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– … Il y avait longtemps que j’avais l’intention de faire un petit exemple, dit suavement Lord Sannox. Votre billet de mercredi s’est trompé de destinataire, et je l’ai ici dans mon portefeuille. Pour exécuter cette idée je me suis donné un peu de peine… À propos, la blessure: c’est avec ma chevalière que je l’avais faite. Rien de dangereux, comme vous voyez…

Il jeta un regard aigu à son compagnon toujours silencieux, puis arma le petit revolver qu’il avait dans la poche de sa veste. Mais Douglas Stone s’était mis à mâchonner le couvre-lit.

– … Après tout, vous avez été fidèle au rendez-vous! murmura Lord Sannox.

Ce fut cette phrase qui déclencha le rire de Douglas Stone. Il partit d’un rire retentissant, interminable… Lord Sannox, lui, ne riait plus. Une sorte de frayeur durcit et accentua ses traits. Il sortit de la chambre sur la pointe des pieds. La vieille femme attendait devant la porte.

– Prenez soin de votre maîtresse quand elle se réveillera! commanda Lord Sannox.

Puis il sortit dans la rue. La voiture était toujours là.

Le cocher porta une main à son chapeau.

– John, dit Lord Sannox, vous ramènerez d’abord le docteur chez lui. Il aura besoin qu’on l’aide à descendre l’escalier, je crois. Vous direz à son maître d’hôtel qu’il s’est trouvé mal pendant une opération.

– Très bien, Monsieur.

– Puis, vous ramènerez à la maison Lady Sannox.

– Et pour Monsieur?…

– Oh, pendant quelques mois mon adresse sera Hotel di Roma, à Venise! Veillez à ce que l’on me fasse suivre le courrier. Et dites à Stevens qu’il organise pour lundi prochain l’exposition des chrysanthèmes pourpres. Il m’en câblera le résultat.

V Le trou du Blue John (The Terror of Blue John Gap)

Le récit qui va suivre a été trouvé parmi les papiers du docteur James Hardcastle, mort de phtisie le 4 février 1908 au 36 des Upper Coventry Flats, South Kensington. Ses meilleurs amis se sont refusés à exprimer une opinion sur cette relation d’un genre particulier, mais ils ont été unanimes à déclarer que le défunt possédait une tournure d’esprit scientifique et pondérée, qu’il n’avait rien d’un imaginatif et qu’il aurait été incapable d’inventer des événements sortant plus ou moins de l’ordinaire. Le récit était enfermé dans une enveloppe portant la suscription suivante: «Bref compte rendu des événements qui se sont déroulés aux environs de la ferme de Mademoiselle Allerton, dans le Derbyshire du nord-ouest, au cours du printemps de l’année dernière». L’enveloppe était cachetée à la cire. Sur le verso, figuraient ces lignes, écrites au crayon:

«Mon cher Seaton,

«Vous apprendrez certainement avec intérêt, peut-être avec chagrin, que l’incrédulité avec laquelle vous avez accueilli mon histoire m’a empêché de rouvrir la bouche sur ce sujet. Je laisse donc ce document dans mes papiers; après ma mort, des étrangers me témoigneront peut-être plus de confiance que mon ami.»

Les recherches entreprises pour identifier ce Seaton n’ont pas abouti. Je me permets d’ajouter que le séjour du défunt à la ferme Allerton, ainsi que l’exposé général des circonstances (je ne parle pas de l’explication qu’il en donne) ont été formellement vérifiés. J’arrête là cet avant-propos pour transcrire son récit tel qu’il a été trouvé.

*

**

17 avril. – Déjà je sens le bénéfice que m’apporte cet air miraculeux des hautes terres. La ferme des Allerton est située à cinq cents mètres au-dessus du niveau de la mer: le climat est donc tonifiant. En dehors de mes quintes habituelles du matin, je n’éprouve aucun malaise; avec le lait frais et le mouton du pays, je vais probablement prendre du poids. Je crois que Saunderson sera satisfait.

Les deux demoiselles Allerton sont délicieusement originales et aimables: vieilles filles l’une comme l’autre, également petites mais aussi également laborieuses, elles sont disposées à prodiguer à un étranger malade tout le cœur qu’elles auraient consacré à un mari et à des enfants. Vraiment, la vieille fille est un être bien utile! L’une des forces que la société tient en réserve… On a tendance à considérer les vieilles filles comme des femmes inutiles; mais que ferait le pauvre homme inutile sans leur assistance dévouée? À propos, elles ont très rapidement laissé échapper dans leur simplicité le motif pour lequel Saunderson m’avait recommandé leur maison. Le Professeur, qui s’est fait tout seul a été dans sa jeunesse garçon de ferme aux environs.

L’endroit est très isolé; les promenades ne manquent pas de pittoresque. La ferme comporte des pâturages sis au fond d’une vallée accidentée. De chaque côté se dressent des collines fantastiques de calcaire; leurs rocs en sont si fins que l’on peut les casser avec les mains. Toute cette campagne sonne creux. Si je pouvais la frapper avec un marteau gigantesque, elle résonnerait comme un tambour, à moins qu’elle ne s’effondre et n’expose au jour une mer souterraine. Oui, il doit certainement exister une mer importante, car de tous côtés des ruisseaux serpentent à flanc de montagne, disparaissent sous terre et ne reparaissent jamais. Partout au milieu des roches il y a des excavations; si l’on s’y engage, on pénètre dans de grandes cavernes qui s’enfoncent avec mille détours jusqu’aux entrailles de la terre. J’ai une petite lanterne de bicyclette; et c’est toujours pour moi une grande joie de l’emporter dans ces solitudes mystérieuses, et d’admirer les effets de noir et de blanc quand je projette sa lumière sur les stalactites qui drapent leurs voûtes élevées. Éteignez la lampe: vous voilà dans les ténèbres les plus sombres. Allumez-la: c’est une féerie des Mille et Une Nuits.

L’une de ces bizarres excavations m’intéresse particulièrement, car elle est un chef-d’œuvre de l’homme, et non de la nature. Avant de venir ici, je n’avais jamais entendu parler du Blue John. C’est le nom donné à un minéral d’une magnifique couleur de pourpre, qu’on ne trouve que dans deux ou trois régions du monde. Il est si rare qu’un simple vase de Blue John vaudrait très cher. Les Romains, avec leur instinct extraordinaire, l’avaient découvert dans cette vallée, et ils avaient creusé un puits horizontal très profond à flanc de montagne. Leur mine a été appelée le trou du Blue John: une arche taillée dans le roc sert d’ouverture; des buissons la recouvrent. Les mineurs romains ont creusé là un beau couloir qui traverse plusieurs grandes cavernes rongées par l’eau, si bien que si l’on s’enfonce dans le trou du Blue John, il vaut mieux marquer ses repères et être muni d’une bonne provision de bougies; sinon on risquerait fort de ne plus revoir la lumière du jour. Je ne m’y suis pas encore risqué; mais aujourd’hui je me suis arrêté à l’entrée de la voûte et, fouillant du regard les recoins sombres que j’entrevoyais à l’intérieur, je me suis promis que, sitôt rétabli, je consacrerais des vacances à explorer ces mystères souterrains pour voir jusqu’à quelle profondeur les Romains avaient pénétré dans les collines du Derbyshire.

Comme les paysans sont superstitieux! Le jeune Armitage m’avait pourtant fait une excellente impression: il a du caractère et il est instruit; je le situais au-dessus de sa situation sociale réelle. Or, pendant que je me trouvais devant le trou du Blue John, il a traversé le pré pour venir me dire: