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la crainte ou le découragement.

--N'ai-je pas bien dit mon premier air?

--Pas à beaucoup près aussi bien que la première fois. J'en ai eu le

coeur si serré que j'ai failli me trouver mal.

--Mais on m'a applaudi, pourtant?

--Hélas!... n'importe: j'ai tort de t'ôter l'illusion. Continue ...

Seulement tâche de dérouiller ta voix.»

«Consuelo, pensa-t-il, a cru me donner un conseil. Elle agit d'instinct,

et réussit pour son propre compte. Mais où aurait-elle pris l'expérience

de m'enseigner à dominer ce public récalcitrant? En suivant la direction

qu'elle me donne, je perds mes avantages, et on ne me tient pas compte

de l'amélioration de ma manière. Voyons! revenons à mon audace première.

N'ai-je pas éprouvé, à mon début chez le comte, que je pouvais éblouir

même ceux que je ne persuadais pas? Le vieux Porpora ne m'a-t-il pas dit

que j'avais les taches du génie? Allons donc! que ce public subisse mes

taches et qu'il plie sous mon génie.»

Il se battit les flancs, fit des prodiges au second acte, et fut écouté

avec surprise. Quelques-uns battirent des mains, d'autres imposèrent

silence aux applaudissements. Le public en masse se demanda si cela

était sublime ou détestable.

Encore un peu d'audace, et peut-être qu'Anzoleto l'emportait. Mais cet

échec le troubla au point que sa tête s'égara, et qu'il manqua

honteusement tout le reste de son rôle.

A la troisième représentation, il avait repris son courage, et, résolu

d'aller à sa guise sans écouter les conseils de Consuelo; il hasarda les

plus étranges caprices, les bizarreries les plus impertinentes, honte!

deux ou trois sifflets interrompirent le silence qui accueillait ces

tentatives désespérées. Le bon et généreux public fit taire les sifflets

et se mit à battre des mains; il n'y avait pas moyen de s'abuser sur

cette bienveillance envers la personne et sur ce blâme envers l'artiste.

Anzoleto déchira son costume en rentrant dans sa loge, et, à peine la

pièce finie, il courut s'enfermer avec la Corilla, en proie à une rage

profonde et déterminé à fuir avec elle au bout de la terre.

Trois jours s'écoulèrent sans qu'il revît Consuelo. Elle lui inspirait

non pas de la haine, non pas du refroidissement (au fond de son âme

bourrelée de remords, il la chérissait toujours et souffrait

mortellement de ne pas la voir), mais une véritable terreur. Il sentait

la domination de cet être qui l'écrasait en public de toute sa grandeur,

et qui en secret reprenait à son gré possession de sa confiance et de sa

volonté. Dans son agitation il n'eut pas la force de cacher à la Corilla

combien il était attaché à sa noble fiancée, et combien elle avait

encore d'empire sur ses convictions. La Corilla en conçut un dépit amer,

qu'elle eut la force de dissimuler. Elle le plaignit, le confessa; et

quand elle sut le secret de sa jalousie, elle frappa un grand coup en

faisant savoir sous main à Zustiniani sa propre intimité avec Anzoleto,

pensant bien que le comte ne perdrait pas une si belle occasion d'en

instruire l'objet de ses désirs, et de rendre à Anzoleto le retour

impossible.

Surprise de voir un jour entier s'écouler dans la solitude de sa

mansarde, Consuelo s'inquiéta; et le lendemain d'un nouveau jour

d'attente vaine et d'angoisse mortelle, à la nuit tombante, elle

s'enveloppa d'une mante épaisse (car la cantatrice célèbre n'était plus

garantie par son obscurité contre les méchants propos), et courut à la

maison qu'occupait Anzoleto depuis quelques semaines, logement plus

convenable que les précédents, et que le comte lui avait assigné dans

une des nombreuses maisons qu'il possédait dans la ville. Elle ne l'y

trouva point, et apprit qu'il y passait rarement la nuit.

Cette circonstance ne l'éclaira pas sur son infidélité. Elle connaissait

ses habitudes de vagabondage poétique, et pensa que, ne pouvant

s'habituer à ces somptueuses demeures, il retournait à quelqu'un de ses

anciens gîtes. Elle allait se hasarder à l'y chercher, lorsqu'en se

retournant pour repasser la porte, elle se trouva face à face avec

maître Porpora.

«Consuelo, lui dit-il à voix basse, il est inutile de me cacher tes

traits; je viens d'entendre ta voix, et ne puis m'y méprendre. Que

viens-tu faire ici, à cette heure, ma pauvre enfant, et que cherches-tu

dans cette maison?

--J'y cherche mon fiancé, répondit Consuelo en s'attachant au bras de

son vieux maître. Et je ne sais pas pourquoi je rougirais de l'avouer à

mon meilleur ami. Je sais bien que vous blâmez mon attachement pour lui;

mais je ne saurais vous faire un mensonge. Je suis inquiète. Je n'ai pas

vu Anzoleto depuis avant-hier au théâtre. Je le crois malade.

--Malade? lui! dit le professeur en haussant les épaules. Viens avec

moi, pauvre fille; il faut que nous causions; et puisque tu prends enfin

le parti de m'ouvrir ton coeur, il faut que je t'ouvre le mien aussi.

Donne-moi le bras, mous parlerons en marchant. Écoute, Consuelo; et

pénétre-toi bien de ce que je vais te dire. Tu ne peux pas, tu ne dois

pas être la femme de ce jeune homme. Je te le défends, au nom du Dieu

vivant qui m'a donné pour toi des entrailles de père.

--O mon maître, répondit-elle avec douleur, demandez-moi le sacrifice de

ma vie, mais non celui de mon amour.

--Je ne le demande pas, je l'exige, répondit le Porpora avec fermeté.

Cet amant est maudit. Il fera ton tourment et ta honte si tu ne

l'abjures à l'instant même.

--Cher maître, reprit-elle avec un sourire triste et caressant, vous

m'avez dit cela bien souvent; mais j'ai vainement essayé de vous obéir.

Vous haïssez ce pauvre enfant. Vous ne le connaissez pas, et je suis

certaine que vous reviendrez de vos préventions.

--Consuelo, dit le maestro avec plus de force, je t'ai fait jusqu'ici

d'assez vaines objections et de très-inutiles défenses, je le sais. Je

t'ai parlé en artiste, et comme à une artiste; je ne voyais non plus

dans ton fiancé que l'artiste. Aujourd'hui, je te parle en homme, et je

te parle d'un homme, et je te parle comme à une femme. Cette femme a mal

placé son amour, cet homme en est indigne, et l'homme qui te le dit en

est certain.

--O mon Dieu! Anzoleto indigne de mon amour! Lui, mon seul ami, mon

protecteur, mon frère! Ah! vous ne savez pas comme il m'a aidée et comme

il m'a respectée depuis que je suis au monde! Il faut que je vous le

dise.»

Et Consuelo raconta toute l'histoire de sa vie et de son amour, qui

était une seule et même histoire.

Le Porpora en fut ému, mais non ébranlé.

«Dans tout ceci, dit-il, je ne vois que ton innocence, ta fidélité, ta

vertu. Quant à lui, je vois bien le besoin qu'il a eu de ta société et

de tes enseignements, auxquels, bien que tu en penses, je sais qu'il