Выбрать главу

narrano_. Aucun morceau n'était mieux approprié à l'espèce d'exaltation

religieuse où se trouvait en ce moment l'âme de cette noble fille.

Aussitôt que les premières paroles de ce chant large et franc brillèrent

devant ses yeux, elle se sentit transportée dans un autre monde.

Oubliant le comte Zustiniani, les regards malveillants de ses rivales,

et jusqu'à Anzoleto, elle ne songea qu'à Dieu et à Marcello, qui se

plaçait dans sa pensée comme un interprète entre elle et ces cieux

splendides dont elle avait à célébrer la gloire. Quel plus beau thème,

en effet, et quelle plus grande idée!

I cieli immensi narrano

Del grande Iddio la gloria;

Il firmamento lucido

All'universo annunzia

Quanto sieno mirabili

Della sua destra le opere.

Un feu divin monta à ses joues, et la flamme sacrée jaillit de ses

grands yeux noirs, lorsqu'elle remplit la voûte de cette voix sans égale

et de cet accent victorieux, pur, vraiment grandiose, qui ne peut sortir

que d'une grande intelligence jointe à un grand coeur. Au bout de

quelques mesures d'audition, un torrent de larmes délicieuses s'échappa

des yeux de Marcello. Le comte, ne pouvant maîtriser son émotion,

s'écria:

«Par tout le sang du Christ, cette femme est belle! C'est sainte Cécile,

sainte Thérèse, sainte Consuelo! c'est la poésie, c'est la musique,

c'est la foi personnifiées!»

Quant à Anzoleto, qui s'était levé et qui ne se soutenait plus sur ses

jambes fléchissantes que grâce à ses mains crispées sur la grille de la

tribune, il retomba suffoqué sur son siège, prêt à s'évanouir et comme

ivre de joie et d'orgueil.

Il fallut tout le respect dû au lieu saint pour que les nombreux

dilettanti et la foule qui remplissait l'église n'éclatassent point en

applaudissements frénétiques, comme s'ils eussent été au théâtre. Le

comte n'eut pas la patience d'attendre la fin des offices pour passer à

l'orgue, et pour exprimer son enthousiasme au Porpora et à Consuelo. Il

fallut que, pendant la psalmodie des officiants, elle allât recevoir,

dans la tribune du comte, les éloges et les remerciements de Marcello.

Elle le trouva encore si ému qu'il pouvait à peine lui parler.

«Ma fille, lui dit-il d'une voix entrecoupée, reçois les actions de

grâce et les bénédictions d'un mourant. Tu viens de me faire oublier en

un instant des années de souffrance mortelle. Il me semble qu'un miracle

s'est opéré en moi, et que ce mal incessant, épouvantable, s'est dissipé

pour toujours au son de ta voix. Si les anges de là-haut chantent comme

toi, j'aspire à quitter la terre pour aller goûter une éternité des

délices que tu viens de me faire connaître. Sois donc bénie, enfant, et

que ton bonheur en ce monde réponde à tes mérites. J'ai entendu la

Faustina, la Romanina, la Cuzzoni, toutes les plus grandes cantatrices

de l'univers; elles ne te vont pas à la cheville. Il t'est réservé de

faire entendre au monde ce que le monde n'a jamais entendu, et de lui

faire sentir ce que nul homme n'a jamais senti.»

La Consuelo, anéantie et comme brisée sous cet éloge magnifique, courba

la tête, mit presque un genou en terre, et sans pouvoir dire un mot,

porta à ses lèvres la main livide de l'illustre moribond; mais en se

relevant, elle laissa tomber sur Anzoleto un regard qui semblait lui

dire: Ingrat, tu ne m'avais pas devinée!

XI.

Durant le reste de l'office, Consuelo déploya une énergie et des

ressources qui répondirent à toutes les objections qu'eût pu faire

encore le comte Zustiniani. Elle conduisit, soutint et anima les

choeurs, faisant tour à tour chaque partie et montrant ainsi l'étendue

prodigieuse et les qualités diverses de sa voix, plus la force

inépuisable de ses poumons, ou pour mieux dire la perfection de sa

science; car qui sait chanter ne se fatigue pas, et Consuelo chantait

avec aussi peu d'effort et de travail que les autres respirent. On

entendait le timbre clair et plein de sa voix par-dessus les cent voix

de ses compagnes, non qu'elle criât comme font les chanteurs sans âme et

sans souffle, mais parce que son timbre était d'une pureté irréprochable

et son accent d'une netteté parfaite. En outre elle sentait et elle

comprenait jusqu'à la moindre intention de la musique qu'elle exprimait.

Elle seule, en un mot, était une musicienne et un maître, au milieu de

ce troupeau d'intelligences vulgaires, de voix fraîches et de volontés

molles. Elle remplissait donc instinctivement et sans ostentation son

rôle de puissance; et tant que les chants durèrent, elle imposa

naturellement sa domination qu'on sentait nécessaire. Après qu'ils

eurent cessé, les choristes lui en firent intérieurement un grief et un

crime; et telle qui, en se sentant faiblir, l'avait interrogée et comme

implorée du regard, s'attribua tous les éloges qui furent donnés en

masse à l'école du Porpora. A ces éloges, le maître souriait sans rien

dire; mais il regardait Consuelo, et Anzoleto comprenait fort bien.

Après le salut et la bénédiction, les choristes prirent part à une

collation friande que leur fit servir le comte dans un des parloirs du

couvent. La grille séparait deux grandes tables en forme de demi-lune,

mises en regard l'une de l'autre; une ouverture, mesurée sur la

dimension d'un immense pâté, était ménagée au centre du grillage pour

faire passer les plats, que le comte présentait lui-même avec grâce aux

principales religieuses et aux élèves. Celles-ci, vêtues en béguines,

venaient par douzaines s'asseoir alternativement aux places vacantes

dans l'intérieur du cloître. La supérieure, assise tout près de la

grille, se trouvait ainsi à la droite du comte placé dans la salle

extérieure. Mais à la gauche de Zustiniani, une place restait vacante;

Marcello, Porpora, le curé de la paroisse, les principaux prêtres qui

avaient officié à la cérémonie, quelques patriciens dilettanti et

administrateurs laïques de la Scuola; enfin le bel Anzoleto, avec son

habit noir et l'épée au côté, remplissaient la table des séculiers. Les

jeunes chanteuses étaient fort animées ordinairement en pareille

occasion; le plaisir de la gourmandise, celui de converser avec des

hommes, l'envie de plaire ou d'être tout au moins remarquées, leur

donnaient beaucoup de babil et de vivacité. Mais ce jour-là le goûter

fut triste et contraint. C'est que le projet du comte avait transpiré

(quel secret peut tourner autour d'un couvent sans s'y infiltrer par

quelque fente?) et que chacune de ces jeunes filles s'était flattée en

secret d'être présentée par le Porpora pour succéder à la Corilla. Le

professeur avait eu même la malice d'encourager les illusions de

quelques-unes, soit pour les disposer à mieux chanter sa musique devant

Marcello, soit pour se venger, par leur dépit futur, de tout celui

qu'elles lui causaient aux leçons. Ce qu'il y a de certain, c'est que la

Clorinda, qui n'était qu'externe à ce conservatoire, avait fait grande