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bouffe de Cocchi, del Buini, de Salvator Apollini, et d'autres

compositeurs plus ou moins indigènes, dont le style commun et facile

flattait le goût des esprits médiocres. Les opéras de Hasse ne pouvaient

plaire à son maître, justement irrité. Le respectable et malheureux

Porpora, fermant son coeur et ses oreilles à la musique des modernes,

cherchait donc à les écraser sous la gloire et l'autorité des anciens.

Il étendait sa réprobation trop sévère jusque sur les gracieuses

compositions de Galoppi, et jusque sur les originales fantaisies du

Chiozzetto, le compositeur populaire de Venise. Enfin il ne fallait plus

lui parler que du père Martini, de Durante, de Monteverde, de

Palestrina; j'ignore si Marcello et Leo trouvaient grâce devant lui. Ce

fut donc froidement et tristement qu'il reçut les premières ouvertures

du comte Zustiniani concernant son élève inconnue, la pauvre Consuelo,

dont il désirait pourtant le bonheur et la gloire; car il était trop

expérimenté dans le professorat pour ne pas savoir tout ce qu'elle

valait, tout ce qu'elle méritait. Mais à l'idée de voir profaner ce

talent si pur et si fortement nourri de la manne sacrée des vieux

maîtres, il baissa la tête d'un air consterné, et répondit au comte:

«Prenez-la donc, cette âme sans tache, cette intelligence sans

souillure; jetez-la aux chiens, et livrez-la aux bêtes, puisque telle

est la destinée du génie au temps où nous sommes.»

Cette douleur à la fois sérieuse et comique donna au comte une idée du

mérite de l'élève, par le prix qu'un maître si rigide y attachait.

«Eh quoi, mon cher maestro, s'écria-t-il, est-ce là en effet votre

opinion? La Consuelo est-elle un être aussi extraordinaire, aussi divin?

--Vous l'entendrez, dit le Porpora d'un air résigné; et il répéta: C'est

sa destinée!»

Cependant le comte vint à bout de relever les esprits abattus du maître,

en lui faisant espérer une réforme sérieuse dans le choix des opéras

qu'il mettrait au répertoire de son théâtre. Il lui promit l'exclusion

des mauvais ouvrages, aussitôt qu'il aurait expulsé la Corilla, sur le

caprice de laquelle il rejeta leur admission et leur succès. Il fit même

entendre adroitement qu'il serait très sobre de Hasse, et déclara que si

le Porpora voulait écrire un opéra pour Consuelo, le jour où l'élève

couvrirait son maître d'une double gloire en exprimant sa pensée dans le

style qui lui convenait, ce jour serait celui du triomphe lyrique de San

Samuel et le plus beau de la vie du comte.

Le Porpora, vaincu, commença donc à se radoucir, et à désirer

secrètement le début de son élève autant qu'il l'avait redouté jusque

là, craignant de donner avec elle une nouvelle vogue aux ouvrages de son

rival. Mais comme le comte lui exprimait ses inquiétudes sur la figure

de Consuelo, il refusa de la lui faire entendre en particulier et à

l'improviste.

«Je ne vous dirai point, répondait-il à ses questions et à ses

instances, que ce soit une beauté. Une fille aussi pauvrement vêtue, et

timide comme doit l'être, en présence d'un seigneur et d'un juge de

votre sorte, un enfant du peuple qui n'a jamais été l'objet de la

moindre attention, ne saurait se passer d'un peu de toilette et de

préparation. Et puis la Consuelo est de celles que l'expression du génie

rehausse extraordinairement. Il faut la voir et l'entendre en même

temps. Laissez-moi faire: si vous n'en êtes pas content, vous me la

laisserez, et je trouverai bien moyen d'en faire une bonne religieuse,

qui fera la gloire de l'école, en formant des élèves sous sa direction.»

Tel était en effet l'avenir que jusque là le Porpora avait rêvé pour

Consuelo.

Quand il revit son élève, il lui annonça qu'elle aurait à être entendue

et jugée par le comte. Mais comme elle lui eprima naïvement sa crainte

d'être trouvée laide, il lui fit croire qu'elle ne serait point vue, et

qu'elle chanterait derrière la tribune grillée de l'orgue, le comte

assistant à l'office dans l'église. Seulement il lui recommanda de

s'habiller décemment, parce qu'elle aurait à être présentée ensuite à ce

seigneur; et, bien qu'il fût pauvre aussi, le noble maître, il lui donna

quelque argent à cet effet. Consuelo, tout interdite, tout agitée,

occupée pour la première fois du soin de sa personne, prépara donc à la

hâte sa toilette et sa voix; elle essaya vite la dernière, et la

trouvant si fraîche, si forte, si souple, elle répéta plus d'une fois à

Anzoleto, qui l'écoutait avec émotion et ravissement: «Hélas! pourquoi

faut-il donc quelque chose de plus à une cantatrice que de savoir

chanter?»

X.

La veille du jour solennel, Anzoleto trouva la porte de Consuelo fermée

au verrou, et, après qu'il eut attendu presque un quart d'heure sur

l'escalier, il fut admis enfin à voir son amie revêtue de sa toilette de

fête, dont elle avait voulu faire l'épreuve devant lui. Elle avait une

jolie robe de toile de Perse à grandes fleurs, un fichu de dentelles, et

de la poudre. Elle était si changée ainsi, qu'Anzoleto resta quelques

instants incertain, ne sachant si elle avait gagné ou perdu à cette

transformation. L'irrésolution que Consuelo lut dans ses yeux fut pour

elle un coup de poignard.

«Ah! tiens, s'écria-t-elle, je vois bien que je ne te plais pas ainsi. A

qui donc semblerai-je supportable, si celui qui m'aime n'éprouve rien

d'agréable en me regardant?

--Attends donc un peu, répondit Anzoleto; d'abord je suis frappé de ta

belle taille dans ce long corsage, et de ton air distingué sous ces

dentelles. Tu portes à merveille les larges plis de ta jupe. Mais je

regrette tes cheveux noirs ... du moins je le crois.... Mais c'est la

tenue du peuple, et il faut que tu sois demain une signora.

--Et pourquoi faut-il que je sois une signora? Moi, je hais cette poudre

qui affadit, et qui vieillit les plus belles. J'ai l'air empruntée sous

ces falbalas; en un mot, je me déplais ainsi, et je vois que tu es de

mon avis. Tiens, j'ai été ce matin à la répétition, et j'ai vu la

Clorinda qui essayait aussi une robe neuve. Elle était si pimpante, si

brave, si belle (oh! celle-là est heureuse, et il ne faut pas la

regarder deux fois pour s'assurer de sa beauté), que je me sens effrayée

de paraître à côté d'elle devant le comte.

--Sois tranquille, le comte l'a vue; mais il l'a entendue aussi.

--Et elle a mal chanté?

--Comme elle chante toujours.

--Ah! mon ami, ces rivalités gâtent le coeur. Il y a quelque temps si la

Clorinda, qui est une bonne fille malgré sa vanité, eût fait _fiasco_

devant un juge, je l'aurais plainte du fond de l'âme, j'aurais partagé

sa peine et son humiliation. Et voilà qu'aujourd'hui je me surprends à

m'en réjouir! Lutter, envier, chercher à se détruire mutuellement; et

tout cela pour un homme qu'on n'aime pas, qu'on ne connaît pas! Je me