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trait. Ce n'était pas un mouvement de reconnaissance bien sincère qui la

poussait à cette démonstration. Il s'y mêlait un perfide désir de voir la

taille de sa rivale en corset, afin de pouvoir trahir le secret de quelque

imperfection. Mais Consuelo n'avait pas de corset. Sa ceinture, déliée

comme un roseau, et ses formes chastes et nobles, n'empruntaient pas les

secours de l'art. Elle pénétra l'intention de Corilla et sourit.

«Tu peux examiner ma personne et pénétrer mon coeur, pensa-t-elle, tu n'y

trouveras rien de faux.

--Zingarella, lui dit la Corilla en reprenant malgré elle son air hostile

et sa voix âpre, tu n'aimes donc plus du tout Anzoleto?

--Plus du tout, répondit Consuelo en riant.

--Et lui, il t'a beaucoup aimée?

--Pas du tout, reprit Consuelo avec la même assurance et le même

détachement bien senti et bien sincère.

--C'est bien ce qu'il me disait!» s'écria la Corilla en attachant sur

elle ses yeux bleus, clairs et ardents, espérant surprendre un regret et

réveiller une blessure dans le passé de sa rivale.

Consuelo ne se piquait pas de finesse, mais elle avait celle des âmes

franches, si forte quand elle lutte contre des desseins astucieux. Elle

sentit le coup et y résista tranquillement. Elle n'aimait plus Anzoleto,

elle ne connaissait pas la souffrance de l'amour-propre: elle laissa donc

ce triomphe à la vanité de Corilla.

«Il te disait la vérité, reprit-elle; il ne m'aimait pas.

--Mais toi, tu ne l'as donc jamais aimé?» dit l'autre, plus étonnée que

satisfaite de cette concession.

Consuelo sentit qu'elle ne devait pas être franche à demi. Corilla voulait

l'emporter, il fallait la satisfaire.

«Moi, répondit-elle, je l'ai beaucoup aimé.

--Et tu l'avoues ainsi? tu n'as donc pas de fierté, pauvre fille?

--J'en ai eu assez pour me guérir.

--C'est-à-dire que tu as eu assez de philosophie pour te consoler avec un

autre. Dis-moi avec qui, Porporina. Ce ne peut être avec ce petit Haydn,

qui n'a ni sou ni maille!

--Ce ne serait pas une raison. Mais je ne me suis consolée avec personne

de la manière dont tu l'entends.

--Ah! je sais! j'oubliais que tu as la prétention... Ne dis donc pas de

ces choses-là ici, ma chère; tu te feras tourner en ridicule.

--Aussi je ne les dirai pas sans qu'on m'interroge, et je ne me laisserai

pas interroger par tout le monde. C'est une liberté que je t'ai laissé

prendre, Corilla; c'est à toi de n'en pas abuser, si tu n'es pas mon

ennemie.

--Vous êtes une masque! s'écria la Corilla. Vous avez de l'esprit, quoique

vous fassiez l'ingénue. Vous en avez tant que je suis sur le point de vous

croire aussi pure que je l'étais à douze ans. Pourtant cela est impossible.

Ah! que tu es habile, Zingarella! Tu feras croire aux hommes tout ce que

tu voudras.

--Je ne leur ferai rien croire du tout, car je ne leur permettrai pas de

s'intéresser assez à mes affaires pour m'interroger.

--Ce sera le plus sage: ils abusent toujours de nos confessions, et ne

les ont pas plus tôt arrachées, qu'ils nous humilient de leurs reproches.

Je vois que tu sais ton affaire. Tu feras bien de ne pas vouloir inspirer

de passions: comme cela, tu n'auras pas d'embarras, pas d'orages; tu agiras

librement sans tromper personne. A visage découvert, on trouve plus

d'amants et on fait plus vite fortune. Mais il faut pour cela plus de

courage que je n'en ai; il faut que personne ne te plaise et que tu ne

te soucies d'être aimée de personne, car on ne goûte ces dangereuses

douceurs de l'amour qu'à force de précautions et de mensonges. Je t'admire,

Zingarella! oui, je me sens frappée de respect en te voyant, si jeune,

triompher de l'amour; car la chose la plus funeste à notre repos, à notre

voix, à la durée de notre beauté, à notre fortune, à nos succès, c'est bien

l'amour, n'est-ce pas? Oh! oui, je le sais par expérience. Si j'avais pu

m'en tenir toujours à la froide galanterie, je n'aurais pas tant souffert;

je n'aurais pas perdu deux mille sequins, et deux notes dans le haut. Mais,

vois-tu, je m'humilie devant toi; je suis une pauvre créature, je suis née

malheureuse. Toujours, au milieu de mes plus belles affaires, j'ai fait

quelque sottise qui a tout gâté, je me suis laissé prendre à quelque folle

passion pour quelque pauvre diable, et adieu la fortune! J'aurais pu

épouser Zustiniani dans un temps; oui, je l'aurais pu; il m'adorait et

je ne pouvais pas le souffrir; j'étais maîtresse de son sort. Ce misérable

Anzoleto m'a plu... j'ai perdu ma position. Allons, tu me donneras des

conseils, tu seras mon amie, n'est-ce pas? Tu me préserveras des faiblesses

de coeur et des coups de tête. Et, pour commencer... il faut que je t'avoue

que j'ai une inclination depuis huit jours pour un homme dont la faveur

baisse singulièrement, et qui, avant peu, pourra être plus dangereux

qu'utile à la cour; un homme qui est riche à millions, mais qui pourrait

bien se trouver ruiné dans un tour de main. Oui, je veux m'en détacher

avant qu'il m'entraîne dans son précipice... Allons! le diable veut me

démentir, car le voici qui vient; je l'entends, et je sens le feu de la

jalousie me monter au visage. Ferme bien ton paravent, Porporina, et ne

bouge pas: je ne veux pas qu'il te voie.»

Consuelo se hâta de tirer avec soin le paravent. Elle n'avait pas besoin de

l'avis pour désirer de n'être pas examinée par les amants de la Corilla.

Une voix d'homme assez vibrante et juste, quoique privée de fraîcheur,

fredonnait dans les corridors. On frappa pour la forme, et on entra sans

attendre la réponse.

«Horrible métier! pensa Consuelo. Non, je ne me laisserai pas séduire par

les enivrements de la scène; l'intérieur de la coulisse est trop immonde.»

Et elle se cacha dans son coin, humiliée de se trouver en pareille

compagnie, indignée et consternée de la manière dont la Corilla l'avait

comprise, et plongeant pour la première fois dans cet abîme de corruption

dont elle n'avait pas encore eu l'idée.

XCVII.

En achevant sa toilette à la hâte, dans la crainte d'une surprise, elle

entendit le dialogue suivant en italien:

«Que venez-vous faire ici? Je vous ai défendu d'entrer dans ma loge.

L'impératrice nous a interdit, sous les peines les plus sévères, d'y

recevoir d'autres hommes que nos camarades, et encore faut-il qu'il y

ait nécessité urgente pour les affaires du théâtre. Voyez à quoi vous

m'exposez! Je ne conçois pas qu'on fasse si mal la police des loges.

--Il n'y a pas de police pour les gens qui paient bien, ma toute belle.

Il n'y a que les pleutres qui rencontrent la résistance ou la délation sur

leur chemin. Allons, recevez-moi un peu mieux, ou, par le corps du diable,

je ne reviendrai plus.