière à l’intérieur de la première litière, et une main osseuse écarta le rideau pour révéler la tête de file des patriciens au sénat, Q. Lutatius Catulus.
Il était enveloppé dans des peaux de bête jusqu’à son menton aigu, ce qui lui donnait l’allure d’une grosse fouine malveillante.
— Sénateur, dis-je en m’inclinant. Je vais lui dire que vous êtes ici.
— Je ne suis pas tout seul, repartit Catulus.
Je parcourus la rue du regard. Descendant avec raideur de la litière suivante et maudissant ses vieux os de soldat, venait le conquérant de l’Olympe et père du sénat, Vatia Isauricus, tandis que tout près de lui se tenait le grand rival de Cicéron au tribunal, l’avocat préféré des patriciens, Q. Hortensius. Lui-même tendait la main à un quatrième sénateur dont le visage édenté, brun et ridé ne me disait rien. C’était un vieillard très décati, et je me dis qu’il avait dû cesser d’assister aux débats depuis longtemps.
— Honorables citoyens, dis-je sur mon ton le plus onctueux, veuillez me suivre, je vous prie, je vais prévenir le consul désigné.
Je chuchotai au portier de les faire entrer dans le tablinum et me précipitai dans le bureau de Cicéron. En m’approchant, j’entendis sa voix qui déclamait à pleine puissance :
— Citoyens romains, je vous le dis : assez !
Quand j’ouvris la porte, il me tournait le dos et s’adressait à mes deux secrétaires adjoints, Sositheus et Laurea, la main tendue, le pouce et le majeur joints en un cercle.
— Et toi, Tiron, je te le dis, poursuivit-il sans se retourner, assez de ces fichues interruptions ! Quels signes les dieux nous ont-ils envoyés, à présent ? Une pluie de grenouilles ?
Les secrétaires ricanèrent. Cicéron semblait avoir chassé de son esprit les nuages de la veille, et il était de fort belle humeur.
— Une délégation du sénat demande à vous voir.
— Maintenant, voilà ce que j’appelle un mauvais présage. De qui s’agit-il ?
— Catulus, Isauricus, Hortensius et un autre que je ne reconnais pas.
— La crème de l’aristocratie, ici ? s’exclama-t-il en jetant un rapide coup d’œil par-dessus son épaule. Par ce temps ? Ce doit être la plus petite maison dans laquelle ils aient jamais pénétré ! Qu’est-ce qu’ils veulent ?
— Je ne sais pas.
— Eh bien, prends soin de bien tout consigner par écrit.
Il rajusta sa toge sur son buste et releva le menton.
— De quoi j’ai l’air ?
— D’un consul, le rassurai-je.
Il passa par-dessus les brouillons rejetés de son discours et gagna le tablinum. Le portier était allé chercher des sièges pour nos visiteurs, mais un seul d’entre eux s’était assis — le vieux sénateur tremblotant que je ne reconnaissais pas. Les autres s’étaient rassemblés, chacun flanqué de son serviteur et visiblement mal à l’aise de se trouver sur le territoire de cet homme de basse extraction dont ils avaient à contrecœur soutenu la candidature. Hortensius tenait même un mouchoir pressé contre son nez, comme si la roture de Cicéron pouvait être contagieuse.
— Catulus, fit Cicéron avec affabilité en pénétrant dans la pièce. Isauricus, Hortensius, je suis honoré.
Il salua d’un signe de tête chacun des anciens consuls, mais lorsqu’il arriva au quatrième sénateur, il ne m’échappa guère que, aussi prodigieuse fût-elle, sa mémoire lui fit défaut.
— Rabirius, conclut-il enfin après un bref effort. Gaius Rabirius, c’est bien cela ?
Il tendit la main, mais le vieil homme ne réagit pas et Cicéron transforma habilement son geste en un mouvement circulaire pour englober la salle.
— Bienvenue dans ma demeure. C’est un plaisir.
— Le plaisir n’a rien à faire ici, déclara Catulus.
— C’est un scandale, assura Hortensius.
— C’est la guerre, conclut Isauricus.
— Eh bien, je suis désolé de l’apprendre, répliqua aimablement Cicéron.
Il ne les prenait jamais vraiment au sérieux. Comme beaucoup de vieux nantis, ils avaient tendance à considérer le moindre désagrément personnel comme l’annonce de la fin du monde.
Hortensius claqua des doigts, et son serviteur remit à Cicéron un document légal frappé d’un sceau épais.