Выбрать главу

moins poétiques. Il semblait grandir de toute la tête lorsque ses yeux

brillaient sur son visage blême, chétif et inquiet.

Le comte Hoditz les reçut avec une hospitalité plus cordiale que

cérémonieuse, et, sans perdre le temps à de longs compliments, il leur fit

mettre deux couverts et leur servit des meilleurs plats avec une véritable

bonhomie patriarcale; car Hoditz était le meilleur des hommes, et sa

vanité, loin de corrompre son coeur, l'aidait à se répandre avec confiance

et générosité. L'esclavage régnait encore dans ses domaines, et toutes les

merveilles de Roswald avaient été édifiées à peu de frais par la gent

taillable et corvéable; mais il couvrait de fleurs et de gourmandises

le joug de ses sujets. Il leur faisait oublier le nécessaire en leur

prodiguant le superflu, et, convaincu que le plaisir est le bonheur,

il les faisait tant amuser, qu'ils ne songeaient point à être libres.

L'officier prussien (car vraiment il n'y en avait qu'un, l'autre semblait

n'être que son ombre), parut d'abord un peu étonné, peut-être même un

peu choqué du sans façon de M. le comte; et il affectait une politesse

réservée, lorsque le comte lui dit:

«Monsieur le capitaine, je vous prie de vous mettre à l'aise et de faire

ici comme chez vous. Je sais que vous devez être habitué à la régularité

austère des armées du grand Frédéric; je trouve cela admirable en son lieu;

mais ici, vous êtes à la campagne, et si l'on ne s'amuse à la campagne,

qu'y vient-on faire? Je vois que vous êtes des personnes bien élevées et

de bonnes manières. Vous n'êtes certainement pas officiers du roi de

Prusse, sans avoir fait vos preuves de science militaire et de bravoure

accomplie. Je vous tiens donc pour des hôtes dont la présence honore ma

maison; veuillez en disposer sans retenue, et y rester tant que le séjour

vous en sera agréable.»

L'officier prit aussitôt son parti en homme d'esprit, et, après avoir

remercié son hôte sur le même ton, il se mit à sabler le champagne, qui

ne lui fit pourtant pas perdre une ligne de son sang-froid, et à creuser

un excellent pâté sur lequel il fit des remarques et des questions

gastronomiques qui ne donnèrent pas grande idée de lui à la très-sobre

Consuelo. Elle était cependant frappée du feu de son regard; mais ce feu

même l'étonnait sans la charmer. Elle y trouvait je ne sais quoi de

hautain, de scrutateur et de méfiant qui n'allait point à son coeur.

Tout en mangeant, l'officier apprit au comte qu'il s'appelait le baron

de Kreutz, qu'il était originaire de Silésie, où il venait d'être envoyé

en remonte pour la cavalerie; que, se trouvant à Neïsse, il n'avait

pu résister au désir de voir le palais et les jardins tant vantés de

Roswald; qu'en conséquence, il avait passé le matin la frontière avec son

lieutenant, non sans mettre le temps et l'occasion à profit pour faire,

sur sa route quelques achats de chevaux. Il offrit même au comte de visiter

ses écuries, s'il avait quelques bêtes à vendre. Il voyageait à cheval,

et s'en retournait le soir même.

«Je ne le souffrirai pas, dit le comte. Je n'ai pas de chevaux à vous

vendre dans ce moment. Je n'en ai pas même assez pour les nouveaux

embellissements que je veux faire à mes jardins. Mais je veux faire une

meilleure affaire en jouissant de votre société le plus longtemps qu'il me

sera possible.

--Mais nous avons appris, en arrivant ici, que vous attendiez d'heure en

heure madame la comtesse Hoditz; et, ne voulant point être à charge, nous

nous retirerons aussitôt que nous l'entendrons arriver.

--Je n'attends madame la comtesse margrave que demain, répondit le comte;

elle arrivera ici avec sa fille, madame la princesse de Culmbach. Car vous

n'ignorez peut-être pas, Messieurs, que j'ai eu l'honneur de faire une

noble alliance...

--Avec la margrave douairière de Bareith, repartit assez brusquement le

baron de Kreutz, qui ne parut pas aussi ébloui de ce titre que le comte

s'y attendait.

--C'est la tante du roi de Prusse! reprit-il avec un peu d'emphase.

--Oui, oui, je le sais! répliqua l'officier prussien en prenant une large

prise de tabac.

--Et comme c'est une dame admirablement gracieuse et affable, continua le

comte, je ne doute pas qu'elle n'ait un plaisir infini à recevoir et à

traiter de braves serviteurs du roi son illustre neveu.

--Nous serions bien sensibles à un si grand honneur, dit le baron en

souriant; mais nous n'aurons pas le loisir d'en profiter. Nos devoirs nous

rappellent impérieusement à notre poste, et nous prendrons congé de Votre

Excellence ce soir même. En attendant, nous serions bien heureux d'admirer

cette belle résidence: le roi notre maître n'en a pas une qu'on puisse

comparer à celle-ci.»

Ce compliment rendit au Prussien toute la bienveillance du seigneur morave.

On se leva de table. Le Porpora, qui se souciait moins de la promenade que

de la répétition, voulut s'en dispenser.

«Non pas, dit le comte; promenade et répétition, tout cela se fera en même

temps; vous allez voir, mon maître.

Il offrit son bras à Consuelo et passant le premier:

«Pardonnez, Messieurs, dit-il, si je m'empare de la seule dame que nous

ayons ici dans ce moment: c'est le droit du seigneur. Ayez la bonté de me

suivre: je serai votre guide.

--Oserai-je vous demander, Monsieur, dit le baron de Kreutz, adressant pour

la première fois la parole au Porpora, quelle est cette aimable dame?

--Monsieur, répondit le Porpora qui était de mauvaise humeur, je suis

Italien, j'entends assez mal l'allemand, et le français encore moins.»

Le baron, qui jusque-là, avait toujours parlé français avec le comte, selon

l'usage de ce temps-là entre les gens du bel air, répéta sa demande en

italien.

«Cette aimable dame, qui n'a pas encore dit un mot devant vous, répondit

sèchement le Porpora, n'est ni margrave, ni douairière, ni princesse, ni

baronne, ni comtesse: c'est une chanteuse italienne qui ne manque pas d'un

certain talent.

--Je m'intéresse d'autant plus à la connaître et à savoir son nom, reprit

le baron en souriant de la brusquerie du maestro.

--C'est la Porporina, mon élève, répondit le Porpora.

--C'est une personne fort habile, dit-on, reprit l'autre, et qui est

attendue avec impatience à Berlin. Puisqu'elle est votre élève, je vois

que c'est à l'illustre maître Porpora que j'ai l'honneur de parler.

--Pour vous servir,» répliqua le Porpora d'un ton bref, en renfonçant sur

sa tête son chapeau qu'il venait de soulever, en réponse, au profond salut

du baron de Kreutz.

Celui-ci, le voyant si peu communicatif, le laissa avancer et se tint en

arrière avec son lieutenant. Le Porpora qui avait des yeux jusque derrière

la tête, vit qu'ils riaient ensemble en le regardant et en parlant de lui,