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respectable maître, le professeur Porpora, sur la tête adorée

d'Anzoleto. Elle fit répéter à ce dernier les expressions dont le maître

s'était servi; et après qu'il les lui eut exactement rapportées, elle y

pensa longtemps et demeura silencieuse.

«Consuelina, lui dit Anzoleto sans trop s'apercevoir de sa rêverie, je

t'avoue que l'air est extrêmement frais. Ne crains-tu pas de t'enrhumer?

Songe, ma chérie, que notre avenir repose sur ta voix encore plus que

sur la mienne ...

--Je ne m'enrhume jamais, répondit-elle; mais toi, tu es si peu vêtu

avec tes beaux habits! Tiens, enveloppe-toi de ma mantille.

--Que veux-tu que je fasse de ce pauvre morceau de taffetas percé à

jour? J'aimerais bien mieux me mettre à couvert une demi-heure dans ta

chambre.

--Je le veux bien, dit Consuelo: mais alors il ne faudra pas parler; car

les voisins pourraient nous entendre, et ils nous blâmeraient. Ils ne

sont pas méchants; ils voient nos amours sans trop me tourmenter, parce

qu'ils savent bien que jamais tu n'entres chez moi la nuit. Tu ferais

mieux d'aller dormir chez toi.

--Impossible! on ne m'ouvrira qu'au jour, et j'ai encore trois heures à

grelotter. Tiens, mes dents claquent dans ma bouche.

--En ce cas, viens, dit Consuelo en se levant; je t'enfermerai dans ma

chambre, et je reviendrai sur la terrasse pour que, si quelqu'un nous

observe, il voie bien que je ne fais pas de scandale.»

--Elle le conduisit en effet dans sa chambre: c'était une assez grande

pièce délabrée, où les fleurs peintes à fresque sur les murs

reparaissaient ça et là sous une seconde peinture encore plus grossière

et déjà presque aussi dégradée. Un grand bois de lit carré avec une

paillasse d'algues marines, et une couverture d'indienne piquée fort

propre, mais rapetassée en mille endroits avec des morceaux de toutes

couleurs, une chaise de paille, une petite table, une guitare fort

ancienne, et un Christ de filigrane, uniques richesses que sa mère lui

avait laissées; une petite épinette, et un gros tas de vieille musique

rongée des vers, que le professeur Porpora avait la générosité de lui

prêter: tel était l'ameublement de la jeune artiste, fille d'une pauvre

Bohémienne, élève d'un grand maître et amoureuse d'un bel aventurier.

Comme il n'y avait qu'une chaise, et que la table était couverte de

musique, il n'y avait qu'un siège pour Anzoleto; c'était le lit, et il

s'en accommoda sans façon. A peine se fut-il assis sur le bord, que la

fatigue s'emparant de lui, il laissa tomber sa tête sur un gros coussin

de laine qui servait d'oreiller, en disant:

«Oh! ma chère petite femme, je donnerais en cet instant tout ce qui me

reste d'années à vivre pour une heure de bon sommeil, et tous les

trésors de l'univers pour un bout de cette couverture sur mes jambes. Je

n'ai jamais eu si froid que dans ces maudits habits, et le malaise de

cette insomnie me donne le frisson de la fièvre.»

Consuelo hésita un instant. Orpheline et seule au monde à dix-huit ans,

elle ne devait compte qu'à Dieu de ses actions. Croyant à la promesse

d'Anzoleto comme à la parole de l'Évangile, elle ne se croyait menacée

ni de son dégoût ni de son abandon en cédant à tous ses désirs. Mais un

sentiment de pudeur qu'Anzoleto n'avait jamais ni combattu ni altéré en

elle, lui fit trouver sa demande un peu grossière. Elle s'approcha de

lui, et lui toucha la main. Cette main était bien froide en effet, et

Anzoleto prenant celle de Consuelo la porta à son front, qui était

brûlant.

«Tu es malade! lui dit-elle, saisie d'une sollicitude qui fit taire

toutes les autres considérations. Eh bien, dors une heure sur ce lit.»

Anzoleto ne se le fit pas dire deux fois.

«Bonne comme Dieu même!» murmura-t-il en s'étendant sur le matelas

d'algue marine.

Consuelo l'entoura de sa couverture; elle alla prendre dans un coin

quelques pauvres hardes qui lui restaient, et lui en couvrit les pieds.

«Anzoleto, lui dit-elle à voix basse tout en remplissant ce soin

maternel, ce lit où tu vas dormir, c'est celui où j'ai dormi avec ma

mère les dernières années de sa vie; c'est celui où je l'ai vue mourir,

où je l'ai enveloppée de son drap mortuaire, où j'ai veillé sur son

corps en priant et en pleurant, jusqu'à ce que la barque des morts soit

venue me l'ôter pour toujours. Eh bien, je vais te dire maintenant ce

qu'elle m'a fait promettre à sa dernière heure. Consuelo, m'a-t-elle dit,

jure-moi sur le Christ qu'Anzoleto ne prendra pas ma place dans ce lit

avant de s'être marié avec toi devant un prêtre.

--Et tu as juré?

--Et j'ai juré. Mais en te laissant dormir ici pour la première fois, ce

n'est pas la place de ma mère que je te donne, c'est la mienne.

--Et toi, pauvre fille, tu ne dormiras donc pas? reprit Anzoleto en se

relevant à demi par un violent effort. Ah! je suis un lâche, je m'en

vais dormir dans la rue.

--Non! dit Consuelo en le repoussant sur le coussin avec une douce

violence; tu es malade, et je ne le suis pas. Ma mère qui est morte en

bonne catholique, et qui est dans le ciel, nous voit à toute heure. Elle

sait que tu lui as tenu la promesse que tu lui avais faite de ne pas

m'abandonner. Elle sait aussi que notre amour est aussi honnête depuis

sa mort qu'il l'a été de son vivant. Elle voit qu'en ce moment je ne

fais et je ne pense rien de mal. Que son âme repose dans le Seigneur!»

Ici Consuelo fit un grand signe de croix. Anzoleto était déjà endormi.

«Je vais dire mon chapelet là-haut sur la terrasse pour que tu n'aies

pas la fièvre,» ajouta Consuelo en s'éloignant.

«Bonne comme Dieu!» répéta faiblement Anzoleto, et il ne s'aperçut

seulement pas que sa fiancée le laissait seul. Elle alla en effet dire

son chapelet sur le toit. Puis elle revint pour s'assurer qu'il n'était

pas plus malade, et le voyant dormir paisiblement, elle contempla

longtemps avec recueillement son beau visage pâle éclairé par la lune.

Et puis, ne voulant pas céder au sommeil elle-même, et se rappelant que

les émotions de la soirée lui avaient fait négliger son travail, elle

ralluma sa lampe, s'assit devant sa petite table, et nota un essai de

composition que maître Porpora lui avait demandé pour le jour suivant.

VI.

Le comte Zustiniani, malgré son détachement philosophique et de

nouvelles amours dont la Corilla feignait assez maladroitement d'être

jalouse, n'était pas cependant aussi insensible aux insolents caprices

de cette folle maîtresse qu'il s'efforçait de le paraître. Bon, faible

et frivole, Zustiniani n'était roué que par ton et par position sociale.

Il ne pouvait s'empêcher de souffrir, au fond de son coeur, de

l'ingratitude avec laquelle cette fille avait répondu à sa générosité;