Выбрать главу

rôles.

--Il n'a pas d'autre _primo-uomo_ sous la main. Il y a longtemps qu'il

compte sur toi et ne songe qu'à toi. D'ailleurs il est tout porté pour

toi. Tu disais qu'il serait contraire à notre mariage! Loin de là, il

semble le désirer, et me demande souvent quand je l'inviterai à ma noce.

--Ah! vraiment? C'est fort bien! Grand merci, monsieur le comte!

--Que veux-tu dire?

--Rien. Seulement, Consuelo, tu as eu grand tort de ne pas m'empêcher de

débuter jusqu'à ce que mes défauts que tu connaissais si bien, se

fussent corrigés dans de meilleures études. Car tu les connais, mes

défauts, je le répète.

--Ai-je manqué de franchise? ne t'ai-je pas averti souvent? Mais tu m'as

toujours dit que le public ne s'y connaissait pas; et quand j'ai su quel

succès tu avais remporté chez le comte la première fois que tu as chanté

dans son salon, j'ai pensé que ...

--Que les gens du monde ne s'y connaissaient pas plus que le public

vulgaire?

--J'ai pensé que tes qualités frapperaient plus que tes défauts; et il

en a été ainsi, ce me semble, pour les uns comme pour l'autre.

--Au fait, pensa Anzoleto, elle dit vrai, et si je pouvais reculer mes

débuts.... Mais c'est courir le risque de voir appeler à ma place un

ténor qui ne me la céderait plus. Voyons! dit-il après avoir fait

plusieurs tours dans la chambre, quels sont donc mes défauts?

--Ceux que je t'ai dits souvent, trop de hardiesse et pas assez de

préparation; une énergie plus fiévreuse que sentie; des effets

dramatiques qui sont l'ouvrage de la volonté plus que ceux de

l'attendrissement. Tu ne t'es pas pénétré de l'ensemble de ton rôle. Tu

l'as appris par fragments. Tu n'y as vu qu'une succession de morceaux

plus ou moins brillants. Tu n'en as saisi ni la gradation, ni le

développement, ni le résumé. Pressé de montrer ta belle voix et

l'habileté que tu as à certains égards, tu as donné ton dernier mot

presque en entrant en scène. À la moindre occasion, tu as cherché un

effet, et tous tes effets ont été semblables. À la fin du premier acte,

on te connaissait, on te savait par coeur; mais on ne savait pas que

c'était tout, et on attendait quelque chose de prodigieux pour la fin.

Ce quelque chose n'était pas en toi. Ton émotion était épuisée, et ta

voix n'avait plus la même fraîcheur. Tu l'as senti, tu as forcé l'une et

l'autre; on l'a senti aussi, et l'on est resté froid, à ta grande

surprise, au moment où tu te croyais le plus pathétique. C'est qu'à ce

moment-là on ne voyait pas l'artiste inspiré par la passion, mais

l'acteur aux prises avec le succès.

--Et comment donc font les autres? s'écria Anzoleto en frappant du pied.

Est-ce que je ne les ai pas entendus, tous ceux qu'on a applaudis à

Venise depuis dix ans? Est-ce que le vieux Stefanini ne criait pas quand

la voix lui manquait? Et cependant on l'applaudissait avec rage.

--II est vrai, et je n'ai pas compris que le public pût s'y tromper.

Sans doute on se souvenait du temps où il y avait eu en lui plus de

puissance, et on ne voulait pas lui faire sentir le malheur de son âge.

--Et la Corilla, voyons, cette idole que tu renverses, est-ce qu'elle ne

forçait pas les situations? Est-ce-qu'elle ne faisait pas des efforts

pénibles à voir et à entendre? Est-ce qu'elle était passionnée tout de

bon, quand on la portait aux nues?

--C'est parce que j'ai trouvé ses moyens factices, ses effets

détestables, son jeu comme son chant dépourvus de goût et de grandeur,

que je me suis présentée si tranquillement sur la scène, persuadée comme

toi que le public ne s'y connaissait pas beaucoup.

--Ah! dit Anzoleto avec un profond soupir, tu mets le doigt sur ma

plaie, pauvre Consuelo!

--Comment cela, mon bien-aimé?

--Comment cela? tu me le demandes? Nous nous étions trompés, Consuelo.

Le public s'y connaît. Son coeur lui apprend ce que son ignorance lui

voile. C'est un grand enfant qui a besoin d'amusement et d'émotion. Il

se contente de ce qu'on lui donne; mais qu'on lui montre quelque chose

de mieux, et le voilà qui compare et qui comprend. La Corilla pouvait

encore le charmer la semaine dernière, bien qu'elle chantât faux et

manquât de respiration. Tu parais, et la Corilla est perdue; elle est

effacée, enterrée. Qu'elle reparaisse, on la sifflera. Si j'avais débuté

auprès d'elle, j'aurais eu un succès complet comme celui que j'ai eu

chez le comte, la première fois que j'ai chanté après elle. Mais auprès

de toi, j'ai été éclipsé. Il en devait être ainsi, et il en sera

toujours ainsi. Le public avait le goût du clinquant. Il prenait des

oripeaux pour des pierreries; il en était ébloui. On lui montre un

diamant fin, et déjà il ne comprend plus qu'on ait pu le tromper si

grossièrement. Il ne peut plus souffrir les diamants faux, et il en fait

justice. Voilà mon malheur, Consuelo: c'est d'avoir été produit, moi,

verroterie de Venise, à côté d'une perle sortie du fond des mers.»

Consuelo ne comprit pas tout ce qu'il y avait d'amertume et de vérité

dans ces réflexions. Elle les mit sur le compte de l'amour de son

fiancé, et ne répondit à ce qu'elle prit pour de douces flatteries, que

par des sourires et des caresses. Elle prétendit qu'il la surpasserait,

le jour où il voudrait s'en donner la peine, et releva son courage en

lui persuadant que rien n'était plus facile que de chanter comme elle.

Elle était de bonne foi en ceci, n'ayant jamais été arrêtée par aucune

difficulté, et ne sachant pas que le travail même est le premier des

obstacles, pour quiconque n'en a pas l'amour et la persévérance.

XIX.

Encouragé par la franchise de Consuelo et la perfidie de Corilla qui le

pressait de se faire entendre encore en public, Anzoleto se mit à

travailler avec ardeur; et à la seconde représentation d'_Ipermnestre_,

il chanta beaucoup plus purement son premier acte. On lui en sut gré.

Mais, comme le succès de Consuelo grandit en proportion, il ne fut pas

satisfait du sien, et commença à se sentir démoralisé par cette nouvelle

constatation de son infériorité. Dès ce moment, tout prit à ses yeux un

aspect sinistre. Il lui sembla qu'on ne l'écoutait pas, que les

spectateurs placés près de lui murmuraient des réflexions humiliantes

sur son compte, et que les amateurs bienveillants qui l'encourageaient

dans les coulisses avaient l'air de le plaindre profondément. Tous leurs

éloges eurent pour lui un double sens dont il s'appliqua le plus

mauvais. La Corilla, qu'il alla consulter dans sa loge durant

l'entr'acte, affecta de lui demander d'un air effrayé s'il n'était pas

malade.

--Pourquoi? lui dit-il avec impatience.

«Parce que ta voix est sourde aujourd'hui, et que tu sembles accablé!

Cher Anzoleto, reprends courage; donne tes moyens qui sont paralysés par