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pense à composer des oratorios. Là où les puérils artifices de la scène ne

viennent pas donner un continuel démenti à la vérité du sentiment, dans ce

cadre symphonique où tout est musique, où l'âme parle à l'âme par l'oreille

et non par les yeux, il me semble que le compositeur peut développer toute

son inspiration, et entraîner l'imagination d'un auditoire dans des régions

vraiment élevées.»

En parlant ainsi; Joseph et Consuelo, en attendant que tout le monde fût

rassemblé pour la répétition, marchaient côte à côte le long d'une grande

toile de fond qui devait être ce soir-là le fleuve Araxe, et qui n'était,

dans le demi-jour du théâtre, qu'une énorme bande d'indigo étendue parmi

de grosses taches d'ocre, destinées à représenter les montagnes du Caucase.

On sait que ces toiles de fond, préparées pour la représentation, sont

placées les unes derrière les autres, de manière à être relevées sur un

cylindre au changement à vue. Dans l'intervalle qui les sépare les unes

des autres, les acteurs circulent durant la représentation; les comparses

s'endorment ou échangent des prises de tabac, assis ou couchés dans la

poussière, sous les gouttes d'huile qui tombent languissamment des

quinquets mal assurés. Dans la journée, les acteurs se promènent le long

de ces couloirs étroits et obscurs, en répétant leurs rôles, ou en

s'entretenant de leurs affaires; quelquefois en épiant les petites

confidences ou surprenant les profondes machinations d'autres promeneurs

causant tout près d'eux sans les voir, derrière un bras de mer ou une place

publique.

Heureusement, Métastase n'était point sur l'autre rive de l'Araxe,

tandis que l'inexpérimentée Consuelo épanchait ainsi son indignation

d'artiste avec Haydn. La répétition commença. C'était la seconde de

_Zénobie_, et elle alla si bien, que les musiciens de l'orchestre

applaudirent, selon l'usage, avec leurs archets sur le ventre de leurs

violons. La musique de Predieri était charmante, et le Porpora la dirigeait

avec plus d'enthousiasme qu'il n'avait pu le faire pour celle de Hasse.

Le rôle de Tiridate était un des triomphes de Caffariello, et il n'avait

garde de trouver mauvais qu'en l'équipant en farouche guerrier parthe,

on le fit roucouler en Céladon et parler en Clitandre. Consuelo, si

elle sentait son rôle faux et guindé dans la bouche d'une héroïne de

l'antiquité, trouvait au moins là un caractère de femme agréablement

indiqué. Il offrait même une sorte de rapprochement avec la situation

d'esprit où elle s'était trouvée entre Albert et Anzoleto; et oubliant

tout à fait la _couleur locale_, comme nous disons aujourd'hui, pour ne

se représenter que les sentiments humains, elle s'aperçut qu'elle était

sublime dans cet air dont le sens avait été si souvent dans son coeur:

Voi leggete in ogni core;

Voi sapete, o giusti Dei,

Se son puri i voti miei,

Se innocente è la pietà.

Elle eut donc en cet instant la conscience d'une émotion vraie et d'un

triomphe mérité. Elle n'eut pas besoin que le regard de Caffariello, qui

n'était pas gêné ce jour-là par la présence de la Tesi, et qui admirait

de bonne foi, lui confirmât ce qu'elle sentait déjà, la certitude d'un

effet irrésistible à produire sur tous les publics du monde et dans toutes

les conditions possibles, avec ce morceau capital. Elle se trouva ainsi

toute réconciliée avec sa partie, avec l'opéra, avec ses camarades, avec

elle-même, avec le théâtre, en un mot; et malgré toutes les imprécations

qu'elle venait de faire contre son état une heure auparavant, elle ne

put se défendre d'un de ces tressaillements intérieurs, si profonds, si

soudains et si puissants, qu'il est impossible à quiconque n'est pas

artiste en quelque chose, de comprendre quels siècles de labeur, de

déceptions et de souffrances ils peuvent racheter en un instant.

XCV.

En qualité d'élève, encore à demi serviteur du Porpora, Haydn, avide

d'entendre de la musique et d'étudier, même sous un point de vue matériel,

la contexture des opéras, obtenait la permission de se glisser dans les

coulisses lorsque Consuelo chantait. Depuis deux jours, il remarqua que

le Porpora, d'abord assez mal disposé à l'admettre ainsi dans l'intérieur

du théâtre, l'y autorisait d'un air de bonne humeur, avant même qu'il osât

le lui demander. C'est qu'il s'était passé quelque chose de nouveau dans

l'esprit du professeur. Marie-Thérèse, parlant musique avec l'ambassadeur

de Venise, était revenue à son idée fixe de matrimoniomanie, comme disait

Consuelo. Elle lui avait dit qu'elle verrait avec plaisir cette grande

cantatrice se fixer à Vienne en épousant le jeune musicien, élève de son

maître; elle avait pris des informations sur Haydn auprès de l'ambassadeur

même, et ce dernier lui en ayant dit beaucoup de bien, l'ayant assurée

qu'il annonçait de grandes facultés musicales, et surtout qu'il était

très-bon catholique, Sa Majesté l'avait engagé à arranger ce mariage,

promettant de faire un sort convenable aux jeunes époux. L'idée avait souri

à M. Cormer, qui aimait tendrement Joseph, et déjà lui faisait une pension

de soixante-douze francs par mois pour l'aider à continuer librement ses

études. Il en avait parlé chaudement au Porpora, et celui-ci, craignant

que sa Consuelo ne persistât dans l'idée de se retirer du théâtre pour

épouser un gentilhomme, après avoir beaucoup hésité, beaucoup résisté

(il eût préféré à tout que son élève vécût sans hymen et sans amour),

s'était enfin laissé persuader. Pour frapper un grand coup, l'ambassadeur

s'était déterminé à lui faire voir des compositions de Haydn, et à lui

avouer que la sérénade en trio dont il s'était montré si satisfait était

de la façon de Beppo. Le Porpora avait confessé qu'il y avait là le germe

d'un grand talent; qu'il pourrait lui imprimer une bonne direction et

l'aider par ses conseils à écrire pour la voix; enfin que le sort d'une

cantatrice mariée à un compositeur pouvait être fort avantageux. La grande

jeunesse du couple et ses minces ressources lui imposaient la nécessité

de s'adonner au travail sans autre espoir d'ambition, et Consuelo se

trouverait ainsi enchaînée au théâtre. Le maestro se rendit. Il n'avait pas

reçu plus que Consuelo de réponse de Riesenburg. Ce silence lui faisait

craindre quelque résistance à ses vues, quelque coup de tête du jeune

comte: «Si je pouvais sinon marier, du moins fiancer Consuelo à un autre,

pensa-t-il, je n'aurais plus rien à craindre de ce côté-là.»

Le difficile était d'amener Consuelo à cette résolution. L'y exhorter eût

été lui inspirer la pensée de résister. Avec sa finesse napolitaine, il se

dit que la force des choses devait amener un changement insensible dans

l'esprit de cette jeune fille. Elle avait de l'amitié pour Beppo, et

Beppo, quoiqu'il eût vaincu l'amour dans son coeur, montrait tant de zèle,

d'admiration et de dévouement pour elle, que le Porpora put bien s'imaginer