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de son esprit. Durant tout le reste du souper, il eut, en s'adressant à

Consuelo, une expression de bonté et de confiance qu'elle ne lui avait pas

encore vue.

CII.

A la fin du dessert, une ombre toute drapée de blanc et voilée vint

chercher les convives en leur disant: _Suivez-moi!_ Consuelo, condamnée

encore au rôle de margrave pour la répétition de cette nouvelle scène, se

leva la première, et, suivie des autres convives, monta le grand escalier

du château, dont la porte s'ouvrait au fond de la salle. L'ombre qui les

conduisait poussa, au haut de cet escalier, une autre grande porte, et l'on

se trouva dans l'obscurité d'une profonde galerie antique, au bout de

laquelle on apercevait simplement une faible lueur. Il fallut se diriger

de ce côté au son d'une musique lente, solennelle et mystérieuse, qui était

censée exécutée par les habitants du monde invisible.

«Tudieu! dit ironiquement le Porpora d'un ton d'enthousiasme, monsieur

le comte ne nous refuse rien! Nous avons entendu aujourd'hui de la

musique turque, de la musique nautique, de la musique sauvage, de la

musique chinoise, de la musique lilliputienne et toutes sortes de musiques

extraordinaires; mais en voici une qui les surpasse toutes, et l'on peut

bien dire que c'est véritablement de la musique de l'autre monde.

--Et vous n'êtes pas au bout! répondit le comte enchanté de cet éloge.

--Il faut s'attendre à tout de la part de Votre Excellence, dit le baron

de Kreutz avec la même ironie que le professeur; quoique après ceci, je ne

sache, en vérité, ce que nous pouvons espérer de plus fort.»

Au bout de la galerie, l'ombre frappa sur une espèce de tamtam qui rendit

un son lugubre, et un vaste rideau s'écartant, laissa voir la salle de

spectacle décorée et illuminée comme elle devait l'être le lendemain. Je

n'en ferai point la description, quoique ce fût bien le cas de dire:

Ce n'était que festons, ce n'était qu'algarades.

La toile du théâtre se leva; la scène représentait l'Olympe ni plus ni

moins. Les déesses s'y disputaient le coeur du berger Paris, et le concours

des trois divinités principales faisait les frais de la pièce. Elle était

écrite en italien, ce qui fit dire tout bas au Porpora, en s'adressant à

Consuelo:

«Le sauvage, le chinois et le lilliputien n'étaient rien; voilà enfin de

l'iroquois.»

Vers et musique, tout était de la fabrique du comte. Les acteurs et les

actrices valaient bien leurs rôles. Après une demi-heure de métaphores et

de concetti sur l'absence d'une divinité plus charmante et plus puissante

que toutes les autres, qui dédaignait de concourir pour le prix de la

beauté, Paris s'étant décidé à faire triompher Vénus, cette dernière

prenait la pomme, et, descendant du théâtre par un gradin, venait la

déposer au pied de la margrave, en se déclarant indigne de la conserver,

et s'excusant d'avoir osé la briguer devant elle.

C'était Consuelo qui devait faire ce rôle de Vénus; et comme c'était

le plus important, ayant à chanter à la fin une cavatine à grand effet,

le comte Hoditz, n'ayant pu en confier la répétition à aucune de ses

coryphées, prit le parti de le remplir lui-même; tant pour faire marcher

cette répétition que pour faire sentir à Consuelo l'esprit, les intentions,

les finesses et les beautés du rôle. Il fut si bouffon en faisant

sérieusement Vénus, et en chantant avec emphase les platitudes pillées à

tous les méchants opéras à la mode et mal cousues dont il prétendait avoir

fait une partition, que personne ne put garder son sérieux. Il était trop

animé par le soin de gourmander sa troupe et trop enflammé par l'expression

divine qu'il donnait à son jeu et à son chant, pour s'apercevoir de la

gaieté de l'auditoire. On l'applaudit à tout rompre, et le Porpora, qui

s'était mis à la tête de l'orchestre en se bouchant les oreilles de temps

en temps à la dérobée, déclara que tout était sublime, poëme, partition,

voix, instruments, et la Vénus provisoire par-dessus tout.

Il fut convenu que Consuelo et lui liraient ensemble attentivement ce

chef-d'oeuvre le soir même et le lendemain matin. Ce n'était ni long, ni

difficile à apprendre, et ils se firent fort d'être le lendemain soir à la

hauteur de la pièce et de la troupe. On visita ensuite la salle de bal qui

n'était pas encore prête, parce que les danses ne devaient avoir lieu que

le surlendemain, la fête ayant à durer deux jours pleins et à offrir une

suite ininterrompue de divertissements variés.

Il était dix heures du soir. Le temps était clair et la lune magnifique.

Les deux officiers prussiens avaient persisté à repasser la frontière le

soir même, alléguant une consigne supérieure qui leur défendait de passer

la nuit en pays étranger. Le comte dut donc céder, et ayant donné l'ordre

qu'on préparât leurs chevaux, il les emmena boire le coup de l'étrier,

c'est-à-dire déguster du café et d'excellentes liqueurs dans un élégant

boudoir, où Consuelo ne jugea pas à propos de les suivre. Elle prit donc

congé d'eux, et après avoir recommandé tout bas au Porpora de se tenir un

peu mieux sur ses gardes qu'il n'avait fait durant le souper, elle se

dirigea vers sa chambre, qui était dans une autre aile du château.

Mais elle s'égara bientôt dans les détours de ce vaste labyrinthe, et se

trouva dans une sorte de cloître où un courant d'air éteignit sa bougie.

Craignant de s'égarer de plus en plus et de tomber dans quelqu'une des

trappes _à surprise_ dont ce manoir était rempli, elle prit le parti de

revenir sur ses pas à tâtons jusqu'à ce qu'elle eût retrouvé la partie

éclairée des bâtiments. Dans la confusion de tant de préparatifs pour

des choses insensées, le confortable de cette riche habitation était

entièrement négligé. On y trouvait des sauvages, des ombres, des dieux,

des ermites, des nymphes, des ris et des jeux, mais pas un domestique pour

avoir un flambeau, pas un être dans son bon sens auprès de qui l'on pût se

renseigner.

Cependant elle entendit venir à elle une personne qui semblait marcher avec

précaution et se glisser dans les ténèbres à dessein, ce qui ne lui inspira

pas la confiance d'appeler et de se nommer, d'autant plus que c'était le

pas lourd et la respiration forte d'un homme. Elle s'avançait un peu émue

et en se serrant contre la muraille; lorsqu'elle entendit ouvrir une porte

non loin d'elle, et la clarté de la lune, en pénétrant par cette ouverture,

tomba sur la haute taille et le brillant costume de Karl.

Elle se hâta de l'appeler.

«Est-ce vous, signora? lui dit-il d'une voix altérée. Ah! je cherche depuis

bien des heures un instant pour vous parler, et je le trouve trop tard,

peut-être!

--Qu'as-tu donc à me dire, bon Karl, et d'où vient l'émotion où je te vois?

--Sortez de ce corridor, signora, je vais vous parler dans un endroit tout