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à votre gloire, tant que j'aurai un souffle de vie.

--Mon bonheur, c'est la gloire, Consuelo, tu le sais, dit le Porpora en

la pressant sur son coeur. Je n'en conçois pas d'autre. Je ne suis pas de

ces vieux bourgeois allemands qui ne rêvent d'autre félicité que d'avoir

leur petite fille auprès d'eux pour charger leur pipe ou pétrir leur

gâteau. Je n'ai besoin ni de pantoufles, ni de tisane, Dieu merci; et

quand je n'aurai plus besoin que de cela, je ne consentirai pas à ce

que tu me consacres tes jours comme tu le fais déjà avec trop de zèle

maintenant. Non, ce n'est pas là le dévouement que je te demande, tu le

sais bien; celui que j'exige, c'est que tu sois franchement artiste, une

grande artiste! Me promets-tu de l'être? de combattre cette langueur,

cette irrésolution, cette sorte de dégoût que tu avais ici dans les

commencements, de repousser les fleurettes de ces beaux seigneurs qui

recherchent les femmes de théâtre, ceux-ci parce qu'ils se flattent d'en

faire de bonnes ménagères, et qui les plantent là dès qu'ils voient en

elles une vocation contraire; ceux-là parce qu'ils sont ruinés et que le

plaisir de retrouver un carrosse et une bonne table aux frais de leurs

lucratives moitiés les font passer par-dessus le déshonneur attaché dans

leur caste à ces sortes d'alliances? Voyons! me promets-tu encore de ne

point te laisser tourner la tête par quelque petit ténor à voix grasse et

à cheveux bouclés, comme ce drôle d'Anzoleto qui n'aura jamais de mérite

que dans ses mollets, et de succès que par son impudence?

--Je vous promets, je vous jure tout cela solennellement, répondit Consuelo

en riant avec bonhomie des exhortations du Porpora, toujours un peu

piquantes en dépit de lui-même, mais auxquelles elle était parfaitement

habituée. Et je fais plus, ajouta-t-elle en reprenant son sérieux: je jure

que vous n'aurez jamais à vous plaindre d'un jour d'ingratitude dans ma

vie.

--Ah cela! je n'en demande pas tant! répondit-il d'un ton amer: c'est plus

que l'humaine nature ne comporte. Quand tu seras une cantatrice renommée

chez toutes les nations de l'Europe, tu auras des besoins de vanité, des

ambitions, des vices de coeur dont aucun grand artiste n'a jamais pu se

défendre. Tu voudras du succès à tout prix. Tu ne te résigneras pas à le

conquérir patiemment, ou à le risquer pour rester fidèle, soit à l'amitié,

soit au culte du vrai beau. Tu céderas au joug de la mode comme ils font

tous; dans chaque ville tu chanteras la musique en faveur, sans tenir

compte du mauvais goût du public ou de la cour. Enfin tu feras ton chemin

et tu seras grande malgré cela, puisqu'il n'y a pas moyen de l'être

autrement aux yeux du grand nombre. Pourvu que tu n'oublies pas de bien

choisir et de bien chanter quand tu auras à subir le jugement d'un petit

comité de vieilles têtes comme moi, et que devant le grand Haendel ou le

vieux Bach, tu fasses honneur à la méthode du Porpora et à toi-même, c'est

tout ce que je demande, tout ce que j'espère! Tu vois que je ne suis pas

un père égoïste, comme quelques-uns de tes flatteurs m'accusent sans doute

de l'être. Je ne te demande rien qui ne soit pour ton succès et pour ta

gloire.

--Et moi, je ne me soucie de rien de ce qui est pour mon avantage

personnel, répondit Consuelo attendrie et affligée. Je puis me laisser

emporter au milieu d'un succès par une ivresse involontaire; mais je ne

puis pas songer de sang-froid à édifier toute une vie de triomphe pour m'y

couronner de mes propres mains. Je veux avoir de la gloire pour vous, mon

maître; en dépit de votre incrédulité, je veux vous montrer que c'est pour

vous seul que Consuelo travaille et voyage; et pour vous prouver tout de

suite que vous l'avez calomniée, puisque vous croyez à ses serments, je

vous fais celui de prouver ce que j'avance.

--Et sur quoi jures-tu cela? dit le Porpora avec un sourire de tendresse

où la méfiance perçait encore.

--Sur les cheveux blancs, sur la tête sacrée du Porpora,» répondit Consuelo

en prenant cette tête blanche dans ses deux mains, et la baisant au front

avec ferveur.

Ils furent interrompus par le comte Hoditz, qu'un grand heiduque vint

annoncer. Ce laquais, en demandant pour son maître la permission de

présenter ses respects au Porpora et à sa pupille, regarda cette dernière

d'un air d'attention, d'incertitude et d'embarras qui surprit Consuelo,

sans qu'elle se souvînt pourtant où elle avait vu cette bonne figure un peu

bizarre. Le comte fut admis, et il présenta sa requête dans les termes les

plus courtois. Il partait pour sa seigneurie de Roswald, en Moravie, et,

voulant rendre ce séjour agréable à la margrave son épouse, il préparait,

pour la surprendre à son arrivée, une fête magnifique. En conséquence, il

proposait à Consuelo d'aller chanter pendant trois soirées consécutives

à Roswald, et il désirait même que le Porpora voulût bien l'accompagner

pour l'aider à diriger les concerts, spectacles et sérénades dont il

comptait régaler madame la margrave.

Le Porpora allégua l'engagement qu'on venait de signer et l'obligation de

se trouver à Berlin à jour fixe. Le comte voulut voir l'engagement, et

comme le Porpora avait toujours eu à se louer de ses bons procédés, il lui

procura le petit plaisir d'être mis dans la confidence de cette affaire,

de commenter l'acte, de faire l'entendu, de donner des conseils: après quoi

Hoditz insista sur sa demande, représentant qu'on avait plus de temps qu'il

n'en fallait pour y satisfaire sans manquer au terme assigné.

«Vous pouvez achever vos préparatifs en trois jours, dit-il, et aller à

Berlin par la Moravie.»

Ce n'était pas tout à fait le chemin; mais, au lieu de faire lentement

la route par la Bohême, dans un pays mal servi et récemment dévasté par

la guerre, le Porpora et son élève se rendraient très-promptement et

très-commodément à Roswald dans une bonne voiture que le comte mettait à

leur disposition ainsi que les relais, c'est-à-dire qu'il se chargeait des

embarras et des dépenses. Il se chargeait encore de les faire conduire de

même de Roswald à Pardubitz, s'ils voulaient descendre l'Elbe jusqu'à

Dresde, ou à Chrudim s'ils voulaient passer par Prague. Les commodités

qu'il leur offrait jusque-là abrégeaient effectivement la durée de leur

voyage, et la somme assez ronde qu'il y ajoutait donnait les moyens de

faire le reste plus agréablement. Porpora accepta, malgré la petite mine

que lui faisait Consuelo pour l'en dissuader. Le marché fut conclu, et le

départ fixé au dernier jour de la semaine.

Lorsque après lui avoir respectueusement baisé la main Hoditz eut laissé

Consuelo seule avec son maître, elle reprocha à celui-ci de s'être

laissé gagner si facilement. Quoiqu'elle n'eût plus rien à redouter des

impertinences du comte, elle lui en gardait un peu de ressentiment, et

n'allait pas chez lui avec plaisir. Elle ne voulait pas raconter au Porpora

l'aventure de Passaw, mais elle lui rappela les plaisanteries que lui-même