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un genou en terre, et baisa le plancher devant elle.

«Ah! s'écria Consuelo, Karl le déserteur, n'est-ce pas?

--Oui, signora, répondit Karl en baisant la main qu'elle lui tendait; du

moins on m'a dit qu'il fallait vous appeler ainsi, quoique je n'aie jamais

bien compris si vous étiez un monsieur ou une dame.

--En vérité? Et d'où vient ton incertitude?

--C'est que je vous ai vue garçon, et que depuis, quoique je vous aie bien

reconnue, vous étiez devenue aussi semblable à une jeune fille que vous

étiez auparavant semblable à un petit garçon. Mais cela ne fait rien: soyez

ce que vous voudrez, vous m'avez rendu des services que je n'oublierai

jamais; et vous pourriez me commander de me jeter du sommet de ce pic qui

est là haut, si cela vous faisait plaisir, je ne vous le refuserais pas.

--Je ne te demande rien, mon brave Karl, que d'être heureux et de jouir de

ta liberté; car te voilà libre, et je pense que tu aimes la vie maintenant?

--Libre, oui! dit Karl en secouant la tête; mais heureux... J'ai perdu ma

pauvre femme!»

Les yeux de Consuelo se remplirent de larmes, par un mouvement sympathique,

en voyant les joues carrées du pauvre Karl se couvrir d'un ruisseau de

pleurs.

«Ah! dit-il en secouant sa moustache rousse, d'où les larmes dégouttaient

comme la pluie d'un buisson, elle avait trop souffert, la pauvre âme!

Le chagrin de me voir enlever une seconde fois par les Prussiens, un long

voyage à pied, lorsqu'elle était déjà bien malade; ensuite la joie de me

revoir, tout cela lui a causé une révolution; et elle est morte huit jours

après être arrivée à Vienne, où je la cherchais, et où, grâce à un billet

de vous, elle m'avait retrouvé, avec l'aide du comte Hoditz. Ce généreux

seigneur lui avait envoyé son médecin et des secours; mais rien n'y a fait:

elle était fatiguée de vivre, voyez-vous, et elle a été se reposer dans le

ciel du bon Dieu.

--Et ta fille? dit Consuelo, qui songeait à le ramener à une idée

consolante.

--Ma fille? dit-il d'un air sombre et un peu égaré, le roi de Prusse me

l'a tuée aussi.

--Comment tuée? que dis-tu?

--N'est-ce pas le roi de Prusse qui a tué la mère en lui causant tout ce

mal? Eh bien, l'enfant a suivi la mère. Depuis le soir où, m'ayant vu

frappé au sang, garrotté et emporté par les recruteurs, toutes deux étaient

restées, couchées et comme mortes, en travers du chemin, la petite avait

toujours tremblé d'une grosse fièvre; la fatigue et la misère de la route

les ont achevées. Quand vous les avez rencontrées sur un pont, à l'entrée

de je ne sais plus quel village d'Autriche, il y avait deux jours qu'elles

n'avaient rien mangé. Vous leur avez donné de l'argent, vous leur avez

appris que j'étais sauvé, vous avez tout fait pour les consoler et les

guérir; elles m'ont dit tout cela: mais il était trop tard. Elles n'ont

fait qu'empirer depuis notre réunion, et au moment où nous pouvions être

heureux, elles se sont en allées dans le cimetière. La terre n'était pas

encore foulée sur le corps de ma femme, quand il a fallu recreuser le même

endroit pour y mettre mon enfant; et à présent, grâce au roi de Prusse,

Karl est seul au monde!

--Non, mon pauvre Karl, tu n'es pas abandonné; il te reste des amis qui

s'intéresseront toujours à tes infortunes et à ton bon coeur.

--Je le sais. Oui, il y a de braves gens, et vous en êtes. Mais de quoi

ai-je besoin maintenant que je n'ai plus ni femme, ni enfant, ni pays!

car je ne serai jamais en sûreté dans le mien; ma montagne est trop bien

connue de ces brigands qui sont venus m'y chercher deux fois. Aussitôt

que je me suis vu seul, j'ai demandé si nous étions en guerre ou si nous

y serions bientôt. Je n'avais qu'une idée: c'était de servir contre la

Prusse, afin de tuer le plus de Prussiens que je pourrais. Ah! saint

Wenceslas, le patron de la Bohême, aurait conduit mon bras; et je suis

bien sûr qu'il n'y aurait pas eu une seule balle perdue, sortie de mon

fusil; et je me disais: Peut-être la Providence permettra-t-elle que je

rencontre le roi de Prusse dans quelque défilé; et alors... fût-il cuirassé

comme l'archange Michel... dusse-je le suivre comme un chien suit un loup

à la piste... Mais j'ai appris que la paix était assurée pour longtemps;

et alors, ne me sentant plus de goût à rien, j'ai été trouver monseigneur

le comte Hoditz pour le remercier, et le prier de ne point me présenter à

l'impératrice, comme il en avait eu l'intention. Je voulais me tuer; mais

il a été si bon pour moi, et la princesse de Culmbach, sa belle-fille,

à qui il avait raconté en secret toute mon histoire, m'a dit de si belles

paroles sur les devoirs du chrétien, que j'ai consenti à vivre et à entrer

à leur service, où je suis, en vérité, trop bien nourri et trop bien traité

pour le peu d'ouvrage que j'ai à faire.

--Maintenant dis-moi, mon cher Karl, reprit Consuelo en s'essuyant les

yeux, comment tu as pu me reconnaître.

--N'êtes-vous pas venue, un soir, chanter chez ma nouvelle maîtresse,

madame la margrave? Je vous vis passer tout habillée de blanc, et je vous

reconnus tout de suite, bien que vous fussiez devenue une demoiselle.

C'est que, voyez-vous, je ne me souviens pas beaucoup des endroits où j'ai

passé, ni des noms des personnes que j'ai rencontrées; mais pour ce qui est

des figures, je ne les oublie jamais. Je commençais à faire le signe de la

croix quand je vis un jeune garçon qui vous suivait, et que je reconnus

pour Joseph; et au lieu d'être votre maître, comme je l'avais vu au moment

de ma délivrance (car il était mieux habillé que vous dans ce temps-là),

il était devenu votre domestique; et il resta dans l'antichambre. Il ne me

reconnut pas; et comme monsieur le comte m'avait défendu de dire un seul

mot à qui que ce soit de ce qui m'était arrivé (je n'ai jamais su ni

demandé pourquoi), je ne parlai pas à ce bon Joseph, quoique j'eusse bien

envie de lui sauter au cou. Il s'en alla presque tout de suite dans une

autre pièce. J'avais ordre de ne point quitter celle où je me trouvais;

un bon serviteur ne connaît que sa consigne; Mais quand tout le monde fut

parti, le valet de chambre de monseigneur, qui a toute sa confiance, me

dit: «Karl, tu n'as pas parlé à ce petit laquais du Porpora, quoique tu

l'aies reconnu; et tu as bien fait. Monsieur le comte sera content de toi.

Quant à la demoiselle qui a chanté ce soir...--Oh! je l'ai reconnue aussi,

m'écriai-je, et je n'ai rien dit.--Eh bien, ajouta-t-il; tu as encore bien

fait. Monsieur le comte ne veut pas qu'on sache qu'elle a voyagé avec lui

jusqu'à Passaw.--Cela ne me regarde point, repris-je; mais puis-je te

demander, à toi, comment elle m'a délivré des mains des Prussiens?»

Henri me raconta alors comment la chose s'était passée (car il était là),

comment vous aviez couru après la voiture de monsieur le comte, et comment,

lorsque vous n'aviez plus rien à craindre pour vous-même; vous aviez voulu