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— Ah ! fit-il en levant les yeux, voilà Cicéron. Il est intelligent. Il aura un avis. Qu’en penses-tu, Cicéron ? Devrais-je faire construire quatre temples ici, ou bien trois ?

— Je fais toujours construire mes temples par quatre, répliqua Cicéron, pourvu que j’aie assez de place.

— Excellent conseil ! s’exclama Pompée. Ce sera donc quatre.

Il posa les temples en rangs, sous les applaudissements de son public.

Nous déciderons plus tard à quel dieu chaque temple sera consacré. Eh bien ? dit-il à l’adresse de Cicéron en lui montrant la maquette. Qu’en penses-tu ?

Cicéron baissa les yeux sur cette construction complexe.

— Très impressionnant. Qu’est-ce que c’est ? Un palais ?

— Un théâtre, avec dix mille places assises. Là, il y aura les jardins publics entourés d’un portique. Et là, les temples.

Il se tourna vers l’un des hommes qui se trouvaient derrière lui, et je compris alors qu’il s’agissait des architectes.

— Redites-le-moi, ça va être gros comment, déjà ?

— L’ensemble va couvrir un quart de mille, excellence.

Pompée eut un grand sourire et se frotta les mains.

— Un édifice d’un quart de mille de longueur, tu imagines !

— Et où va-t-on le construire ? demanda Cicéron.

— Sur le Champ de Mars.

— Mais où les gens vont-ils voter ?

— Oh, par là, quelque part, répondit Pompée en agitant vaguement la main, ou là, près du Tibre. Il restera plein de place. Architectes, emportez ça, ordonna-t-il. Emportez-le et commencez à creuser les fondations, et ne vous préoccupez pas de la dépense.

Après leur départ, Cicéron hasarda :

— Je ne voudrais pas paraître pessimiste, Pompée, néanmoins j’ai peur que tu n’aies quelques problèmes avec les censeurs.

— Pourquoi ça ?

— Ils ont toujours interdit la construction d’un théâtre permanent à Rome, pour des questions de moralité.

— J’y ai pensé. Je leur dirai que je construis un temple à Vénus. Il sera inclus dans le projet quelque part… ces architectes savent ce qu’ils font.

— Et tu penses que les censeurs vont te croire ?

— Pourquoi pas ?

— Un temple à Vénus d’un quart de mille de long ? Ils vont se dire que tu pousses la piété un peu loin.

Pompée n’était pas d’humeur à plaisanter, surtout avec Cicéron. Brusquement, sa bouche généreuse se crispa en une moue de mécontentement. Ses lèvres tremblèrent. Il était célèbre pour ses emportements et, pour la première fois, j’étais témoin de la soudaineté de ses colères.

— Cette ville ! s’écria-t-il. Elle est remplie d’hommes étriqués… Des hommes étriqués et jaloux ! Me voilà, prêt à proposer de faire don au peuple romain du plus formidable édifice de l’histoire du monde, et qu’est-ce que je récolte comme remerciements ? Aucun, aucun !

Il donna un coup de pied sur l’un des tréteaux et me fit penser au petit Marcus quand on le forçait à ranger ses jouets dans sa chambre.

— Et en parlant d’hommes étriqués, poursuivit-il d’un air menaçant, pourquoi le sénat n’a-t-il voté aucune des lois que j’avais demandées ? Où est la loi censée ratifier mes colonies en Orient ? Et la terre pour mes soldats… qu’en est-il ?

— Ces choses prennent du temps…

— Je croyais que nous avions un accord : je te soutenais sur la question d’Hybrida et tu assurais le vote de mes lois au sénat. Bon, j’ai fait ma part. Qu’en est-il de la tienne ?

— Ce n’est pas si simple. Je peux difficilement promulguer des lois tout seul. Je ne suis qu’un sénateur parmi six cents et, malheureusement, tu as beaucoup d’opposants parmi eux.

— Qui ? Nomme-les !

— Tu sais mieux que moi de qui il s’agit. Celer ne te pardonne pas d’avoir répudié sa sœur, Lucullus t’en veut encore de l’avoir remplacé en Orient. Crassus a toujours été ton rival. Caton estime que tu te conduis en roi…

— Caton ! Ne prononce pas ce nom en ma présence ! C’est entièrement la faute de Caton si je n’ai plus de femme !

Le rugissement de la voix de Pompée devait s’entendre par toute la maison, et je remarquai que certains de ses courtisans s’étaient approchés de la porte pour observer la scène.

— J’ai attendu la fin de mon triomphe pour en discuter avec toi en espérant que tu aurais avancé un peu. Mais maintenant, je suis de retour à Rome et j’exige de recevoir le respect qui m’est dû. Tu m’entends ? Je l’exige !

— Évidemment que je t’entends. J’imagine que les morts doivent t’entendre. Et je vais faire au mieux pour servir tes intérêts, comme je l’ai toujours fait.

— Toujours ? Tu en es bien sûr ?

— Cite-moi une seule occasion où je n’ai pas été loyal à tes intérêts.

— Qu’en a-t-il été de Catilina ? Tu aurais pu me faire rentrer pour défendre la république.

— Et tu devrais me remercier de ne pas l’avoir fait. Car je t’ai épargné l’abomination d’avoir à répandre le sang romain.

— J’aurais réglé le problème comme ça ! assura Pompée en claquant des doigts.

— Mais seulement une fois qu’il aurait assassiné toute la direction du sénat, moi y compris. Ou peut-être aurais-tu préféré cette solution ?

— Bien sûr que non.

— Parce que tu sais que telle était son intention, n’est-ce pas ? Nous avons retrouvé des armes stockées justement pour cela dans la cité.

Pompée le foudroya du regard et, cette fois, Cicéron ne baissa pas les yeux. Ce fut Pompée qui détourna les siens le premier.

— Ah, je ne savais rien de ces armes, marmonna-t-il. Je ne peux pas discuter avec toi, Cicéron. Je n’ai jamais pu. Tu as toujours eu l’esprit trop vif pour moi. La vérité, c’est que je suis davantage habitué à la vie militaire qu’à la politique.

Il se força à sourire.

— J’imagine que je dois apprendre qu’il ne me suffit plus d’émettre un ordre pour que le monde entier y obéisse. « Que les armes le cèdent à la toge, et les lauriers à l’éloquence »… c’est bien de toi, non ? « Oh, heureuse Rome, née sous mon consulat »… Là, tu vois ? En voilà un autre vers. Tu vois comme j’ai bien retenu ton œuvre.

Pompée n’était pas en règle générale très féru de poésie, et il m’apparut aussitôt que le fait qu’il pût citer ces vers de l’épopée consulaire de Cicéron — que l’on commençait tout juste à lire dans tout Rome — prouvait qu’il était en proie à une jalousie maladive. Il parvint cependant à se forcer à tapoter Cicéron sur le bras, et ses courtisans poussèrent un soupir de soulagement. Ils s’éloignèrent de la porte et, peu à peu, les bruits de la maison reprirent, tandis que Pompée — dont la bonhomie pouvait être aussi abrupte et déconcertante que ses colères — déclarait soudain qu’ils devaient boire un peu de vin. Celui-ci fut apporté par une très belle femme qui s’appelait, je l’appris plus tard, Flora. C’était l’une des plus célèbres courtisanes de Rome et elle vivait sous le toit de Pompée pendant qu’il était entre deux épouses. Elle portait toujours une écharpe autour du cou, pour dissimuler, disait-elle, les marques de morsure que Pompée lui infligeait lorsqu’il lui faisait l’amour. Elle servit le vin avec modestie puis se retira alors que Pompée nous montrait la casaque d’Alexandre qu’il avait, nous dit-il, trouvée dans les appartements privés de Mithridate. Elle me parut bien neuve, et je vis que Cicéron avait du mal à conserver son sérieux.