Выбрать главу

– Pas trop loin pour y aller à pied?

– Oh non! Nous pouvons marcher facilement jusque-là.

– Il serait préférable d’aller à pied, alors. Un cocher bavarderait s’il nous déposait au milieu de la nuit dans un endroit isolé.

– Très juste! Nous pourrions nous retrouver à minuit à la porte de la Voie Appienne. Il faut que je rentre chez moi pour prendre des allumettes, des bougies et divers objets.

– Parfait, Burger! Je pense que vous êtes très chic de me mettre dans votre secret, et je vous promets de ne rien écrire avant que vous n’ayez publié votre rapport. Pour l’instant, bonsoir! Vous me trouverez à minuit à la porte de la Voie Appienne.

L’air froid et clair retentissait des carillons musicaux de cette cité d’horloges quand Burger, enveloppé dans un manteau italien, une lanterne à la main, arriva au lieu du rendez-vous. Kennedy sortit de l’ombre pour aller au-devant de lui.

– Ardent au travail comme à l’amour! s’écria l’Allemand en riant.

– Oui. Je suis là depuis près d’une demi-heure.

– J’espère que vous n’avez communiqué à personne la moindre indication sur le but de notre excursion?

– Pas si bête! Par Jupiter, je suis glacé jusqu’aux os! Allons, Burger, réchauffons-nous par une bonne petite marche.

Ils s’engagèrent d’un pas bien cadencé sur la chaussée de pierres qui est tout ce qui reste de la plus célèbre avenue du monde. Quelques paysans sortaient des auberges pour rentrer chez eux: des chariots chargés des produits de la campagne montaient vers Rome. Ils ne firent pas d’autres rencontres. Sur leur droite, sur leur gauche, de grands tombeaux surgissaient dans l’obscurité. Ils allèrent ainsi jusqu’aux catacombes de Saint-Calixte et en face d’eux ils virent se détacher contre la lune qui se levait le grand bastion circulaire de Cecilia Metella. Burger porta une main à son côté et s’arrêta.

– Vos jambes sont plus longues que les miennes et vous êtes meilleur marcheur, dit-il en riant. Je crois que l’endroit où nous bifurquerons n’est pas loin d’ici. Oui, nous y sommes: après la trattoria. Voyez, le sentier n’est pas large; je passe le premier: vous me suivrez.

Il avait allumé sa lanterne. Étroit et tortueux, le chemin déroulait ses méandres parmi les marais de la Campanie. Le grand aqueduc de l’ancienne Rome reposait comme une chenille monstrueuse sur le paysage éclairé par la lune. Ils passèrent sous l’une de ses hautes arches, et longèrent le mur circulaire qui marque l’emplacement de l’ancienne arène. Enfin Burger s’arrêta devant une étable à vaches, isolée en pleine campagne, et il tira une clé de sa poche.

– Vous n’allez pas me faire croire que vos catacombes sont à l’intérieur d’une maison! s’écria Kennedy.

– L’entrée, si. Voilà ce qui nous protège contre les curieux.

– Le propriétaire est-il au courant?

– Non. Il avait trouvé un ou deux objets dont la nature m’avait donné à penser que cette étable avait été construite juste sur une entrée de catacombes. Aussi la lui ai-je louée, et j’ai procédé moi-même aux fouilles. Entrez, et refermez la porte derrière vous…

Ils se trouvaient dans un bâtiment long et vide; les auges et les mangeoires garnissaient l’un des murs. Burger posa sa lanterne sur le sol et l’enveloppa de son manteau, sauf sur un côté.

– … Si quelqu’un voyait de la lumière dans cet endroit isolé, les langues iraient bon train, dit-il. Aidez-moi simplement à déplacer ces planches…

Les planches d’un angle étaient déclouées; les deux savants les dressèrent les unes après les autres contre le mur. Sous leurs yeux bâillait un trou carré, à l’intérieur duquel un escalier en vieilles marches de pierre descendait vers les entrailles de la terre.

– … Prenez garde! cria Burger à Kennedy qui, dans son impatience, dégringolait les premières marches. En bas, c’est une vraie garenne: si vous vous égariez, il y aurait cent chances contre une pour que vous ne retrouviez jamais votre chemin. Attendez que j’apporte la lanterne.

– Comment vous êtes-vous dirigé tout seul si c’est tellement compliqué?

– Au début j’ai plusieurs fois manqué me perdre, mais j’ai appris à m’y reconnaître. Ce labyrinthe a été construit selon un plan assez systématique, mais quelqu’un qui s’égarerait sans lumière serait incapable de le découvrir. Même encore maintenant je déroule toujours une pelote de ficelle derrière moi quand je m’enfonce. Voyez: chacun de ces couloirs se divise et se subdivise une douzaine de fois par centaine de mètres…

À six ou sept mètres en-dessous du plancher de l’étable, ils étaient arrivés dans une salle carrée taillée dans un calcaire tendre. La lanterne projetait une petite lueur tremblotante sur les murs bruns tout craquelés. Dans toutes les directions s’ouvraient de noirs couloirs qui partaient de ce carrefour.

– … Il faut que vous me suiviez de très près, mon ami! ordonna Burger. Ne lambinez pas pour regarder quelque chose en route, car je vais vous mener en un lieu où vous verrez plus de choses que tout ce que vous pourriez voir dans les couloirs. Si nous y allons directement, cela nous économisera du temps.

Il s’engagea dans l’un des couloirs. L’Anglais était sur ses talons. À chaque instant le couloir bifurquait, mais Burger ne s’arrêtait ni n’hésitait jamais: sans doute avait-il des repères secrets. Tout le long des murs, empilés les uns au-dessus des autres comme des couchettes sur un bateau d’émigrants, gisaient des chrétiens de la Rome antique. La lueur jaune de la lanterne éclairait les visages ratatinés des momies, faisait miroiter les crânes arrondis et les longs bras blancs croisés sur des poitrines décharnées. Kennedy lançait des regards pleins de regret et de désir vers les innombrables inscriptions, urnes funéraires, ornements picturaux, vêtements, ustensiles qui étaient demeurés dans l’état où des mains pieuses les avaient disposés tant de siècles auparavant. Il lui sembla évident, même à première vue, qu’il s’agissait de catacombes d’une richesse exceptionnelle qui contenaient une énorme quantité de vestiges romains.

– Que se passerait-il si votre lanterne s’éteignait? demanda-t-il pendant qu’ils se hâtaient vers la destination indiquée par Burger.

– J’ai une bougie en réserve et une boîte d’allumettes dans ma poche. À propos, Kennedy, avez-vous des allumettes sur vous?

– Non. Vous devriez bien m’en donner quelques-unes.

– Oh, ce n’est pas la peine! Il n’y a aucune raison pour que nous nous séparions.

– Jusqu’où allons-nous? Il me semble que nous avons dû marcher pendant quatre cents mètres, non?

– Davantage, je crois. Ces rangées de tombes sont interminables… Du moins je n’en ai pas vu la fin. Mais comme nous arrivons à un endroit difficile, je vais dérouler ma pelote.

Il attacha un bout de la ficelle à une pierre qui faisait saillie et il plaça la pelote dans son manteau, en la dévidant au fur et à mesure qu’il avançait. Kennedy s’aperçut que cette précaution n’était pas inutile, car les couloirs se compliquaient de plus en plus pour former un réseau de chemins qui s’entrecoupaient constamment. Mais tous aboutissaient à une grande salle circulaire au fond de laquelle il y avait un socle carré recouvert sur un côté par une dalle de marbre.

– Mon Dieu! s’écria Kennedy en extase. Voilà un autel des chrétiens: probablement le premier en date. La petite croix de la consécration est gravée sur ce coin. Sans doute cette salle circulaire servait d’église!