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jusqu'à nouvel ordre dans la prison, où s'étant porté à quelque violence,

il eut la douleur de se voir enchaîné par un pied. Honte et infamie! ce fut

précisément le pied qui avait été brisé d'un éclat de bombe dans une de ses

plus belles actions militaires. Il avait subi la scarification de l'os

gangrené, et, à peine rétabli, il était remonté à cheval pour reprendre

son service avec une fermeté héroïque. On scella un anneau de fer et une

lourde chaîne sur cette affreuse cicatrice. La blessure se rouvrit, et il

supporta de nouvelles tortures, non plus pour servir Marie-Thérèse, mais

pour l'avoir trop bien servie. La grande reine, qui n'avait pas été fâchée

de lui voir pressurer et déchirer cette malheureuse et dangereuse Bohême,

rempart peu assuré contre l'ennemi, à cause de son antique haine nationale,

_le roi_ Marie-Thérèse, qui, n'ayant plus besoin des crimes de Trenck et

des excès des pandoures pour s'affermir sur le trône, commençait à les

trouver monstrueux et irrémissibles, fut censée ignorer ces barbares

traitements; de même que le grand Frédéric fut censé ignorer les féroces

recherches de cruauté, les tortures de l'inanition et les soixante-huit

livres de fers dont fut martyrisé, un peu plus tard, l'autre baron de

Trenck, son beau page, son brillant officier d'ordonnance, le sauveur

et l'ami de notre Consuelo. Tous les flatteurs qui nous ont transmis

légèrement le récit de ces abominables histoires en ont attribué l'odieux

à des officiers subalternes, à des commis obscurs, pour en laver la

mémoire des souverains; mais ces souverains, si mal instruits des abus

de leurs geôles, savaient si bien, au contraire, ce qui s'y passait,

que Frédéric-le-Grand donna en personne le dessin des fers que Trenck

le Prussien porta neuf ans dans son sépulcre de Magdebourg; et si

Marie-Thérèse n'ordonna pas précisément qu'on enchaînât Trenck l'Autrichien

son valeureux pandoure par le pied mutilé, elle fut toujours sourde à ses

plaintes, inaccessible à ses révélations. D'ailleurs, dans la honteuse

orgie que ses gens firent des richesses du vaincu, elle sut fort bien

prélever la part du lion et refuser justice à ses héritiers.

[Note 1: La vérité historique exige que nous disions aussi par quelles

bravades Trenck provoqua ce traitement inhumain. Dès le premier jour

de son arrivée à Vienne, il avait été mis aux arrêts à son domicile par

ordre impérial. Il n'en avait pas moins été se montrer à l'Opéra le soir

même, et dans un entr'acte il avait voulu jeter le comte Gossau dans le

parterre.]

Revenons à Consuelo, car il est de notre devoir de romancier de passer

rapidement sur les détails qui tiennent à l'histoire. Cependant nous ne

savons pas le moyen d'isoler absolument les aventures de notre héroïne

des faits qui se passèrent dans son temps et sous ses yeux. En apprenant

l'infortune du pandoure, elle ne songea plus aux outrages dont il l'avait

menacée, et, profondément révoltée de l'iniquité de son sort, elle aida

Corilla à lui faire passer de l'argent, dans un moment où on lui refusait

les moyens d'adoucir la rigueur de sa captivité. La Corilla, plus prompte

encore à dépenser l'argent qu'à l'acquérir, se trouvait justement à sec le

jour où un émissaire de son amant vint en secret lui réclamer la somme

nécessaire. Consuelo fut la seule personne à laquelle cette fille, dominée

par l'instinct de la confiance et de l'estime, osât recourir. Consuelo

vendit aussitôt le cadeau que l'impératrice lui avait jeté sur la scène à

la fin de _Zénobie_, et en remit le prix à sa camarade, en l'approuvant

de ne point abandonner le malheureux Trenck dans sa détresse. Le zèle et le

courage que mit la Corilla à servir son amant tant qu'il lui fut possible,

jusqu'à s'entendre amiablement à cet égard avec une baronne qui était sa

maîtresse en titre, et dont elle était mortellement jalouse, rendirent une

sorte d'estime à Consuelo pour cette créature corrompue, mais non perverse,

qui avait encore de bons mouvements de coeur et des élans de générosité

désintéressée. «Prosternons-nous devant l'oeuvre de Dieu, disait-elle à

Joseph qui lui reprochait quelquefois d'avoir trop d'abandon avec cette

Corilla. L'âme humaine conserve toujours dans ses égarements quelque chose

de bon et de grand où l'on sent avec respect et où l'on retrouve avec joie

cette empreinte sacrée qui est comme le sceau de la main divine. Là où il y

a beaucoup à plaindre, il y a beaucoup à pardonner, et là où l'on trouve à

pardonner, sois certain, bon Joseph, qu'il y a quelque chose à aimer. Cette

pauvre Corilla, qui vit à la manière des bêtes, a encore parfois les traits

d'un ange. Va, je sens qu'il faut que je m'habitue, si je reste artiste, à

contempler sans effroi et sans colère ces turpitudes douloureuses où la vie

des femmes perdues s'écoule entre le désir du bien et l'appétit du mal,

entre l'ivresse et le remords. Et même, je te l'avoue, il me semble que le

rôle de soeur de charité convient mieux à la santé de ma vertu qu'une vie

plus épurée et plus douce, des relations plus glorieuses et plus agréables,

le calme des êtres forts, heureux et respectés. Je sens que mon coeur est

fait comme le paradis du tendre Jésus, où il y aura plus de joie et

d'accueil pour un pêcheur converti que pour cent justes triomphants.

Je le sens fait pour compatir, plaindre, secourir et consoler. Il me semble

que le nom que ma mère m'a donné au baptême m'impose ce devoir et cette

destinée. Je n'ai pas d'autre nom, Beppo! La société ne m'a pas imposé

l'orgueil d'un nom de famille à soutenir; et si, au dire du monde, je

m'avilis en cherchant quelques parcelles d'or pur au milieu de la fange

des mauvaises moeurs d'autrui, je n'ai pas de compte à rendre au monde.

J'y suis la Consuelo, rien de plus; et c'est assez pour la fille de la

Rosmunda; car la Rosmunda était une pauvre femme dont on parlait plus mal

encore que de la Corilla, et, telle qu'elle était, je devais et je pouvais

l'aimer. Elle n'était pas respectée comme Marie-Thérèse, mais elle n'eût

pas fait attacher Trenck par le pied pour le faire mourir dans les tortures

et s'emparer de son argent. La Corilla ne l'eût pas fait non plus; et

pourtant, au lieu de se battre pour elle, ce Trenck, qu'elle aide dans son

malheur, l'a bien souvent battue. Joseph! Joseph! Dieu est un plus grand

empereur que tous les nôtres; et peut-être bien, puisque Madeleine a chez

lui un tabouret de duchesse à côté de la Vierge sans tache, la Corilla

aura-t-elle le pas sur Marie-Thérèse pour entrer à cette cour-là. Quant à

moi, dans ces jours que j'ai à passer sur la terre, je t'avoue que, s'il

me fallait quitter les âmes coupables et malheureuses pour m'asseoir au

banquet des justes dans la prospérité morale, je croirais n'être plus dans

le chemin de mon salut. Oh! le noble Albert l'entendait bien comme moi, et

ce ne serait pas lui qui me blâmerait d'être bonne pour Corilla.»

Lorsque Consuelo disait ces choses à son ami Beppo, quinze jours s'étaient

écoulés depuis la soirée de _Zénobie_ et l'aventure du baron de Trenck.

Les six représentations pour lesquelles on l'avait engagée avaient eu lieu.