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--Songe que la passion était en lui, non en toi. Il demandait avec ardeur;

tu consentais avec effort. Il voyait bien que tu allais t'immoler; il a

senti, non-seulement qu'il avait le droit de te débarrasser d'un amour que

tu n'avais pas provoqué, et dont ton âme ne reconnaissait pas la nécessité,

mais encore qu'il était obligé par sa conscience à le faire.»

Cette raisonnable conclusion convainquit Consuelo de la sagesse et de la

générosité d'Albert. Elle craignait, en s'abandonnant à la douleur, de

céder aux suggestions de l'orgueil blessé, et, en acceptant l'hypothèse

de Joseph, elle se soumit et se calma; mais, par une bizarrerie bien

connue du coeur humain, elle ne se vit pas plus tôt libre de suivre

son goût pour le théâtre, sans distraction et sans remords, qu'elle se

sentit effrayée de son isolement au milieu de toute cette corruption, et

consternée de l'avenir de fatigues et de luttes qui s'ouvrait devant elle.

La scène est une arène brûlante; quand on y est, on s'y exalte, et toutes

les émotions de la vie paraissent froides et pâles en comparaison; mais

quand on s'en éloigne brisé de lassitude, on s'effraie d'avoir subi cette

épreuve du feu, et le désir qui vous y ramène est traversé par l'épouvante.

Je m'imagine que l'acrobate est le type de cette vie pénible, ardente et

périlleuse. Il doit éprouver un plaisir nerveux et terrible sur ces cordes

et ces échelles où il accomplit des prodiges au-dessus des forces humaines;

mais lorsqu'il en est descendu vainqueur, il doit se sentir défaillir à

l'idée d'y remonter, et d'étreindre encore une fois la mort et le triomphe,

spectre à deux faces qui plane incessamment sur sa tête.

Alors le château des Géants, et jusqu'à la pierre d'épouvante, ce cauchemar

de toutes ses nuits, apparurent à Consuelo, à travers le voile d'un

exil consommé, comme un paradis perdu, comme le séjour d'une paix et

d'une candeur à jamais augustes et respectables dans son souvenir. Elle

attacha la branche de cyprès, dernière image, dernier envoi de la grotte

Hussitique, aux pieds du crucifix de sa mère, et, confondant ensemble ces

deux emblèmes du catholicisme et de l'hérésie, elle éleva son coeur vers

la notion de la religion unique, éternelle, absolue. Elle y puisa le

sentiment de la résignation à ses maux personnels, et de la foi aux

desseins providentiels de Dieu sur Albert, et sur tous les hommes, bons

et mauvais, qu'il lui fallait désormais traverser seule et sans guide.

XCIX.

Un matin, le Porpora l'appela dans sa chambre plus tôt que de coutume.

Il avait l'air rayonnant, et il tenait une grosse et grande lettre d'une

main, ses lunettes de l'autre. Consuelo tressaillit et trembla de tout

son corps, s'imaginant que c'était enfin la réponse de Riesenburg. Mais,

elle fut bientôt détrompée: c'était, une lettre d'Hubert, le Porporino.

Ce chanteur célèbre annonçait à son maître que toutes les conditions

proposées par lui pour l'engagement de Consuelo étaient acceptées, et il

lui envoyait le contrat signé du baron de Poelnitz, directeur du théâtre

royal de Berlin, et n'attendant plus que la signature de Consuelo et

la sienne. A cet acte était jointe une lettre fort affectueuse et fort

honorable du dit baron, qui engageait le Porpora à venir briguer la

maîtrise de chapelle du roi de Prusse tout en faisant ses preuves par la

production et l'exécution d'autant d'opéras et de fugues nouvelles qu'il

lui plairait d'en apporter. Le Porporino se réjouissait d'avoir à chanter

bientôt, selon son coeur, avec _une soeur en Porpora_, et invitait vivement

le maître à quitter Vienne pour _Sans-Souci_, le délicieux séjour de

Frédéric le Grand.

Cette lettre mettait le Porpora en grande joie, et cependant elle le

remplissait d'incertitude. Il lui semblait que la fortune commençait à

dérider pour lui sa face si longtemps rechignée, et que, de deux côtés,

la faveur des monarques (alors si nécessaire au développement des

artistes) lui offrait une heureuse perspective. Frédéric l'appelait à

Berlin; à Vienne, Marie-Thérèse lui faisait faire de belles promesses.

Des deux parts, il fallait que Consuelo fût l'instrument de sa victoire;

à Berlin, en faisant beaucoup valoir ses productions; à Vienne, en

épousant Joseph Haydn.

Le moment était donc venu de remettre son sort entre les mains de sa fille

adoptive. Il lui proposa le mariage ou le départ, à son choix; et, dans ces

nouvelles circonstances, il mit beaucoup moins d'ardeur à lui offrir le

coeur et la main de Beppo qu'il en eût mis la veille encore. Il était un

peu las de Vienne, et la pensée de se voir apprécié et fêté chez l'ennemi

lui souriait comme une petite vengeance dont il s'exagérait l'effet

probable sur la cour d'Autriche. Enfin, à tout prendre, Consuelo ne lui

parlant plus d'Albert depuis quelque temps et lui paraissant y avoir

renoncé, il aimait mieux qu'elle ne se mariât pas du tout.

Consuelo eut bientôt mis fin à ses incertitudes en lui déclarant qu'elle

n'épouserait jamais Joseph Haydn par beaucoup de raisons, et d'abord parce

qu'il ne l'avait jamais recherchée en mariage, étant engagé avec la fille

de son bienfaiteur, Anna Keller.

«En ce cas, dit le Porpora, il n'y a pas à balancer. Voici ton contrat

d'engagement avec Berlin. Signe, et disposons-nous à partir; car il n'y a

pas d'espoir pour nous ici, si tu ne te soumets à la _matrimoniomanie_ de

l'impératrice. Sa protection est à ce prix, et un refus décisif va nous

rendre à ses yeux plus noirs que les diables.

--Mon cher maître, répondit Consuelo avec plus de fermeté qu'elle n'en

avait encore montré au Porpora, je suis prête à vous obéir dès que ma

conscience sera en repos sur un point capital. Certains engagements

d'affection et d'estime sérieuse me liaient au seigneur de Rudolstadt.

Je ne vous cacherai pas que, malgré votre incrédulité, vos reproches et

vos railleries, j'ai persévéré, depuis trois mois que nous sommes ici,

à me conserver libre de tout engagement contraire à ce mariage. Mais, après

une lettre décisive que j'ai écrite il y a six semaines, et qui a passé par

vos mains, il s'est passé des choses qui me font croire que la famille de

Rudolstadt a renoncé à moi. Chaque jour qui s'écoule me confirme dans la

pensée que ma parole m'est rendue et que je suis libre de vous consacrer

entièrement mes soins et mon travail. Vous voyez que j'accepte cette

destinée sans regret et sans hésitation. Cependant, d'après cette lettre

que j'ai écrite, je ne pourrais pas être tranquille avec moi-même si je

n'en recevais pas la réponse. Je l'attends tous les jours, elle ne peut

plus tarder. Permettez-moi de ne signer l'engagement avec Berlin qu'après

la réception de...

--Eh! ma pauvre enfant, dit le Porpora, qui, dès le premier mot de son

élève, avait dressé ses batteries préparées à l'avance, tu attendrais

longtemps! la réponse que tu demandes m'a été adressée depuis un mois...

--Et vous ne me l'avez pas montrée? s'écria Consuelo; et vous m'avez